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Licenciement par un employeur public : sanction du non respect de l’obligation d’audition et de motivation de la lettre de rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2010, R.G. 2009/AB/52.389

Mis en ligne le jeudi 3 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 22 décembre 2010, R.G. 2009/AB/52.389

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 22 décembre 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations de l’employeur public en cas de licenciement d’un travailleur contractuel pour des motifs liés à son comportement et reprend en outre les obligations qui s’imposent à tout employeur dans le cadre de l’exercice du droit de rupture.

Les faits de la cause

Une dame D. est au service d’une administration communale dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité d’assistante administrative.

Ses prestations sont évaluées, dans le courant des années 2004 et 2005 et relèvent des points forts ainsi d’autres, susceptibles d’améliorations. Début 2006, son supérieur hiérarchique rédige un mémorandum contenant de nombreux griefs relatifs à la qualité de son travail et demande son licenciement. Il remet copie de ce document à l’intéressée, qui, dès le lendemain, répond à chacun de ceux-ci et fait valoir son souhait de poursuivre l’exécution de son contrat de travail au service de l’administration communale. Elle est avisée, le même jour, de la tenue d’une séance du collège, en fin de journée, qui va très vraisemblablement prendre une décision sur la fin du contrat de travail. Ceci a effectivement lieu et l’intéressée en est avisée dès le lendemain, par lettre recommandée. Elle se trouve ainsi licenciée moyennant indemnité compensatoire de préavis équivalant à trois mois de rémunération.

L’employée introduit un recours devant le Tribunal du travail, demandant réparation du préjudice subi par la faute commise par l’administration communale lors de son engagement.

Le Tribunal du travail va la débouter, suite à quoi elle interjette appel.

Position des parties devant la Cour du travail

L’employée fait essentiellement valoir l’existence d’un abus de droit, la faute résidant à la fois dans le non respect des principes de droit administratif relatifs au respect des droits de défense et à la motivation formelle des actes administratifs, ainsi que l’absence de motifs légitimes pouvant justifier le licenciement.

L’administration communale conclut quant à elle qu’elle n’a commis aucune faute et que le licenciement était inévitable vu l’existence de nombreux avertissements.

La décision de la Cour du travail

La Cour du travail est amenée à rappeler les principes applicables à l’employeur lorsque celui-ci est une autorité administrative et, également, ceux régissant les obligations de tout employeur lors de la rupture du contrat.

En ce qui concerne l’employeur-autorité administrative, la Cour rappelle qu’il est tenu au respect d’obligations particulières : il s’agit d’une part de celle relative à l’audition du travailleur – audition préalable au licenciement - et d’autre part de la motivation formelle de la décision de licencier.

La Cour rappelle la jurisprudence des juridictions du travail ainsi que celle du Conseil d’Etat en la matière, gouvernant le principe général de droit relatif au droit d’être entendu. Celui-ci s’impose à toute autorité administrative lorsqu’elle envisage de prendre à l’égard d’une personne une mesure grave, notamment son licenciement pour des motifs liés à son comportement. Elle souligne également que l’audition préalable doit être effective, c’est-à-dire réalisée dans des conditions telles que non seulement l’agent doit être informé des motifs du licenciement envisagé mais également qu’il doit avoir la possibilité de s’expliquer sur ceux-ci et de faire valoir son point de vue sur la décision de licenciement elle-même. A cette première obligation s’ajoute celle relative à la motivation formelle de l’acte administratif, étant l’indication dans l’acte lui-même des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle reprend également l’arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 2008 (Cass., 29 mai 2008 RG C070193N), selon lequel si la motivation d’un acte administratif ressort d’autres pièces auxquelles il est fait référence dans l’acte, l’intéressé doit avoir été préalablement informé desdites pièces.

S’il y a manquement à ces (ou à l’une de ces) deux obligations, il ne peut y avoir indemnisation qu’à la condition de démontrer le préjudice causé par la faute commise et ce préjudice doit être distinct de celui résultant du licenciement lui-même. La Cour précise un élément important, relatif à l’appréciation de l’existence de ce préjudice, étant que le juge doit prendre en considération, notamment, l’objectif des obligations imposées à l’autorité administrative, qui est de permettre à l’autorité de prendre sa décision en connaissance de cause, de manière réfléchie et impartiale. Il s’agit également de faciliter dans le chef du destinataire l’exercice de recours administratifs et juridictionnels. L’administré peut également tenter d’infléchir la décision envisagée.

Outre ces principes qui s’imposent à l’employeur-autorité administrative, tout employeur doit se conformer à l’interdiction générale de droit civil d’abus de droit dans l’exercice du droit de rupture. En cette matière, la Cour du travail rappelle que la Cour de cassation a rendu un arrêt important (Cass., 12 décembre 2005, J.T.T., 2006 p.155), selon lequel l’abus de droit en matière de licenciement peut résulter de l’exercice du droit de licencier d’une manière qui dépasse manifestement les limites de cet exercice normal par un employeur prudent et diligent. Il y a, en matière de licenciement, lieu de tenir compte d’un « droit fonction », qui poursuit une finalité économique et sociale : l’intérêt de l’entreprise. L’employeur ne peut dès lors détourner le droit de licencier de cette finalité et le contrôle du juge portera sur l’existence d’un motif en rapport avec cette finalité légitime. La Cour rappelle également que, lorsque les circonstances du licenciement sont manifestement fautives, elles peuvent également conférer à celui-ci un caractère abusif.

En l’espèce, la Cour retient que la commune n’a pas satisfait à son obligation d’entendre l’employée avant de la licencier et qu’elle ne s’est pas d’avantage conformée à son obligation de motivation. Ces manquements sont fautifs.

La Cour examine dès lors le dommage subi par l’intéressée. Celle-ci, en l’occurrence, conteste les reproches qui lui sont adressés et la Cour constate qu’il n’est pas certain que le courrier envoyé dès l’annonce du licenciement ait pu être examiné par le collège. Pour la Cour, il se vérifie d’ailleurs du dossier qu’aucun des faits reprochés n’est dûment établi et que le caractère « inévitable » du licenciement - plaidé par la commune – n’est pas avéré. L’employée a dès lors perdu une chance de conserver son emploi et elle a subi un sentiment d’humiliation et d’injustice. Il y a là un dommage moral, non couvert par l’indemnité compensatoire de préavis. La Cour du travail évalue ce dommage de manière forfaitaire et en équité à 2.500 €.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle en des termes clairs les obligations pesant sur l’employeur public en cas de licenciement de personnel contractuel. En outre, la Cour du travail précise que tout employeur a l’obligation d’user normalement de son pouvoir de licencier et que constitue un abus de droit le non respect de la finalité économique et sociale dans laquelle doit s’exercer le droit de rupture, étant l’intérêt de l’entreprise.

Si celui-ci détourne son droit de licencier de cette finalité, il peut y avoir abus de droit.

Le travailleur doit cependant établir un dommage et celui-ci doit être distinct en toutes ses composantes de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis.


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