Terralaboris asbl

Contrat soumis à une loi étrangère et droit au régime de vacances annuelles de droit belge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 juin 2013, R.G. 2012/AB/90

Mis en ligne le lundi 16 septembre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 18 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/90

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles reprend, à la lumière des règles de la Convention de Rome, les règles permettant au travailleur prestant en Belgique de bénéficier des dispositions impératives du droit belge.

Les faits

Une française est engagée dans le cadre d’un contrat de travail par une société anglaise. Le lieu de travail convenu est Londres. Le contrat prévoit le paiement d’un salaire payable en douze mensualités égales.

Deux ans plus tard, le lieu du travail est déplacé vers Bruxelles et un avenant au contrat est signé. La rémunération annuelle est versée par douzièmes, après retenues sociales et fiscales conformes au droit anglais. L’intéressée reste assujettie à celui-ci tant sur le plan de la sécurité sociale qu’au nouveau fiscal.

Deux ans plus tard, en 2007 les parties s’inquiètent de la conformité de cette situation au droit belge. Diverses discussions ont lieu, tant en ce qui concerne les avantages contractuels que les effets des différences au niveau des retenues sociales et fiscales. Divers projets de contrat sont élaborés. L’ensemble de ces discussions prenant plusieurs mois, elles tardent à aboutir et en fin de compte le conseil de l’intéressée adresse une mise en demeure à la société. Il réclame des arriérés de pécules de vacances, l’affiliation à la sécurité sociale belge et fixe une date à laquelle il annonce que sa cliente « en tirerait les conclusions » conformément au droit belge.

En réponse, la société confirme avoir entrepris de régulariser l’affiliation à la sécurité sociale belge depuis le début de l’occupation et conteste les autres points de la réclamation, essentiellement la demande de doubles pécules de vacances, se référant au paiement d’une rémunération annuelle convenue contractuellement et payée en douzièmes.

L’intéressée dénonce alors le contrat de travail aux torts de l’employeur, vu l’absence de régularisation de l’affiliation et de paiement des doubles pécules de vacances.

Elle introduit une procédure devant le tribunal du travail.

Celui-ci condamne, par jugement du 12 décembre 2011, la société au paiement des doubles pécules de vacances ainsi qu’à une indemnité de rupture et à d’autres sommes.

Appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La cour se penche essentiellement sur le droit aux arriérés de pécules de vacances ainsi que sur la responsabilité de la rupture.

Sur la première question, elle renvoie à la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Le droit choisi par les parties est le droit anglais, situation restée inchangée dans l’avenant signé en cours de prestations, vu le déplacement du lieu de travail à Bruxelles. Cependant, en vertu de l’article 6.1. de la Convention, ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection des dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix. En l’occurrence, il ne peut être question de priver l’intéressée des dispositions impératives de la loi belge, et ce d’autant que l’article 7.2. de la Convention de Rome confirme le droit à cette protection. Il faut dès lors appliquer le droit belge, dans la mesure où les dispositions impératives sont plus favorables que le droit anglais. La cour précise ce qu’il faut entendre par dispositions impératives au sens de la Convention de Rome. Celle-ci ne donne pas de définition mais, renvoyant à l’arrêt ARBLADE de la C.J.U.E. (C.J.U.E., arrêt du 23 novembre 1999, J.T.T., 2000, p. 100), la cour constate qu’y figure la protection des travailleurs occupés habituellement en Belgique. Elle examine le droit anglais et constate que seuls des congés payés y sont prévus. Le double pécule de vacances de droit belge est dès lors dû, étant plus favorable. La cour rappelle également que les pécules de vacances ne peuvent être compris dans la rémunération et que toute clause contraire est nulle, étant en contradiction avec les dispositions impératives du droit belge.

Par ailleurs, examinant la responsabilité de la rupture, la cour va constater, en reprenant la chronologie des faits, que la société a certes manqué à une obligation (essentielle) du contrat de travail mais que ceci ne met pas en soi fin au contrat. Un tel manquement contractuel serait de nature à entrainer la rupture, à la condition qu’il soit accompagné de la volonté de rompre, dans le chef de son auteur. La cour du travail renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 15 décembre 1988, J.T.T., 1989, p. 129). La volonté de rompre peut ressortir de la nature du manquement lui-même, à savoir s’il touche de manière importante un élément essentiel du contrat, ainsi le non-paiement de la rémunération pendant une longue période et malgré l’insistance du travailleur ou eu égard aux circonstances de la cause. La cour rappelle ici qu’elle doit vérifier en fait compte tenu de l’ensemble de ces éléments si la partie qui a commis le manquement avait la volonté de mettre fin au contrat ou de modifier de manière importante un élément essentiel de celui-ci.

Elle va, en conclusion de son examen, constater que la société avait confirmé l’existence de démarches en vue de la régularisation à la sécurité sociale et que le non aboutissement à la date fixée par l’employée via le courrier de son conseil n’est pas révélateur de la volonté de rompre le contrat dans le chef de l’employeur. Il en va de même de la question des pécules de vacances, dont la société soutenait qu’ils étaient inclus dans la rémunération annuelle. Pour la cour, le fait pour la société de ne pas avoir obtempéré dans le délai donné par l’employée dans sa mise en demeure n’est pas davantage révélateur de la volonté de mettre fin aux relations contractuelles.

La cour conclut que c’est dès lors à tort que l’acte équipollent à rupture a été constaté. Elle condamne, en conséquence, l’intéressée à payer l‘indemnité de rupture conformément à l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978.

Intérêt de la décision

Cette affaire, comportant des éléments d’extranéité, rappelle qu’il faut manier l’acte équipollent à rupture avec la plus grande prudence. La cour fait également un très judicieux rappel des principes de la Convention de Rome en ce qui concerne le bénéfice des dispositions impératives en cas de choix d’une loi applicable moins favorable que la loi belge, dans l’hypothèse d’une occupation habituelle en Belgique.


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