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Conditions de la renonciation tacite à la prescription : une application à propos de frais d’hospitalisation dans le cadre de la sécurité sociale d’outre-mer

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 novembre 2013, R.G. 2012/AB/204

Mis en ligne le mardi 27 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 21 novembre 2013, R.G. n° 2012/AB/204

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’une renonciation à la prescription doit répondre à des conditions strictes et que ne peut être assimilée à celle-ci une simple reconnaissance de dette signée par l’assuré social à la demande de l’autorité qui poursuit le remboursement de frais d’hospitalisation.

Les faits

Un employé au service d’une société sise à Kinshasa bénéficie d’une couverture sociale dans le régime de sécurité sociale d’outre-mer. Suite à un accident, il sollicite l’intervention de l’assurance indemnité et celle-ci lui est octroyée par une décision du 1er mars 2000. Il s’agit d’une décision couvrant une période de deux mois environ. Dans le même temps, suite à une hospitalisation à l’hôpital militaire (qui dépend du SPF Défense), des factures sont adressées à l’OSSOM, en tant que tiers payant. Se pose cependant un problème de cotisations pour une partie du coût et un échange de correspondance intervient, suite auquel il s’avère que l’employeur a omis involontairement de payer des cotisations et que la situation est régularisée. Les choses en restent là, jusqu’en janvier 2010, le SPF Défense adressant alors un courrier au nom de l’hôpital militaire et réclamant à l’intéressé le reliquat impayé, de l’ordre de 17.500€. Le courrier précise qu’un plan d’apurement raisonnable peut être envisagé et demande à l’intéressé de remplir une reconnaissance de dette, ce qui celui-ci fait, avec un plan d’apurement mensuel.

Il interpelle en vain l’OSSOM, qui oppose l’obligation de soumettre les demandes de remboursement de frais dans les cinq années à partir de la date à laquelle les prestations ont été fournies. L’intéressé introduit dès lors un recours contre la décision de l’OSSOM. Il y conteste également la demande de récupération de l’Etat belge.

Sur le plan de la procédure, l’Etat fait une intervention volontaire, par laquelle il demande la condamnation de l’intéressé au paiement des sommes ou, à titre subsidiaire, la condamnation de l’OSSOM en garantie.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 26 janvier 2012, le Tribunal du travail de Nivelles considère que la demande de remboursement faite à l’égard de l’OSSOM est prescrite, confirmant ainsi la position de l’Office. Il estime également prescrite la demande de l’Etat belge, considérant qu’il n’y a pas eu dans le chef de l’intéressé renonciation à la prescription.

Position des parties en appel

Pour l’Etat belge, appelant, il y a eu une reconnaissance de dette, qui implique la renonciation à la prescription. L’OSSOM s’est, selon lui, trompé en refusant la prise en charge des frais, vu la régularisation de la situation de l’intéressé. A titre subsidiaire, il demande condamnation de l’OSSOM au paiement, au cas où sa demande vis-à-vis de l’intéressé ne serait pas accueillie. Il invoque également la Charte de l’assuré social en ses articles 14, 17 et 18.

L’intéressé estime qu’il y a prescription de la demande, prescription dont il conteste la renonciation dans son chef, considérant que la reconnaissance de dette ne peut être assimilée à celle-ci. Il fait valoir que la facture a été introduite en temps utile et que l’Etat belge ne s’est adressé à lui que suite au refus dans le chef de l’OSSOM.

Quant à l’Office, il considère qu’il y a carence dans le chef de l’Etat, qui n’a pas réclamé le paiement de la facture dans le délai légal.

Décision de la cour du travail

La cour considère, sur la demande principale, qu’il n’y a pas renonciation à la prescription. Elle reprend de manière circonstanciée les règles relatives à la question, rappelant qu’une renonciation tacite résulte d’un fait qui suppose l’abandon du droit acquis, c’est-à-dire un acte ou un fait qui ne peut être interprété que comme étant la manifestation de cette renonciation. Renvoyant à de nombreuses décisions de la Cour de cassation, elle rappelle que la haute juridiction se montre rigoureuse sur la question de la renonciation tacite. En l’espèce, reconnaitre une dette ne signifie pas nécessairement qu’il y a une telle renonciation, la prescription étant une exception à l’action en paiement et ayant pour effet de supprimer le droit d’action du titulaire du droit tout en ne supprimant pas la dette.

Elle précise que l’intéressé, quoique surpris par la demande formée dix ans après, a obtempéré à un courrier d’un organisme émanant de l’Etat belge, en remplissant et en renvoyant les documents demandés. Il s’agit d’un comportement qui s’inscrit en réponse au courrier adressé par l’Etat belge et ceci ne signifie pas qu’il y a renonciation à invoquer la prescription de la créance. La cour confirme dès lors le jugement sur cette question.

Quant à l’appel incident, la cour le considère comme non fondé, vu que la demande a été introduite auprès de cet Organisme en 2010. La décision intervenue à ce moment répond aux règles de forme prescrites par la Charte de l’assuré social. Quant à la prescription applicable en l’espèce, elle découle de la loi du 17 juillet 1963 (article 60) et est de cinq ans. Cette prescription a débuté à la fin du mois au cours duquel les prestations ont été dispensées. Il n’y a dès lors pas infraction aux obligations de la Charte.

Enfin, en ce qui concerne les demandes subsidiaires de l’Etat belge, la cour rappelle l’article 49 de la loi du 17 juillet 1963, relatif aux remboursements par l’OSSOM de frais relatifs aux prestations de santé. Elle constate que la facture a été introduite dès le mois d’août 2000. L’OSSOM n’est cependant pas intervenu au motif qu’il pensait que l’intéressé n’était pas en ordre de cotisations et il admet avoir commis une erreur, erreur qui n’aurait été constatée qu’en 2010, alors que l’action en paiement était prescrite. La cour relève encore que pendant dix ans, l’hôpital militaire n’a effectué aucune démarche afin de réactiver le dossier et que c’est son inertie qui est à l’origine de la prescription. La demande en garantie de l’OSSOM est dès lors déclarée non fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle très utilement les règles relatives à la renonciation tacite à une prescription, avec force références à des décisions de la Cour de cassation. L’arrêt souligne que la Cour suprême est toujours très rigoureuse en ce qui concerne l’appréciation des conditions d’une telle renonciation.


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