Terralaboris asbl

Egalité de traitement quant au supplément d’allocations familiales au bénéfice des enfants du chômeur complet qu’il soit ou non indemnisé

Commentaire de C. trav. Liège, 14 septembre 2009, R.G. 34.257/06

Mis en ligne le mardi 11 mars 2014


Cour du travail de Liège, 14 septembre 2009, R.G. n° 34.257/06

Terra Laboris ASBL

Les faits

L’O.N.A.F.T.S. payait à Mme S., en tant qu’allocataire, les allocations familiales en faveur de ses deux enfants, le montant de ces allocations incluant le supplément prévu par l’article 42bis, alinéa 1er, des lois coordonnées. Le père des enfants et ancien compagnon de leur mère avait en effet la qualité d’attributaire se trouvant en chômage complet indemnisé depuis plus de six mois.

A partir du mois d’octobre 2004, l’O.N.A.F.T.S. a informé Mme S. qu’elle ne bénéficierait plus de ce supplément, le père n’étant plus indemnisé par le chômage depuis juillet 2004. Il semble qu’il ait renoncé volontairement aux allocations.

Le litige devant les juridictions du travail portait essentiellement sur les suppléments pour la période allant du 1er octobre 2004 au 31 mars 2005.

La décision du tribunal

La troisième chambre du tribunal du travail de Huy a, le 23 juin 2006 (R.G. n° 60.682) dit cette demande non fondée.

La procédure devant la cour du travail

Mme S. a interjeté appel du jugement, invoquant différentes discriminations.

La cour du travail du travail a, par un premier arrêt du 26 novembre 2007 (neuvième chambre, R.G. 34.257/06), écarté certaines des discriminations invoquées.

Elle a ainsi estimé que la variation du montant des allocations familiales en fonction du statut de l’attributaire
était un choix légitime du législateur et qu’on ne pouvait comparer l’article 42bis, alinéa 1er, des lois coordonnées et le système, résiduaire, instauré par la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties.

La cour du travail s’est par contre arrêtée sur la discrimination alléguée portant sur l’octroi des suppléments aux seuls chômeurs indemnisés. Elle a estimé qu’il ne lui était pas possible, à la lumière des travaux préparatoires, de se faire une opinion sur la conformité de l’article 42bis, alinéa 1er, des lois coordonnées aux articles 10 et 11 et la Constitution. Elle a également considéré que les dispositions de la convention relative aux droits de l’enfant, bien qu’elles n’aient pas d’effet direct dans l’ordre juridique des Etats parties, pouvaient néanmoins être utiles pour l’interprétation de texte normatifs nationaux.

Elle a ainsi posé à la Cour constitutionnelle la question si l’article 42bis, alinéa 1er, isolément ou conjointement avec les articles 2, 3, 26.2 et 27.3. de la Convention relative aux droits de l’enfant, violait les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils traitent différemment les enfants bénéficiaires de chômeurs complets indemnisés et les enfants bénéficiaires de chômeurs complets non indemnisés.

Par son arrêt du 30 octobre 2008 (R.G. n° 145/2008), la Cour constitutionnelle a répondu affirmativement à cette question.

La Cour constitutionnelle a d’abord décidé qu’elle était compétente pour se prononcer sur la discrimination instaurée par l’article 42bis même si c’est le Roi, qui, par l’arrêté royal du 25 février 1994, a déterminé les conditions d’octroi des prestations familiales dans le chef des chômeurs.

Statuant sur portée de la question préjudicielle, elle s’est refusée à la reformuler et à la limiter, comme l’y invitait le Conseil des ministres, à la situation des seuls enfants de chômeurs complets qui ne sont pas indemnisés parce qu’ils ont refusé volontairement aux allocations de chômage. Elle a également indiqué que ce sont les enfants qui sont, en droit, bénéficiaires des allocations familiales et qui sont donc concernés par la différence de traitement, ajoutant que les chômeurs complets non indemnisés ont en commun de ne pas percevoir d’allocations de chômage.

Quant au fond, la Cour constitutionnelle rappelle que les suppléments prévus à l’article 42bis ont été institués pour tenir compte de la situation de certaines familles que le législateur a considéré comme étant dans une situation socio-économique défavorisée et que l’absence d’allocations de chômage est de nature à rendre encore plus critique la situation financière des ménages dont font parties les enfants de chômeurs complets non indemnisés. Les conditions d’octroi des allocations de chômage sont certes déterminées par le Roi mais elles sont dénuées de pertinences pour déterminer le montant des allocations familiales dont les enfants sont en droit les bénéficiaires.

En outre, la Cour s’appuie sur l’article 2 de la convention relative aux droits de l’enfant pour décider que l’article 42bis des lois coordonnées viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

L’arrêt analysé interprète dès lors cet article 42bis en faisant abstraction du mot « indemnisés ». Il décide également que l’article 4 de l’arrêté royal du 25 février 1994 déterminant les conditions d’octroi des prestations familiales du chef des chômeurs est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il limite le montant des allocations familiales des chômeurs complets non indemnisés au montant de base à l’exclusion des suppléments. La cour du travail fait ainsi droit à la prétention de la dame S. en écartant, tant dans la loi que dans l’arrêté royal, la condition, illégale, que le chômage soit indemnisé.

