Terralaboris asbl

L’apport de connaissances de gestion à un tiers est-il compatible avec des allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2013, R.G. n° 2012/AB/217

Mis en ligne le jeudi 6 mars 2014


Cour du travail de Bruxelles, 4 septembre 2013, R.G. n° 2012/AB/217

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 septembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, d’une part, que l’activité de mandataire de société est une activité exercée pour compte propre et que, d’autre part, dès qu’un chômeur apporte à une activité indépendante exercée par un tiers ses propres connaissances de gestion, il y a activité au sens de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante.

Les faits

Un travailleur salarié fait apport de compétences de gestion dans une activité indépendante exercée par son fils. Dix mois plus tard, il est mis fin à cette activité salariée et l’intéressé sollicite l’octroi d’allocations de chômage. Il ne fait cependant pas de référence à l’exercice d’une activité accessoire.

Il devient, quelque temps après, cogérant d’une société que constitue alors son fils et y fait de nouveau apport de compétences en matière de gestion. Huit mois plus tard, il retrouve du travail en qualité de salarié.

Il est convoqué par l’ONEm, qui l’auditionne début 2010, eu égard à l’exercice de cette activité, qui serait, pour l’Office, incompatible avec le bénéfice d’allocations de chômage.

Les explications données sont qu’il a permis, lorsque son fils est devenu indépendant, en 2008 (soit pendant qu’il était lui-même toujours salarié), d’entreprendre une activité indépendante en lui apportant l’accès à la profession. Il confirme être devenu gérant de la société qui a ultérieurement été constituée et fait valoir l’absence d’activité dans son chef ainsi que celle de rémunération.

Une décision est prise, l’excluant du bénéfice des allocations depuis la demande (février 2009), et ce jusqu’à ce qu’il ait retrouvé du travail (février 2010). L’ONEm prend également une décision d’exclusion de quatre semaines (omission de déclaration) ainsi qu’une autre de vingt-six semaines (non respect de l’obligation de noircir sa carte de contrôle lorsqu’une activité est exercée et qu’elle est incompatible avec les allocations).

Suite au recours introduit par l’intéressé, le Tribunal du travail de Nivelles rend un jugement le 3 février 2012, confirmant le bien-fondé de la décision de l’ONEm.

Appel est dès lors interjeté.

Position de l’appelant

L’appelant fait essentiellement valoir l’absence de rémunération et de travail, au sens de l’article 44 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il en découle, pour lui, que le droit aux allocations existait pour la période concernée et qu’il n’y a pas lieu à sanction. A titre subsidiaire, il fait valoir sa bonne foi aux fins de limiter la récupération aux 150 dernières allocations. Il sollicite encore la réduction de la sanction d’exclusion au minimum.

Décision de la cour

La cour est ainsi amenée à rappeler les principes contenus aux articles 44 et 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

En l’occurrence, une distinction doit être faite en fonction de deux périodes distinctes.

La première concerne l’apport de compétences de gestion lorsque, en 2008, le fils de l’intéressé a entamé une activité indépendante. La cour rappelle ici les principes tels que repris dans la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante, à savoir que la preuve des connaissances de base en matière de gestion est fournie par le chef d’entreprise indépendante ou par une autre personne, étant dans ce cas celle qui exerce effectivement la gestion journalière. Cette exigence doit être respectée et, dès lors que le chômeur apporte ses compétences en matière de gestion, il doit être considéré comme exerçant une activité dans ce cadre. Celle-ci n’est pas limitée à la gestion normale des biens propres vu qu’elle ne peut pas être considérée comme ne s’intégrant pas dans le courant des échanges économiques de biens et de services. La circonstance qu’elle était non rémunérée n’implique pas que l’activité en cause était compatible avec les allocations de chômage.

Pour la seconde période, étant celle relative à la participation à la constitution d’une société, la cour constate que père et fils ont été nommés comme gérants, et ce à titre gratuit. En outre, a été maintenue la situation concernant l’apport des compétences de gestion, de telle sorte que deux critères doivent être ici pris en compte.

Pour le mandat de cogérant, la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 2005 (Cass., 3 janvier 2005, R.G. n° S.04.0117.F), étant que l’exercice d’un mandat d’administrateur d’une société commerciale est une activité effectuée pour compte propre au sens de l’article 45, alinéa 1er, 1° de l’arrêté royal. Dès lors, le mandat exercé au sein d’une société de lucre dans un secteur économique (échange de biens et de services) dépasse la gestion des biens propres et, ici, n’intervient pas le caractère rémunéré ou non de ce mandat. Une nuance est apportée, étant que la présomption d’exercice d’une activité peut être renversée, soit parce que la société était inactive soit parce que le mandat n’a pas été réellement exercé.

La cour constate cependant que l’activité était bien réelle, ce que l’amène à examiner le sort à réserver à l’apport de compétences de gestion. Elle renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 7 mars 2012, R.G. n° 2001/AM/151), selon lequel en « donnant » ses compétences entrepreneuriales à une entreprise, un chômeur est censé exercer effectivement la gestion de celle-ci, eu égard aux critères de la loi du 10 février 1998 et de son arrêté royal d’exécution du 21 octobre 1998. Il ne peut être soutenu qu’il ne s’agissait que d’une facilité de pure complaisance et la Cour du travail de Mons avait souligné que, ce faisant, le chômeur se prévaudrait d’une violation des dispositions en matière d’activité indépendante pour contester la décision (légale) de l’ONEm. Il y a dès lors travail au sens de l’article 45 et incompatibilité avec les allocations de chômage.

La Cour du travail de Bruxelles rejoint cette conclusion de la Cour du travail de Mons, l’intéressé devant être considéré comme ayant assuré la gestion effective de la société.

Reste, vu ces constatations, à examiner la question de la récupération des allocations ainsi que de la sanction.

La cour va retenir, pour la récupération, qu’il y avait bonne foi, et ce eu égard à diverses circonstances de fait (diverses circonstances permettant d’établir l’ignorance de l’intéressé quant à l’incidence de l’apport de compétences sur les allocations de chômage). Elle constate que le chômeur n’a eu ni la conscience ni l’intention de percevoir indûment des allocations. Elle renvoie également au caractère non rémunéré de l’activité mais surtout au manque de clarté du formulaire C1 à l’époque, qui permettait éventuellement une mauvaise compréhension de la question.

Enfin en ce qui concerne les sanctions d’exclusion, la cour les réduit également, tenant compte du long passé professionnel de l’intéressé et de l’absence d’antécédents, accordant même un sursis partiel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle une nouvelle fois qu’un apport de compétences, aux fins de permettre à un tiers d’exercer une activité indépendante réglementée par un accès à la profession, est une activité au sens de la réglementation chômage. Le chômeur doit dès lors en tenir compte lorsqu’il sollicite le bénéfice des allocations, s’agissant, comme en l’espèce, d’une activité qui aurait déjà été exercée alors qu’il avait lui-même une activité professionnelle propre.

L’arrêt rappelle encore très utilement l’arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 2005, qui a considéré que l’exercé du mandat d’activité d’une société commerciale est une activité pour compte propre, au sens de l’article 45 de l’arrêté royal et qu’elle doit dès lors répondre aux critères de cette disposition. Il ne s’agit pas d’une activité pour compte de tiers.


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