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Critères de l’incapacité de travail des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 mars 2014, R.G. 2013/AB/1.103

Mis en ligne le mardi 13 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 14 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/1.103

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend les principes guidant la reconnaissance de l’incapacité de travail dans le chef d’un travailleur indépendant et confirme la nécessité d’une approche réaliste de la question, n’impliquant pas un déclassement professionnel.

Les faits

Un coiffeur exerçant en qualité de travailleur indépendant tombe en incapacité de travail en septembre 2009. Le Conseil médical de l’Invalidité lui notifie, deux ans plus tard, une décision de fin d’incapacité. Une contestation surgit et une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui désigne un expert. Celui-ci demande un avis à un sapiteur, pour l’aspect psychiatrique. L’expert conclura son rapport en suivant le point de vue de l’INAMI.

Le jugement ayant entériné le rapport d’expertise, appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La détermination de l’incapacité de travail, dans le cas d’un travailleur indépendant, est fonction d’un premier critère, étant la période dans laquelle l’incapacité est appréciée. La cour renvoie à l’article 19 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités en faveur des travailleurs indépendants pour les critères relatifs à la première année d’incapacité. Lorsque débute la période d’invalidité, soit après la première année, c’est l’article 20 qui s’applique. A ce moment, les conditions requises sont ainsi au nombre de trois, étant que (i) l’indépendant ait dû mettre fin aux tâches afférentes à son activité d’indépendant et qu’il assumait jusqu’alors, et ce en raison des lésions ou troubles fonctionnels constatés, (ii) il n’exerce aucune autre activité, dans aucun statut et (iii) il soit reconnu incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle dont il pourrait être chargé équitablement.

C’est cette troisième condition qui s’ajoute après la première année d’incapacité de travail et la cour constate qu’il ne faut plus, à ce moment, uniquement se référer aux activités précédemment exercées mais à toutes les professions accessibles. Elle renvoie à plusieurs décisions de jurisprudence qui ont balisé le champ d’investigation.

Ainsi, lorsque le travailleur indépendant est encore jeune et que son état de santé lui permettrait de se déployer dans d’autres secteurs où il pourrait trouver des emplois de type plus léger avec des efforts physiques moins soutenus, il ne faut pas se limiter à un secteur déterminé.

De même, dans le cas plus particulier d’un ancien entrepreneur, maçon et garagiste, il a pu être constaté qu’il était encore capable d’un travail physique autre que celui accompli sur les chantiers et dans un garage et il a été conclu à l’absence d’incapacité.

La cour relève, cependant, que l’article 20 fait référence à l’équité puisqu’il s’agit d’activités dont le travailleur pourrait être chargé équitablement. Cette référence implique une atténuation de l’appréciation de l’inaptitude. Pour la cour du travail, celle-ci ne doit pas être totale et elle renvoie à un ancien arrêt de la Cour de cassation (Cass., 20 décembre 1993, Pas., 1993, n° 533), qui a considéré que la notion d’incapacité totale à 100% est une notion théorique et que dans la pratique elle ne se rencontre que dans des cas extrêmes. Elle ne peut dès lors être exigée.

Poursuivant son rappel de jurisprudence, la cour renvoie également à des arrêts de la Cour du travail de Liège (dont C. trav. Liège, sect. Neufchâteau, 14 mai 2003, R.G. n° 3563/02), selon lesquels ne doivent pas être prises en compte les activités qui ne peuvent permettre d’atteindre un seuil de rentabilité suffisant pour assurer la subsistance du travailleur indépendant, ainsi une activité à temps partiel ou un passe-temps. L’activité visée doit permettre à celui-ci de vivre de son travail et de ne pas subir un déclassement professionnel.

Tels sont les principes qui doivent guider, selon la cour, l’appréciation du cas d’espèce. Elle constate que l’intéressé présente un dossier médical important et que, en début de litige, il n’était assisté ni par un avocat ni par un conseil technique. Elle admet dès lors l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par lui et, examinant le rapport d’expertise, elle constate qu’il n’est pas complet et qu’il n’est pas davantage dûment motivé. Etant en présence de nouveaux éléments médicaux, elle désigne un autre expert, à qui elle confie une mission spécifique, dans le cadre des articles 19 et 20 de l’arrêté royal. Plus précisément en ce qui concerne l’activité dont l’indépendant pourrait être chargé équitablement, elle lui demande d’envisager comme critères de référence la condition du travailleur, son état de santé et sa formation professionnelle. Elle précise que ceci implique de prendre en compte notamment l’âge de l’intéressé, son sexe, les études faites, la formation professionnelle éventuelle, la nature des travaux que celle-ci lui permettrait d’accomplir, les exigences tant sur le plan physique qu’intellectuel ainsi que les éléments médicaux en regard des professions pouvant être exercées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprend des principes certes connus, étant ceux contenus aux articles 19 et 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 mais les tempère, comme le fait la jurisprudence en général, vu qu’il ne peut être question d’exiger une inaptitude totale. L’intérêt de la décision est d’insister, dans le cadre de la mission confiée à un expert, sur l’aspect socioprofessionnel des éléments à dégager aux fins de pouvoir apprécier l’inaptitude.


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