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Licenciement de personnel d’ambassade : absence d’immunité de juridiction pour les actes de gestion des Etats étrangers

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 février 2014, R.G. 2012/AB/394

Mis en ligne le jeudi 5 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 18 février 2014, R.G. n° 2012/AB/394

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’immunité de juridiction des Etats étrangers est restreinte aux actes de souveraineté et qu’elle n’existe pas pour les actes de gestion pouvant être accomplis par n’importe quel particulier, soit par n’importe quel employeur.

Les faits

Une citoyenne de nationalité algérienne, résidant en Belgique depuis 1976 est engagée par un Etat étranger en 1982 pour travailler au sein de son service consulaire.

En 1998, survient un incident, relatif à une falsification de timbres fiscaux apposés sur les documents légalisés. L’intéressée admet avoir collé de faux timbres sur une procuration commerciale six semaines auparavant.

Elle sera licenciée plus de cinq mois plus tard pour motif grave, étant le détournement de timbres fiscaux (montages, photocopies, etc.) aux fins de tromper l’administration et d’en tirer un profit personnel.

Quelques mois plus tard une plainte est déposée entre les mains du procureur du Roi, plainte qui sera classée sans suite. L’Etat étranger se constitue alors partie civile entre les mains d’un juge d’instruction et il faut attendre 2005 pour qu’une décision de non lieu intervienne.

Entretemps, l’intéressée a introduit une procédure devant le tribunal du travail aux fins de demander le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’arriérés de pécule de vacances.

Par jugement du 17 octobre 2011, le tribunal fait droit à sa demande, limitant cependant l’indemnité compensatoire.

L’Etat interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour est amenée à reprendre l’ensemble des éléments généralement rencontrés, dans le cas de personnel engagé par un Etat étranger.

Celui-ci soulève, en effet, l’immunité de juridiction, la nullité de la citation, ainsi que la question de la loi applicable, avant d’en venir à l’examen du motif grave.

Sur l’immunité de juridiction, la cour rappelle longuement que celle-ci revêt un caractère restreint et non absolu, l’Etat étranger n’étant protégé que pour ses actes de souveraineté et non pour ses actes de gestion, qui pourraient être accomplis par n’importe quel particulier.

La cour applique ces principes à la matière des contrats de travail, relevant que pour ce qui est des fonctions du travailleur il n’y a d’immunité que lorsque celui-ci exerce ou participe étroitement à l’exercice de missions relevant de la puissance publique. L’Etat ne bénéficie pas d’une immunité en cas de demande de réparation financière justifiée par la fin du contrat.

La règle a été reprise dans la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (Convention adoptée par l’Assemblée générale le 2 décembre 2004). N’ayant à ce jour pas recueilli suffisamment de signatures, ladite Convention n’est pas encore entrée en vigueur et l’Etat étranger en cause ne l’a d’ailleurs pas signée. La cour voit cependant dans celle-ci et dans ses travaux préparatoires des éléments éclairants quant à la pratique internationale, considérant que dans la mesure où il n’y a pas eu d’objections particulières de la part des Etats (et forcément de la part de l’Etat en cause), cette disposition s’applique à titre de droit international coutumier. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour Européenne de droits de l’homme (CEDH, grande chambre, arrêt Cudak, 23 mars 2010, n° 15.869/08 et arrêt Sabeh El Leil, 29 juin 2011, n° 034.869/05).

L’Etat étranger ne peut donc pour ces motifs considérer qu’il bénéficierait d’une immunité.

S’agissant en l’espèce d’une employée administrative, celle-ci n’est pas visée par la Convention de Vienne sur les relations consulaires.

En ce qui concerne la validité de la citation, celle-ci doit intervenir conformément aux règles établies par la coutume de droit international, dans la mesure où aucune convention spécifique n’existe sur cette question entre la Belgique et l’Etat en cause. La signification des assignations peut dans cette situation être effectuée par la communication adressée par les voies diplomatiques au Ministère des Affaires étrangères de l’Etat concerné et la cour relève que ce mode de signification coïncide avec la pratique diplomatique belge.

En l’espèce, la cour constate que la citation n’a pas été dûment signifiée par la voie diplomatique, l’huissier s’étant contenté d’en envoyer copie par pli recommandé à la poste au ministère des Affaires étrangères de l’Etat, de telle sorte que la citation – qui en sus avait une traduction en langue anglaise mais non dans une langue officielle de l’Etat en cause – présentait des irrégularités. Celles-ci n’ont cependant pas empêché l’Etat d’assurer normalement sa défense.

Enfin, sur la loi applicable, l’Etat plaide que c’est son droit national qui doit être respecté, s’agissant de missions de service public soumis à son droit interne.

La cour estime que, à supposer ceci établi, une telle solution n’est pas évidente eu égard au droit belge. En l’absence de convention liant la Belgique et l’Etat en cause, relative au doit applicable et à défaut de choix opéré par les parties, il faut retenir la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits et il s’agit en l’occurrence bien évidemment de la Belgique.

La cour en vient ensuite à l’examen du motif grave, dont elle va rapidement conclure qu’il est tardif. S’agissant par ailleurs d’un vol, la cour rappelle qu’il y a lieu non seulement pour l’employeur de démontrer la matérialité des faits mais également l’intention frauduleuse, c’est-à-dire celle de se procurer un avantage illégitime (à soi-même ou à autrui). Les divers écrits faits par l’intéressée à destination de son employeur ne révèlent aucunement une telle volonté frauduleuse.

La cour retient cette circonstance à titre surabondant et elle en vient ensuite à l’examen du droit à l’indemnité compensatoire de préavis. Reprenant les éléments propres à la cause, elle retient qu’il faut fixer à 16 mois l’indemnité compensatoire de préavis et critique à cet égard la conclusion du premier juge selon laquelle l’Etat ne pouvait faire autrement que de licencier, situation qui aurait influencé l’indemnité allouée.

Enfin, la demande de pécule de vacances est confirmée, ainsi que celle relative à la capitalisation des intérêts pour la période dans laquelle les conditions de l’article 1154 du Code civil sont remplies.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles examine des questions régulièrement soumises, en cas d’occupation d’un travailleur (sans statut diplomatique) par un Etat étranger. L’arrêt rappelle très judicieusement que l’immunité de juridiction n’est pas absolue et qu’elle n’existe pas pour les actes de gestion, étant ceux que pourrait poser n’importe quel employeur.

Sur le droit applicable, à défaut de droit choisi par les parties, la cour reprend le principe selon lequel il faut retenir celui de l’Etat avec lequel le contrat a les liens les plus étroits.


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