Terralaboris asbl

Un employé non lié par une clause de non concurrence peut-il exercer une activité concurrente à celle de son employeur après la fin du contrat ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 28 février 2014, R.G. 12/15.617/A

Mis en ligne le mardi 3 juin 2014


Tribunal du travail de Bruxelles, 28 février 2014, R.G. n° 12/15.617/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 28 février 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles rappelle les principes régissant la liberté pour un ancien salarié d’exercer une activité concurrente à celle de son employeur après la fin des relations de travail.

Les faits

Un employé d’une société active dans le secteur du nettoyage d’immeubles et de bureaux engage un inspecteur, sous statut d’employé. Le contrat ne contient pas de clause de non concurrence.

L’employé constitue avec un associé une société, active dans le même secteur. Il est désigné gérant à titre gratuit de celle-ci.

Trois ans plus tard la société licencie l’intéressé moyennant indemnité compensatoire de préavis. Le motif du chômage est relatif à la suppression de son poste.

L’employé demande, après la rupture, paiement d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis, que la société ne conteste, en fin de compte, pas devoir payer.

Elle dénonce, cependant, à ce moment des agissements commis en violation d’une clause contractuelle de fidélité et considère devoir lui réclamer des dommages et intérêts.

L’intéressé conteste pour sa part toute concurrence déloyale ou tout manquement au devoir de discrétion et postule le paiement de l’indemnité complémentaire.

Une action est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, aux fins d’obtenir paiement de celle-ci, qui se monte à plus de 17.000€. La société sollicite pour sa part sa condamnation à des dommages et intérêts d’un montant de 30.000€ pour violation de l’obligation légale de non concurrence et de la clause contractuelle de confidentialité.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal réserve peu de développements à l’indemnité complémentaire de préavis, celle-ci étant manifestement due.

Il examine plus longuement la question des dommages et intérêts postulés à titre reconventionnel par la société. Celle-ci fait en effet valoir divers points, le premier étant, sur le plan chronologique, la constitution de la société avec un objet social identique au sien, ainsi que le détournement de clients qu’elle identifie nommément. De manière plus générale, elle se réfère à la clause de confidentialité figurant au contrat. Elle fait valoir, au titre de préjudice, la perte de clients qu’elle aurait eus de longue date ainsi que la diminution importante de son chiffre d’affaires, cette diminution étant consécutive au détournement de clients importants.

Le tribunal reprend, alors, les principes applicables, soulignant qu’ils ont été rappelés très souvent par la jurisprudence. Il renvoie notamment à deux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 27 avril 2011, R.G. n° 2006/AB/48769 et C. trav. Bruxelles, 27 avril 2011, R.G. n° 2010/AB/142). Il en dégage trois principes essentiels, étant (i) celui du droit au travail ainsi qu’au libre choix d’une activité professionnelle (principe garanti par l’article 23 de la Constitution), (ii) l’interdiction de toute restriction à la liberté du travail, sauf les cas autorisés par la loi (même article de la Constitution) et (iii) le mécanisme de la clause de non concurrence ainsi que les règles de l’article 17, 3° de la loi du 3 juillet 1978, seules restrictions admises par la loi à la liberté de travail de l’ancien salarié. Le tribunal précise que ces restrictions sont d’interprétation stricte.

Il en découle que, en l’absence de clause de non concurrence, le travailleur ne peut se livrer à une concurrence déloyale, à savoir celle visée à l’article 17, 3° de la loi du 3 juillet 1978. Cette disposition renvoie aux obligations en droit commun, étant le respect des usages honnêtes en matière commerciale.

Sont ainsi prohibés l’utilisation de données ou de listings confidentiels ou encore le fait d’entretenir une confusion avec l’ex-employeur ou de le dénigrer.

En dehors de ces hypothèses, le travailleur peut après la fin du contrat de travail exercer une activité concurrente, pourvu qu’elle ne soit pas déloyale.

Le tribunal donne comme exemple d’un tel exercice loyal le droit d’utiliser pour son compte (ou pour celui d’un nouveau mandant) des connaissances que le travailleur a acquises auprès de l’ancien employeur, ou son expérience professionnelle ou encore la confiance qu’il a obtenue de la clientèle. Il peut en conséquence s’installer dans la même branche que son ex-employeur et démarcher celle-ci.

Le tribunal relève encore que, hors la constitution de la société, tous les faits avancés par l’ex-employeur sont postérieurs à la rupture du contrat de travail. En l’absence de clause de non concurrence, il ne peut dès lors y avoir de restrictions à l’exercice d’une activité concurrente, sous réserve des principes généraux ci-dessus.

Examinant les éléments qui lui sont soumis, le tribunal relève qu’aucun agissement prohibé par la loi n’est constaté. Il relève également le caractère très concurrentiel de l’environnement professionnel de ce secteur d’activités, ainsi que le caractère volatile de la clientèle.

Il déboute, en conséquence, la société de sa demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Bruxelles rappelle les contours de l’interdiction de concurrence dans le chef d’un travailleur eu égard à ses obligations légales et contractuelles. Renvoyant à une jurisprudence bien établie, le tribunal du travail conclut très logiquement qu’en l’absence de clause de non concurrence, le travailleur est limité dans son activité postérieure à la fin du contrat du contrat de travail par une obligation générale de loyauté, telle que définie en droit commercial, à savoir les pratiques honnêtes telles que généralement admises en droit commun.


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