Terralaboris asbl

Revenu d’intégration sociale : valeur probante du rapport social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2009, R.G. 51.462

Mis en ligne le vendredi 4 avril 2014


Cour du travail de Bruxelles, 3 septembre 2009, R.G. n° 51.462

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 septembre 2009, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé que la force probante d’un rapport d’enquête sociale - étant un constat de personne assermentée - vaut jusqu’à preuve du contraire.

Les faits

Un citoyen d’origine algérienne, inscrit au registre des étrangers, est aidé par le CPAS.

Le CPAS reçoit une dénonciation selon laquelle l’intéressé ne vivrait plus sur le territoire de la commune mais ailleurs chez une amie.

Après audition par le travailleur social, une proposition est faite par ce dernier de retirer l’aide sociale avec effet rétroactif de six mois et d’exiger le remboursement des sommes indûment perçues.

Le chef d’antenne ajoute à ce rapport une proposition de sanction pour fausses déclarations.

Le CPAS décide de supprimer le revenu d’intégration pour une période trois mois, prenant effet au 1er du mois qui suit. Cette suppression est justifiée par des déclarations volontairement inexactes et incomplètes à caractère frauduleux. Le CPAS prend cette sanction « par analogie » à l’article 30 de la loi du 26 mai 2002. Il est précisé que la sanction peut, s’il y a lieu, être poursuivie par le centre qui deviendrait ultérieurement compétent. En outre, le CPAS décide de poursuivre le remboursement de l’aide sociale avec effet rétroactif, pour la durée de six mois.

Un recours est introduit par l’intéressé contre ces décisions.

Ultérieurement, une nouvelle demande d’aide sera introduite, demande qui sera accordée au taux isolé, mais npn pour la partie de la période qui se situe dans la durée de la sanction de trois mois.

Position du tribunal

Par jugement du 25 septembre 2008, le tribunal du travail de Bruxelles met à néant la décision du CPAS en ce qu’elle vise à la fois la sanction et la récupération de l’aide sociale. En outre, le CPAS est condamné au paiement de l’aide financière mensuelle égale au revenu d’intégration sociale au taux isolé, à augmenter des intérêts au taux légal depuis le dépôt de la requête, et ce pour la période de temps entre la décision administrative et l’introduction de celle-ci.

Position des parties en appel

Le CPAS interjette appel, faisant valoir que, dans le cadre de l’enquête sociale, l’intéressé a reconnu qu’il hébergeait un sans-papiers, qu’il versait à celui-ci une somme de 100€ par mois afin de lui permettre de régler le loyer et que, quant à lui, il cohabitait avec son amie. Pour le CPAS, il y avait dès lors cohabitation avec une personne bénéficiant de revenus, celle-ci étant au chômage et ayant la qualité de chef de ménage.

En ce qui concerne la sanction, le CPAS se réfère à justice, ainsi que sur le fait que les conditions pour bénéficier de l’aide sociale sont à nouveau réunies pour la période postérieure à sa décision.

Le CPAS considère que les déclarations de l’intéressé, dans le cadre de l’enquête sociale, ne pouvaient être minimisées dans l’appréciation des faits, et ce d’autant qu’une enquête complémentaire effectuée après le jugement est venue confirmer la réalité exposée. Pour le CPAS, il y a dès lors lieu de retenir à titre principal la cohabitation avec une amie ou à titre subsidiaire la cohabitation avec l’ami hébergé, ce dernier payant le loyer hors les 100€ que lui versait le demandeur. En ce qui concerne la situation du sans-papier, le CPAS refuse de considérer qu’il est sans ressources – ce qui est d’ailleurs confirmé selon lui par sa participation au loyer.

Quant au demandeur, il expose la situation difficile dans laquelle il se trouvait avant sa prise en charge par le CPAS, relate l’épisode de l’hébergement d’un ami en séjour illégal, situation qui n’a été qu’un dépannage et a eu une durée limitée.

Il insiste également sur les déclarations qui lui sont imputées dans le rapport d’enquête sociale. Pour l’intéressé, en effet, la force probante qui s’attache aux constatations consignées par l’assistant social ne porte que sur celles qui sont contresignées contradictoirement. En outre, il considère qu’il faut avoir égard au fait que les faits en cause n’ont pas été constatés personnellement par l’assistant social. Il incombe, pour lui, au CPAS qui invoque la cohabitation d’établir celle-ci, ce qui n’est pas le cas, ni pour son amie (avec qui il avait certes une liaison et à qui il rendait souvent visite), ni avec son ami en séjour illégal (un hébergement n’étant pas une cohabitation d’autant qu’il n’est pas établi qu’il en serait résulté pour lui une amélioration de sa situation financière). Il considère que, pour qu’il y ait récupération, il faut qu’il soit constaté que les conditions d’octroi ne sont pas réunies - ce qui ne résulte pas de sa situation, de même que n’est pas établi l’hébergement pendant près de six mois d’un ami en séjour illégal et sans ressources.

