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Licenciement abusif de l’ouvrier : rappel des règles de preuve et appréciation du motif

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 août 2013, R.G. 2011/AB/931

Mis en ligne le jeudi 24 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 22 août 2013, R.G. n° 2011/AB/931

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 août 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle le juge doit apprécier si la décision de licencier est légitime, à savoir si l’employeur pouvait raisonnablement licencier pour le motif invoqué.

Les faits

Un ouvrier technicien engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée est licencié un an et demi après son engagement moyennant paiement d’une indemnité de rupture. Le congé n’est pas motivé mais le C4 fait état d’une « restructuration ». Interpellé par le conseil de l’ouvrier, la société expose dans un courrier que celui-ci est fondé sur son comportement agressif, verbal et ensuite physique vis-à-vis de ses collègues. Il est fait état d’une altercation avec un collègue nommément désigné.

Une procédure étant introduite devant le tribunal, l’intéressé obtient gain de cause par jugement du 15 juillet 2011.

La société interjette appel.

Position des parties en appel

La société, appelante, sollicite la réformation du jugement et, à titre subsidiaire, demande à pouvoir prouver des faits côtés, à propos d’événements survenus quelque temps avant le licenciement.

L’intéressé demande, pour sa part, confirmation du jugement.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, qui détermine les règles en matière de licenciement abusif. Cette disposition contient notamment une présomption légale, étant qu’est considéré comme abusif le licenciement effectué pour des motifs illicites (sans lien avec l’aptitude ou la conduite de l’ouvrier ou n’étant pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service). L’article 63 prévoit que la charge de la preuve des motifs incombe à l’employeur en cas de contestation.

La cour rappelle dès lors que, dans le cadre du renversement de la présomption, l’employeur est tenu d’établir la réalité des faits invoqués ainsi que le lien de causalité entre ceux-ci et le licenciement.

Elle reprend ensuite les principes qui doivent guider le juge, dans le cadre de ce contrôle judiciaire (contrôle marginal), étant que le juge examine la légalité du motif mais ne va pas décider si le travailleur est apte à exécuter la tâche confiée ou si son comportement convient ou non à l’employeur. Ces appréciations relèvent de la compétence de ce dernier. Le juge va vérifier s’il s’agit d’un motif valable de licenciement, c’est-à-dire si une telle décision pouvait être prise par un employeur raisonnable. Le contrôle judiciaire intervient dès lors en trois temps, étant (i) preuve par l’employeur de l’existence des faits ayant justifié sa décision, (ii) preuve du lien de causalité entre ceux-ci et le licenciement et (iii) examen du caractère légitime de la décision de licencier ainsi intervenue. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, S.09.0092.N), étant qu’il faut déterminer si l’employeur pouvait raisonnablement licencier l’ouvrier pour le motif invoqué.

La cour poursuit en rappelant quelques principes constants, étant que le motif ne doit pas s’identifier avec la faute et que le licenciement ne doit pas être motivé formellement, les raisons réelles pouvant d’ailleurs être fournies uniquement dans le cadre de la procédure.

C’est ensuite sur le mécanisme de la preuve que la cour s’attarde, étant que la présomption légale ne sera renversée que si la preuve certaine du motif est rapportée (renvoyant à deux arrêts de la Cour de cassation : Cass., 18 juin 2001, S.99.0153.F et Cass., 22 juin 2009, J.T.T., 2009, p. 387).

Il en découle que de simples allégations ne suffiront pas à renverser la présomption. En cas d’incertitude, le doute va profiter au travailleur et celui qui a la charge de celle-ci et qui échoue dans son obligation supporte le risque de preuve.

La cour va appliquer ces principes au cas d’espèce et relever, essentiellement, les faits permettant d’établir si l’intéressé a eu un comportement agressif. Elle constate que le motif est invoqué pour la première fois après le licenciement, étant en réponse au courrier du conseil, réclamant l’indemnité compensatoire de préavis. Aucun élément ne figure au dossier, datant de la période contractuelle qui permettrait de constater que l’employeur aurait mis celui-ci en garde contre de tels comportements. Les attestations faisant état de faits à charge de l’ouvrier sont par ailleurs considérées comme trop vagues, imprécises ou confuses et, en tout état de cause, postérieures au litige. La cour constate que l’on n’aperçoit pas, dans ces déclarations, le lien avec la décision de licenciement, intervenu en mars 2009.

Enfin, sur un événement plus précis, la cour en souligne également le caractère vague et, surtout, retient que les faits visés sont confirmés dans une attestation écrite deux ans et sept mois après les faits (élément que la cour souligne).

La conclusion est que si certains faits sont établis, la conduite agressive de l’intéressé, antérieurement à ceux-ci ne l’est pas, l’employeur ne s’est aménagé aucun élément de preuve. S’agissant par ailleurs de faits isolés intervenus dans un contexte non clairement déterminé, ils sont jugés comme insuffisants pour justifier raisonnablement la décision de licenciement.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprend en de termes succincts mais clairs les principes en la matière et, particulièrement, le risque de preuve si l’employeur n’arrive pas à apporter la preuve certaine du motif invoqué, et ce vu l’existence de la présomption légale de licenciement abusif contenue à l’article 63.

La cour fait application des principes exigés par la Cour de cassation dans ses derniers arrêts, quant à l’appréciation en fait des motifs pouvant justifier raisonnablement un licenciement. En l’espèce, la cour considère comme non suffisants des éléments certes établis mais isolés et ne permettant pas de conclure à l’existence du motif visé par l’employeur, étant un comportement plus général.


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