Intérêt de cette procédure

Ce n’est pas la première fois que la Cour constitutionnelle applique la convention relative aux droits de l’enfant et notamment son article 2 pour interpréter les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle l’avait fait notamment pour statuer sur le droit à l’aide sociale des enfants de parents en séjour illégal (arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 juillet 2003, n° 106/2003). Il reste que la combinaison de la convention relative aux droits de l’enfant et des articles 10 et 11 de la Constitution mérite d’être rappelée.

Pour le surplus, au-delà du cas de la dame S. – qui semble ainsi heureusement résolu sous réserve d’un pourvoi – on sera attentif à la manière dont la réglementation va évoluer.

A la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, le législateur a, par l’article 216 de la loi du 22 décembre 2008 portant des dispositions diverses [I] modifié l’article 42bis pour accorder les suppléments aux chômeurs complets qu’ils soient ou non indemnisés.

Le législateur a néanmoins décidé que cette modification n’entrerait en vigueur qu’à la date déterminée par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres et cet arrêté n’a pas encore été pris. Lors des travaux préparatoires de cette loi du 22 décembre 2008, Mme Reuter, pour le groupe MR, a déclaré que « son groupe soutiendra l’amendement dans la mesure où les conditions d’octroi seront réglées par arrêté royal, à la condition toutefois que la disposition n’entre pas en vigueur avant l’échéance du délai de trois mois après lequel l’arrêt de la Cour constitutionnelle sera rendu définitif par la Cour de cassation » (Doc. chambre 52 1608/012, p. 16). Pourtant, ainsi que l’a souligné M. Gilkinet – qui avait, avec d’autres déposé le 17 novembre 2008 une proposition de modification de l’article 42bis à la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle (Doc. 52 1591/001) – même si l’arrêt de la Cour constitutionnelle était contesté par la Cour de cassation, le principe du rétablissement de l’égalité des enfants resterait valable.

Il est donc nécessaire, indépendamment d’un éventuel pourvoi en cassation, de mettre fin à cette discrimination.

Pour que l’enfant puisse bénéficier du taux majoré, il faut d’abord que le chômeur non indemnisé ait la qualité d’attributaire. L’arrêté royal du 25 février 1994 lui ouvre en règle la qualité dans les conditions qu’il détermine.

L’article 4, § 1er, prévoit que la qualité de chômeur est vérifiée par son inscription comme demandeur d’emploi, sa disponibilité sur le marché du travail et sa présence au pointage. Depuis la suppression du pointage des chômeurs au 15 décembre 2005, cette vérification était devenue, dans la pratique, vide de sens. En pratique depuis lors, tous les chômeurs non indemnisés ont été considérés comme attributaires s’ils satisfaisaient aux autres conditions fixées par cet arrêté royal.

Une première condition est que le chômeur n’ouvre pas le droit aux prestations familiales à un autre titre comme salarié ou indépendant. En outre, s’il est non indemnisé parce qu’il ne remplit pas les conditions d’admission, il faut qu’aucun autre membre de son ménage n’ouvre un droit aux prestations familiales.

Ce droit aux allocations familiales n’est pas accordé dans certaines hypothèses dans lesquelles le droit aux allocations suspendu ou exclu : refus d’emploi après récidive, autres hypothèses de chômage par le propre fait du chômeur dans l’intention de devenir ou rester chômeur ou après récidive, non-indemnisation pour défaut de diverses conditions d’octroi (résidence, détention préventive ou privation de liberté, reprise d’études, absences des conditions relatives au permis de travail ou permis de séjour) et application d’une sanction administrative en cas de récidive.

On observera que l’O.N.A.F.T.S. avait déjà, à la suite de la suppression du pointage, proposé des modification à l’arrêté royal du 25 février 1994 allant dans le sens d’une économie (proposition n° 189 annexée à Doc. chambre 52 608/012, pp. 23 et 24). Ainsi de nouveaux cas d’exclusion de la qualité d’attributaire seraient prévus : refus d’indemnisation parce que le chômeur ne satisfait pas aux conditions d’admissibilité et exclusion pour chômage de longue durée.

Depuis lors, la mesure d’exclusion pour chômage de longue durée a été suspendue et remplacée par les mesures prises à l’encontre du chômeur qui n’est pas activement à la recherche d’un emploi. Celles-ci ne touchent pas seulement les cohabitants dans un ménage disposant d’un certain niveau de revenus mais également les chefs de ménages et les isolés. On aperçoit dès lors tout l’enjeu financier du débat sur une réglementation qui devrait mettre les enfants de chômeurs indemnisés et non indemnisés sur un pied d’égalité.


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