Il fait enfin valoir que la récupération aurait une incidence particulièrement lourde, puisque l’aide sociale équivalant au revenu d’intégration sociale au taux isolé lui a de nouveau été accordée vu sa situation personnelle et financière.

Position de la Cour

La Cour est saisie des deux décisions prises par le CPAS, la première étant la sanction et la seconde le remboursement de l’aide sociale payée indûment.

Elle rappelle, d’abord, en droit qu’en vertu de l’article 60, § 1er de la loi du 8 juillet 1976, le rapport de l’enquête sociale, établi par le travailleur social fait foi jusqu’à preuve du contraire pour ce qui concerne les constatations de fait qui y sont consignées contradictoirement. Le travailleur social est celui visé à l’article 44 de la loi.

Cette disposition a été introduite par la loi du 12 janvier 1993 (loi du 12 janvier 1993 contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire – M.B., 4 février 1993) aux fins de donner valeur probante aux données objectives énoncées dans le rapport du travailleur social assermenté, ainsi que ceci figure dans les travaux préparatoires de la loi (Doc. Parl. Ch. 630/1-91/92 – p.9).

La Cour rappelle que le corollaire de cette mesure est que les travailleurs sociaux doivent prêter serment avant leur entrée en fonction.

En conséquence, la force probante du rapport d’enquête sociale ne dépend pas de la question de savoir s’il a été contresigné ou non par le demandeur d’aide. Ce rapport vaut, en réalité, jusqu’à preuve du contraire, étant un constat d’une personne assermentée.

Quant à la preuve contraire, elle peut être rapportée par toute voie de droit.

La Cour précise que la force probante ne porte que sur les constatations matérielles faites par le travailleur social assermenté, et ce dans les limites de ses attributions. Elle ne s’attache pas aux déductions qu’il peut tirer des constatations matérielles en cause. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 27 mai 1980, Pas., I, p. 1177 notamment). La force probante ne porte pas davantage sur la sincérité des déclarations actées par le travailleur social ou encore sur l’exactitude des faits rapportés. C’est encore ici la Cour de cassation qui a fixé le principe (Cass., 6 juin 1966, Pas., I, p. 1269).

En vertu d’autres arrêts (notamment Cass., 28 mai 1986, R.G. 4852 n° 605 (et références citées en note) et Cass., 4 octobre 2006, R.G. P.060545.F), la force probante porte sur les déclarations dont le travailleur social a pris acte. Jusqu’à preuve du contraire, celles-ci doivent être considérées comme ayant été faites dans les termes qui ont été utilisés par le travailleur social consignés dans son rapport. La sincérité de ces déclarations ainsi que les déductions pouvant en être tirées en droit restent soumises à l’appréciation du juge.

Examinant en l’espèce les éléments contenus dans le rapport, ainsi que les explications des parties, la Cour va retenir qu’il n’y a pas d’attitude frauduleuse dans le chef de l’intéressé et qu’il répond aux conditions d’octroi pour une aide sociale pendant toute la période litigieuse. Elle retient cependant la cohabitation de fait au domicile avec l’ami sans papiers, puisqu’il contribuait aux charges du ménage (loyer). Ceci entraînera l’octroi de l’aide sociale au taux cohabitant du revenu d’intégration sociale.

Enfin, sur la sanction (sur laquelle le CPAS réfère à justice), la Cour rappelle que l’article 30 de la loi du 26 mai 2002, invoqué comme soutènement de la décision de la sanction ne concerne que le droit au revenu d’intégration sociale et non l’aide sociale. Celle-ci vise le droit fondamental de toute personne à vivre de manière digne, la dignité humaine étant garantie par la Constitution.

Intérêt de la décision

L’arrêt est intéressant à deux titres : d’une part quant à la valeur du rapport de l’enquête sociale, dans lequel certains éléments font foi jusqu’à preuve du contraire et d’autres sont soumis à l’appréciation du juge et d’autre part quant à la portée des sanctions de la loi du 26 mai 2002 : application au revenu d’intégration sociale mais non à l’aide sociale.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be