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La recevabilité du recours introduit par un demandeur d’aide sociale contre le C.P.A.S. avant que soit écoulé le délai d’un mois depuis la demande, en cas de refus du C.P.A.S. d’instruire celle-ci

Commentaire de Cass., 10 septembre 2012, n° S.11.0102.F

Mis en ligne le vendredi 4 avril 2014


Arrêt de la Cour de cassation du 10 septembre 2012, n° : S.11.0102.F

Terra Laboris ASBL

Les faits et antécédents de la cause

Mme S., déclarant venir de Guinée, a introduit pour elle et ses deux enfants une demande d’asile le 30 avril 2010. L’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (FEDASIL) lui a notifié une décision de refus de désignation d’un lieu obligatoire d’inscription en raison de la saturation de son réseau d’accueil.

Mme S. s’installe à Bruxelles et se rend les 1er et 2 septembre 2010 au C.P.A.S. pour y obtenir une aide sociale. Sa demande n’a pas été actée. Par courrier recommandé du 10 septembre 2010, elle invite, par la voie de son conseil, le C.P.A.S. à acter cette demande, qu’elle confirme.

Le 20 septembre 2010, Mme S. introduit devant le tribunal du travail un recours dirigé contre le C.P.A.S. et l’agence FEDASIL.

Entre-temps, elle a dû, fin décembre 2010, quitter les lieux qu’elle avait loués suite au non-paiement du loyer. Elle a fait un malaise en se rendant au C.P.A.S. et a dû être hospitalisée. Après sa sortie de l’hôpital, elle sera hébergée avec ses deux enfants au SAMU social puis enfin, depuis le 9 février 2011, en hébergement d’urgence via FEDASIL.

Le C.P.A.S. a invoqué l’irrecevabilité du recours, introduit avant l’expiration du délai d’un mois dont lui-même disposait pour statuer.

Par jugement du 23 novembre 2011, le tribunal du travail a dit recevable mais non fondée la demande contre FEDASIL et recevable et fondée la demande contre le C.P.A.S. de Bruxelles qui a été condamné à payer une aide sociale financière au taux avec charge de famille à partir du 1er septembre 2010 et à prendre en charge une garantie locative, jugement déclaré exécutoire par provision nonobstant tout recours et sans caution ni cantonnement.

Le C.P.A.S. a interjeté appel de cette décision.

Par un arrêt du 19 mai 2011, la huitième chambre de la cour du travail de Bruxelles (R.G. n° 2010/AB/1193) a dit non fondé l’appel du C.P.A.S. en ce qu’il visait à voir déclarer irrecevable le recours originaire de Mme S. Vu l ’hébergement par FEDASIL, il a estimé qu’il n’y avait plus d’urgence à prendre des mesures provisoires et a ordonné la réouverture des débats.

Quant à la recevabilité du recours formé contre le C.P.A.S. de Bruxelles, la cour du travail épingle sa pratique administrative. Il a en effet pris la décision de ne plus acter sur le registre tenu à cet effet les demandes d’aide sociale émanant d’un demandeur d’asile auquel FEDASIL a notifié une décision de refus d’hébergement en raison de la saturation de son réseau. Cette pratique administrative contrevient à l’article 58 de la loi du 8 juillet 1976.

En l’espèce, le refus de prendre en compte la demande d’aide est établi. Il s’agit d’un refus délibéré de prise en compte d’une demande qui doit être assimilée à une décision de refus. Le recours est donc recevable.

Le C.P.A.S. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

L’arrêt de la Cour de cassation

L’intérêt de l’arrêt réside dans la réponse aux deuxième et troisième branches du premier moyen, que la Cour de cassation a réunies. Ces branches faisaient grief à l’arrêt attaqué d’avoir assimilé le refus délibéré du C.P.A.S. de prendre en compte la demande d’aide à un refus d’aide. Le C.P.A.S. soutenait en substance qu’il ne ressortait pas des §§ 1er et 2 de l’article 58 de la loi du 8 juillet 1976 que le non-respect des obligations formelles que cette disposition prescrit aurait pour conséquence que le C.P.A.S. serait réputé avoir refusé la demande. Il convenait dès lors de respecter le prescrit de l’article 71 de la loi qui prévoit que le recours ne peut être formé que contre une décision ou une abstention de décider après l’écoulement du délai d’un mois à partir de la demande. Le C.P.A.S. invoquait également les articles 17 et 18 du Code judiciaire (exigence d’un intérêt né et actuel) et l’article 580, 8°, d) du même code qui détermine la compétence des juridictions du travail pour statuer sur les contestations en matière d’aide sociale.

La Cour de cassation rejette les deuxième et troisième branches réunies.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 58, § 1er, alinéa 1er, de la loi, la demande d’aide sociale doit être inscrite le jour de sa réception, par ordre chronologique, dans le registre tenu à cet effet par le Centre. Les alinéas 2 et 3 de ce § règlent les formes de la demande d’aide. L’article 58, § 2, prévoit que le Centre adresse ou remet le même jour un accusé de réception au demandeur. Cet article 58 n’exclut pas qu’il ne puisse déduire du refus d’un C.P.A.S. d’inscrire une demande d’aide sociale que ce Centre a refusé l’aide demandée.

Quant aux articles 17, 18, 580, 8°, d) du Code judiciaire et 71, alinéa 1er et 2 de la loi du 8 juillet 1976, ils n’excluent pas qu’un refus de l’aide sociale puisse être déduit de circonstances autres que celles visées à l’article 71, alinéa 2 (soit la carence de statuer dans le délai de trente jours à partir de la demande).

Pour le surplus, l’appréciation du comportement du C.P.A.S. est une appréciation en fait. Elle est souveraine et la critique de cette appréciation est irrecevable.

Intérêt de la décision

Le refus délibéré d’inscrire une demande d’aide peut donc être interprété comme un refus d’accorder l’aide sollicitée.

On ne peut que souscrire à cet enseignement de la Cour de cassation. Le délai d’un mois à partir de la demande est destiné à s’assurer que le C.P.A.S. n’accordera pas l’aide dans le délai qui lui est donné pour l’instruire et statuer. Lorsque le C.P.A.S. a pris une décision générale de refus d’inscrire et donc d’instruire certaines demandes, et que cette décision de principe a été appliquée dans le cas d’espèce, ce délai pour l’exercice d’un recours en carence n’a pas de sens.

Sur les obligations respectives des C.P.A.S. et de FEDASIL vis-à-vis des demandeurs d’asile, on se réfèrera à l’arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 31 mai 2012, commenté par Terra Laboris sur SocialEye News le 4 octobre 2012.

C’est également l’occasion de préciser que la situation des demandeurs d’asile fera l’exposé lors du colloque « Regards croisés sur la sécurité sociale », de la CUP, le 30 novembre 2012, de 13h30 à 18h00 à la Faculté de droit de l’Université de Liège, Sart-Tilman, auditoire de Méan. M. Dalemagne, P. Lambillon et Jean-Charles Stevens ont choisi le titre évocateur : « Les écueils de la loi accueil ou de Charybde en Csylla ». Le colloque abordera également les questions de la révision, la récupération de l’indu et la prescription, la responsabilité des institutions de sécurité sociale, les aspects de la preuve en droit de la sécurité sociale, le droit administratif et le droit de la sécurité sociale, la notion de rémunération pour le calcul des cotisations sociales et le détachement intra-communautaire. Un beau programme donc et l’ouvrage édité par Anthémis, qui sortira le même jour, comprend de nombreuses autres contributions.


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