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Revenu d’intégration et composition de ménage : force probante de l’enquête sociale

Commentaire de C. trav. Liège, Sect. Namur, 5 décembre 2013, R.G. 2013/AN/70

Mis en ligne le lundi 12 mai 2014


Cour du travail de Liège, Sect. Namur, 5 décembre 2013, R.G. n° 2013/AN/70

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 décembre 2013, la Cour du travail de Liège, sect. Namur, rappelle l’étendue des pouvoirs d’investigation du CPAS, dans le cadre de l’enquête sociale ainsi que la valeur des renseignements obtenus par le biais d’autres autorités.

Les faits

Le CPAS décide, dans un dossier, d’effectuer des visites de contrôle au domicile d’un bénéficiaire de revenu d’intégration, eu égard à l’a possibilité d’une cohabitation.

Les visites donnent peu de résultats vu l’absence régulière de l’intéressé. L’agent de quartier intervient pour signaler qu’il n’est pas exclu que le logement soit fictif. Les travailleurs sociaux laissent ensuite divers avis de passage et, suite à une visite qui parvient à être organisée, il s’avère que le logement montre peu de traces d’occupation effective. Il est supposé que l’intéressé cohabite à une autre adresse avec une compagne.

Le retrait du revenu d’intégration est décidé par le CPAS, avec une demande de récupération d’indu.

Un recours est formé devant le Tribunal du travail de Namur, qui réforme la décision au motif qu’il s’agit de simple suspicion. Les travailleurs sociaux ayant fait des filatures du véhicule de l’intéressé, le tribunal relève que ceux-ci ne disposent pas d’un pouvoir de police et que les constats effectués doivent être écartés.

Le CPAS interjette appel.

Décision de la cour

La cour rappelle le fondement du droit au revenu d’intégration en catégorie « isolé », étant l’article 14, § 1er de la loi du 26 mai 2002.

Il faut voir s’il y a cohabitation, c’est-à-dire vie sous le même toit et gestion commune des questions ménagères. Il rappelle que selon la doctrine la vie sous le même toit ne signifie pas nécessairement partager en permanence les mêmes pièces de vie et que, pour ce qui est de la gestion commune des charges, ceci implique que les cohabitants règlent totalement ou principalement ensemble leurs affaires ménagères. Ceci ne signifie cependant pas qu’ils mettent entièrement ou presque leurs moyens en commun (la cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation dont Cass., 8 octobre 1984, Chron. Dr. Soc., 1985, p. 110, note H. FUNCK).

Mais c’est sur la charge de la preuve de la composition de ménage que la cour va s’attarder longuement, renvoyant à de très nombreuses références de jurisprudence et de doctrine.

La charge de la preuve du droit à un taux isolé ou à celui de bénéficiaire ayant charge de famille incombe au demandeur. Quant au CPAS, il peut apporter la preuve d’une habitation séparée, malgré un extrait de composition de famille qui établirait le domicile en tant qu’isolé.

La cour envisage les moyens à disposition du CPAS en vue d’apporter la preuve de la cohabitation. Il peut s’agir de l’enquête sociale, mais celle-ci ne peut être remplacée par un rapport de police et la cour rappelle qu’il en est d’autant plus ainsi si ce rapport est rédigé postérieurement à la décision.

L’auditeur du travail peut, quant à lui, intervenir dans le cadre de l’instruction civile du dossier soumis au juge ou ouvrir, suite à des informations par le CPAS, un dossier pénal en cas de domiciliation fictive vantée afin de percevoir des prestations auxquelles l’on n’aurait pas droit. La question se pose, pour la cour, de savoir si le CPAS peut saisir directement la police d’une demande d’information ou recevoir d’initiative de celle-ci un rapport. Reprenant l’article 44/1 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, la cour précise qu’une transmission d’information sous forme d’un procès-verbal ou d’une information verbale est illégale si elle ne l’est pas à l’autorité à qui elle est destinée.

Les assistants sociaux qui rédigent un rapport social ne sont pas des inspecteurs sociaux et ne peuvent, contrairement à ceux-ci, demander à la police de leur fournir des renseignements. Celle-ci ne peut pas, par ailleurs, les leur communiquer sauf circulaire dérogatoire. Ils doivent dès lors d’adresser à l’auditeur du travail et celui-ci estimera s’il y a lieu ou non d’investiguer, notamment par une enquête de voisinage.

La cour souligne encore que la décision administrative qui serait prise suite à la communication d’un rapport de police ou d’une information d’un agent de quartier sans autorisation de son autorité hiérarchique n’est cependant pas nulle pour autant. Elle rappelle la jurisprudence dite Antigone et la loi du 24 octobre 2013 modifiant le titre préliminaire du code de procédure pénale en ce qui concerne les nullités. La preuve irrégulière peut être écartée si trois conditions sont remplies, étant que (i) le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, (ii) l’irrégularité a entaché la fiabilité de la preuve et (iii) l’usage de la preuve est contraire au procès équitable.

Il faut dès lors procéder à un contrôle de proportionnalité quant à la gravité du manquement.

La cour rappelle encore que cette jurisprudence s’applique en matière de sécurité sociale et qu’elle a été confirmée par la Cour de cassation dans le secteur chômage (la cour renvoyant notamment à Cass., 10 mars 2008, J.T.T., p. 18).

Les principes ci-dessus vont dès lors servir de fondement à l’appréciation de la cour, qui précise encore que certaines constatations de fait peuvent encore valoir au titre de simples renseignements.

S’il y a fraude, l’institution de sécurité sociale doit être en mesure d’apporter la preuve de celle-ci et la cour considère devoir autoriser des mesures d’instruction, étant précisément des enquêtes susceptibles de départager les thèses des parties. Le CPAS est dès lors autorisé à établir la cohabitation de l’intéressé à une autre adresse avec sa compagne et elle autorise également la preuve contraire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend les pouvoirs respectifs des divers intervenants possibles, dans le cadre de mesures d’enquêtes administratives. Il rappelle la force probante du rapport d’enquête sociale, effectuée dans le cadre de l’enquête sur les ressources et sur la situation familiale d’un demandeur de revenu d’intégration sociale. La cour reprend également les conditions d’application de la jurisprudence Antigone en matière de sécurité sociale, son application ayant été consacrée par la Cour de cassation dans le secteur chômage.


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