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Le travailleur licencié en période de congé parental à temps partiel peut-il prétendre à des indemnités calculées sur la base d’une rémunération à temps plein ?

Commentaire de C.J.U.E., 22 octobre 2009, n° C-116/08

Mis en ligne le mercredi 5 mars 2014


Cour de Justice des Communautés Européennes (3e chambre), 22 octobre 2009, inédit, affaire n° C-116/08, Christel Meerts c/ Proost S.A.

TERRA LABORIS ASBL - Alain VERMOTE

A la suite à une question préjudicielle posée par notre Cour de Cassation, la Cour de Justice des Communautés Européennes a posé en principe que l’indemnité compensatoire de préavis du travailleur licencié avant la fin d’un congé parental devait prendre en compte la rémunération à temps plein.

Les faits

La travailleuse a débuté ses prestations pour la société Proost en septembre 1992 dans les liens d’un contrat d’emploi à durée indéterminée à temps plein.

A partir du mois de novembre 1996, elle a bénéficié de diverses formes d’interruption de carrière.

A dater du 18 novembre 2002, ses prestations se sont déroulées à mi-temps en raison d’un congé parental de 6 mois qui aurait dû prendre fin le 17 mai 2003.

Toutefois, avant le terme prévu pour ce congé parental, l’employeur, en date du 8 mai 2003, licencie la travailleuse moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 10 mois calculée sur la base de la rémunération à mi-temps.

La procédure devant les juridictions du travail

La travailleuse a saisi le Tribunal du Travail de Turnhout en vue d’obtenir une indemnité de rupture calculée sur la rémunération à temps plein qu’elle aurait perçue si elle n’avait pas réduit ses prestations à mi-temps en raison du congé parental.

Par jugement du 22 novembre 2004, le Tribunal du Travail l’a, toutefois, débouté de sa demande de voir l’indemnité de rupture calculée sur la base d’un temps plein mais lui a accordé un mois complémentaire d’indemnité, portant le délai de préavis à un total de 11 mois.

Par arrêt du 28 février 2006, la Cour du Travail d’Anvers a rejeté l’appel introduit par la travailleuse et confirmé le jugement.

La Cour du Travail a, en effet, jugé que la réglementation en matière de congé parental « ne contient pas de dispositions déterminant l’importance et la composition de la rémunération de base annuelle qui sert à déterminer le montant de l’indemnité de congé correspondante, de sorte qu’il y a lieu, à cet égard, de faire application du droit ‘commun’ du travail, savoir l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978. » et que « pour déterminer l’importance de l’indemnité de congé, il y a lieu de tenir compte de la ‘rémunération en cours’ à laquelle [la travailleuse] avait droit au moment du licenciement. » à savoir celle à mi-temps.

La décision de la Cour de Cassation

Dans son pourvoi en cassation, la travailleuse a reproché à la Cour du Travail de n’avoir pas interprété les dispositions de doit belge à la lumière du droit européen applicable et, en particulier, de la directive 96/34 du 3 juin 1996 concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par les organisations européennes d’employeurs et de travailleurs.

Accueillant favorablement cet argument, notre cour suprême a sursis à statuer et a demandé à la Cour de Justice des Communautés Européennes qu’elle statue à titre préjudiciel sur la question de savoir si, en cas de rupture unilatérale du contrat de travail par l’employeur, sans motif grave ou sans préavis légal, au cours du régime des prestations de travail réduites, les dispositions de l’accord-cadre sur le congé parental devaient être interprétées dans un sens où l’indemnité compensatoire de préavis devait être déterminée en considérant la rémunération comme si le travailleur n’avait pas bénéficié du congé parental.

La décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes

Après un rappel du cadre juridique communautaire et des dispositions internes belges applicables, la Cour s’est prononcé en faveur de la recevabilité de la question préjudicielle, qui avait été mise en cause notamment par le gouvernement belge.

Sur le fond, la cour a relevé que le point 6 de la clause 2 de l’accord cadre sur le congé parental dispose que les « droits acquis ou en cours d’acquisition » par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus dans leur état jusqu’à la fin dudit congé.

La Cour a, tout d’abord, mis cette disposition en lien avec les objectifs fondamentaux poursuivis par l’accord-cadre, à savoir :

  • La mise en œuvre d’une égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes en leur permettant de mieux concilier leurs responsabilités professionnelles et leurs obligations familiales ;
  • L’encouragement à l’introduction de nouveaux modes d’organisation du travail plus adaptés aux besoins changeants de la société, en tenant compte à la fois des besoins de l’entreprise et de ceux des travailleurs ;
  • La réalisation des objectifs de la charte européenne des droits fondamentaux, qui visent à l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu’à l’existence d’une protection sociale adéquate de tous les travailleurs.

