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Possibilité pour l’entreprise d’assurances de remettre en cause la preuve de l’accident plusieurs années après son acceptation ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 août 2007, R.G. 45.956

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 27 août 2007, R.G. 45.956

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 27 août 2007, la Cour du travail de Bruxelles est confrontée à une contestation de l’entreprise d’assurances portant sur la réalité de l’événement soudain, contestation soulevée plusieurs années après la reconnaissance de celui-ci. Elle considère que cette contestation ne peut être prise en considération, sur la base du principe de loyauté des débats.

Les faits

Monsieur S. est victime d’un accident du travail en date du 11 juin 1999, accident ayant provoqué une luxation des deux épaules. Les faits sont déclarés à l’employeur le 14, lequel envoie, le même jour, la déclaration à son entreprise d’assurances. La description de l’accident est très sommaire (la déclaration faisant état de ce que le travailleur s’est « senti mal à l’aise » et s’est évanoui).

Le 25 juin, l’entreprise d’assurance émet des réserves quant à l’acceptation des faits. L’intéressé adresse alors des explications complémentaires, exposant que, après toute une journée de travail en cuisine, il a dû rester sur les lieux du fait d’un problème posé par un congélateur. Alors qu’il tentait de dégager un gros glaçon, dans une position inconfortable, il a ressenti une douleur tellement forte dans les deux épaules (due à une luxation) qu’il s’est évanoui.

Après ces explications, l’entreprise d’assurances accepte d’intervenir et reconnaît ainsi les faits comme constitutifs d’un accident du travail.

L’évolution médicale du cas n’est pas satisfaisante et l’intéressé connaît différentes rechutes. L’entreprise d’assurances refuse alors de prendre en charge l’incapacité au-delà du 18 décembre 1999, ainsi que l’opération réalisée en mai 2000.

La victime introduit donc une procédure devant le Tribunal du travail, qui, constatant que le litige entre les parties est exclusivement médical, désigne un médecin expert afin d’évaluer les conséquences de l’accident. Après un premier rapport intermédiaire en 2001 (concluant à l’absence de consolidation des lésions), l’expert dépose son rapport définitif en février 2002, concluant à une IPP de 18%.

Par voie de conclusions de décembre 2002, l’entreprise d’assurances conteste alors les conclusions de l’expert (estimant qu’il n’y a pas d’incapacité permanente). Par la voie de cet acte de procédure, elle remet par ailleurs en cause la qualification des faits, considérant que l’événement soudain n’est pas prouvé par la victime.

La décision de la Cour

Sur l’existence d’un accident du travail

La Cour commence par rappeler qu’en conséquence du caractère d’ordre public de la loi, la prise en charge de l’accident par l’entreprise d’assurances ne préjuge pas de la réalité de l’accident, ne la lie pas pour l’avenir (aucun aveu ne pouvant être reçu) et impose au Juge de trancher le litige sans pouvoir se référer à un éventuel accord des parties.

Elle signale ensuite que la notion d’événement soudain comporte deux éléments, l’un de fait (s’agissant de l’existence d’un événement précis, déterminé dans le temps et dans l’espèce) et l’autre juridique (la qualification de l’événement en « accident du travail »). Elle rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 22 févr. 1999, Pas., 1999, I, 100), selon laquelle la reconnaissance d’un élément de fait (dans l’arrêt de la Cour de cassation, la période d’ITT) peut lier l’entreprise d’assurances.

Vu le fait, qu’en l’espèce, l’entreprise d’assurances a reconnu, dans un premier temps, que la preuve des faits était rapportée par l’intéressé (qui, du fait de cette reconnaissance ne s’est ménagé aucun élément de preuve supplémentaire), le principe de loyauté fait obstacle à ce que l’entreprise d’assurances remette en causes la réalité des faits, d’autant que cette nouvelle position ne s’appuie sur aucun élément nouveau et résulte manifestement du caractère grave des séquelles de l’accident (et donc de l’importance de l’indemnisation à accorder).

Sur le principe de loyauté, la Cour estime qu’il constitue un principe directeur de toute procédure et s’applique également au droit de la preuve, imposant aux parties de collaborer loyalement à l’administration de celle-ci.

De ces principes, la Cour tire la conclusion que, si l’entreprise d’assurances peut revenir sur sa position (vu le caractère d’ordre public de la loi), le revirement ne peut se réaliser sans nouvel élément, sans quoi, il y a violation du principe de loyauté procédurale.

La Cour va ainsi reconnaître l’existence de l’événement soudain, sur la base des éléments du dossier et rejette la contestation de l’entreprise d’assurances, sur la base du principe de loyauté.

Sur l’indemnisation

La Cour se réfère aux conclusions de l’expertise médicale ordonnée par le premier Juge, laquelle concluait au caractère traumatique des lésions, notamment eu égard au fait que tout lien causal entre celles-ci et l’accident n’avait pas pu être exclu formellement.

Se fondant sur le caractère cohérent et motivé des conclusions de l’expert, la Cour rejette ainsi la contestation de l’entreprise d’assurances, estimant que la présomption de causalité n’est pas renversée.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision réside essentiellement dans les considérations réservées par la Cour à l’événement soudain et la (non) prise en compte d’une contestation tardive de l’entreprise d’assurances.

L’arrêt pourra ainsi être utilement utilisé dans les cas, malheureusement fréquents, où l’entreprise d’assurances remet en cause la preuve des faits des années après leur survenance et leur acceptation. L’accent mis sur l’impossibilité pour la victime d’apporter des éléments de preuve supplémentaires et le caractère déloyal de l’attitude de l’entreprise d’assurances ne peut qu’être approuvé.


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