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Préavis convenable : critère de l’âge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 novembre 2013, R.G. 2012/AB/180

Mis en ligne le vendredi 13 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 13 novembre 2013, R.G. n° 2012/AB/180

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les critères d’appréciation du préavis convenable, eu égard particulièrement à la prise en compte de l’âge, rappelant que les personnes se rapprochant de l’âge de la pension ont de très grandes difficultés à retrouver un emploi.

Les faits

Madame V. est engagée en qualité d’assistante sociale par une société de logements sociaux, en 1992. Au fil du temps, elle en devient directrice-gérante et, suite à l’absorption de cette société par une autre, elle occupe les fonctions de directrice-gérante adjointe.

En 2010, l’intéressée est approchée par son employeur, qui lui propose, dans le cadre d’un départ, de choisir entre une indemnité compensatoire de préavis ou un licenciement moyennant un préavis à prester jusqu’à l’âge de 60 ans, lui permettant de bénéficier de la prépension conventionnelle (CCT n° 17) ensuite. Aucune solution ne se dégageant, l’intéressée est alors licenciée moyennant indemnité. Celle-ci est fixée à 21 mois par l’employeur.

L’employée considère, pour sa part, que celle-ci est insuffisante eu égard à son âge (58 ans et 20 mois), son ancienneté (plus de 17 ans), ses fonctions (directrice-gérante adjointe) ainsi que sa rémunération (de l’ordre der 98.000€ par an).

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Nivelles.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 20 décembre 2001, le tribunal du travail fixe l’indemnité à 26 mois.

Il motive sa décision, pour chacun des critères retenus. En ce qui concerne l’ancienneté, il conclut qu’il s’agit dans toutes les hypothèses d’un critère prépondérant, un reclassement s’avérant plus difficile compte tenu notamment d’habitudes et de méthodes de travail spécifiques à l’emploi perdu et qui rend le travailleur moins compétitif dans le cadre de la recherche d’une autre fonction. Quant à l’âge, le tribunal considère qu’il devient un facteur de handicap prépondérant lorsque le licenciement intervient à proximité de l’âge de la retraite, ceci valant pour la retraite anticipée.

Il poursuit que l’intéressée illustre tout à fait l’extrême difficulté à retrouver du travail, s’agissant de quelqu’un de près de 59 ans, qui occupait des fonctions de gestion au plus haut niveau de l’entreprise, et ce après une ancienneté de 17 ans. Le tribunal précise que dans une recherche d’emploi, l’intéressée serait nécessairement confrontée à des candidats plus jeunes, présentant, en outre, des qualifications supérieures (master en gestion, MBA, …), l’intéressée ne pouvant faire valoir que des compétences acquises « sur le tas ».

De l’ensemble de ces éléments, le tribunal retient que retrouver une fonction équivalente est tout à fait hypothétique.

Décision de la cour du travail

Sur appel de la société, ainsi condamnée à un complément d’indemnité de cinq mois, la cour du travail réexamine les critères à prendre en compte.

Elle écarte, en premier lieu, des griefs formulés par l’employeur vis-à-vis de son ancienne gérante, considérant que ces circonstances sont sans incidence sur la fixation du préavis convenable.

Les difficultés de reclassement doivent être évaluées par rapport aux critères habituels, étant la fonction et la rémunération, ainsi que l’âge et l’ancienneté.

En ce qui concerne les difficultés justifiées par l’âge (la société faisant valoir que celles-ci ne peuvent être prises en compte car elles pénaliseraient le recrutement de travailleurs âgés), la cour considère qu’il s’agit d’un facteur qui doit incontestablement être pris en compte. Les personnes se rapprochant de l’âge de la pension ont en effet des difficultés considérées comme très grandes pour retrouver un emploi et elles le sont encore plus quand il faut retrouver un emploi équivalent à celui que l’intéressée occupait, en l’espèce, au moment de son licenciement. La cour relève qu’elle a certes retrouvé un emploi, mais qu’il s’agit là d’un événement postérieur à la rupture et qui ne peut être pris en compte dans l’évaluation du préavis convenable (la cour reprenant l’arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 1978, R.G. 19310).

La cour renvoie alors à sa propre jurisprudence, où elle a admis, pour quelqu’un qui avait une ancienneté de 17 ans et une rémunération comparable à celle perçue en l’espèce, un délai de préavis de 21 mois. Elle relève cependant qu’il s’agissait d’une employée de 40 ans seulement. La différence entre les deux cas d’espèce consiste dans les chances de reclassement, celles-ci étant supérieures pour l’employée plus jeune que pour l’intéressée, qui, en l’espèce, avait presque 59 ans lors du licenciement. Ce critère justifie que l’on s’écarte du chiffre de 21 mois. Elle retient un complément, pour ce seul facteur, qu’elle fixe à trois mois, soit un total de 24 mois.

Elle réforme dès lors légèrement le jugement du tribunal qui avait retenu 26 mois.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles permet une nouvelle fois de constater que la règle tacite de « un an – un mois » connaît de nombreuses exceptions. Si l’évaluation du préavis convenable doit s’effectuer dans chaque cas d’espèce, la cour retient – avec le tribunal d’ailleurs – de manière tout à fait spécifique les difficultés de reclassement d’un travailleur proche de l’âge de la pension, en l’occurrence de la pension anticipée. Est mise en exergue la situation du travailleur qui a une expérience « sur le tas » et qui se voit mis en présence et en concurrence sur le marché du travail avec des travailleurs plus jeunes, dotés de qualifications acquises par des formations spécialisées.


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