La Cour en a déduit que le point 6 de la clause 2 de l’accord-cadre vise bien à éviter aux travailleurs la perte ou la réduction des « droits acquis ou en cours d’acquisition » en raison du congé parental et a fait remarquer que cette notion de « droits acquis ou en cours d’acquisition » relève bien de l’ordre communautaire et non du droit interne des Etats membres.

Vu ce qui précède, la Cour en a conclu que ladite clause exprime un principe de droit social communautaire qui revêt une importance particulière et ne saurait faire l’objet d’une interprétation restrictive, pas même au regard du point 7 de la clause 2 qui, pour la détermination du régime du contrat ou de la relation de travail durant le congé parental, renvoie au droit interne des Etats membres et/ou aux partenaires sociaux.

A l’instar de son avocat général, la Cour a tenu à préciser que le droit interne d’un Etat membre qui opterait pour une interprétation restrictive de la notion de « droits acquis ou en cours d’acquisition » ne pourrait que dissuader les travailleurs de solliciter un congé parental et inciter les employeurs à licencier, parmi leurs travailleurs, ceux qui sont en situation de congé parental.

A l’encontre de l’argumentation développée, à l’audience, par le gouvernement belge, la Cour a, par ailleurs, insisté sur le fait que le travailleur en congé parental à mi-temps ou à 4/5e n’est pas dans une situation différente de celle du travailleur qui a suspendu complètement ses prestations en raison du congé parental puisque l’un et l’autre sont dans une situation identique par rapport au contrat de travail initial qui les lie à l’employeur et que, pour l’un comme pour l’autre, la situation de congé parental est limité dans le temps.

En outre, la Cour a souligné que, même en congé parental à mi-temps ou à 4/5e, le travailleur continue à acquérir une ancienneté complète, qui compte pleinement en cas de licenciement et qu’il perçoit de l’ONEm une allocation destinée à compenser la réduction de sa rémunération complète.

La Cour de Justice en a conclu que les points 6 et 7 de la clause 2 de l’accord-cadre sur le congé parental doivent être interprétés en ce qu’ils s’opposent à ce que l’indemnité compensatoire de préavis du travailleur à temps plein licencié en période de congé parental à temps partiel soit calculée sur la base de la rémunération réduite que ce travailleur perçoit lorsque que le licenciement survient sans préavis et sans motif grave.

L’intérêt de cette décision

La question, à présent tranchée par la Cour de Justice de Communautés Européennes, a été controversée dans le monde du travail et dans notre jurisprudence interne. En exécution de l’accord-cadre sur le congé parental, notre droit interne a prévu une série de protections en faveur du travailleur qui opte pour ce type de congé et réduit son « employabilité » mais lorsqu’un licenciement survenait, un calcul des indemnités sur base du salaire temporairement à temps partiel avait pour effet d’en réduire le coût et de rendre les dispositions protectrices de facto inopérantes.

En recentrant la question sur le droit communautaire, la Cour a rappelé que le droit au congé parental repose sur d’objectifs sociaux fondamentaux qui doivent présider à l’interprétation des normes dérivées, comme celle de « droits acquis ou en cours d’acquisition » et a posé en principe que l’indemnité compensatoire de préavis devait être calculée comme si la rémunération avait été payée à temps plein ; il serait logique qu’il en soit de même pour l’indemnité de protection (due par l’employeur qui reste en défaut de démontrer que le licenciement est lié à un motif étranger au congé parental) quoique l’arrêt commenté n’aborde pas cette question.

Par ailleurs, l’on peut se demander si l’arrêt n’est pas de nature à donner un nouveau souffle à la question du calcul des indemnités dans le cas où le licenciement survient en période de crédit-temps à mi-temps ou de réduction des prestations à 4/5e prévus par la CCT 77bis, question que l’on pensait définitivement tranchée par l’arrêt n°51/2008 du 13 mars 2008 de notre Cour Constitutionnelle, dans un sens contraire à celui pris par l’arrêt commenté ci-dessus, étant entendu que la CCT 77bis ne repose, quant à elle, pas sur une directive européenne mais qu’elle poursuit des objectifs analogues à la directive congé parental et peut être rattachée à l’exercice de droits sociaux fondamentaux.


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