Terralaboris asbl

Critères d’appréciation du motif grave : distinction entre des négligences et une faute intentionnelle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mai 2013, R.G. 2012/AB/179

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 21 mai 2013, R.G. n° 2012/AB/179

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 mai 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, reprenant plusieurs décisions de la Cour de cassation, les critères d’appréciation du motif grave, dont essentiellement la position de l’employé dans l’entreprise ainsi que l’intention manifeste de celui-ci de tromper son employeur.

Les faits

Une employée, avec une ancienneté de dix-huit ans et devenue cadre, au fil du temps, au sein de la société qui l’occupe, est licenciée en novembre 2009 pour motif grave. Ce licenciement intervient après une évaluation très favorable pour l’année 2008 où la qualité de son travail a été soulignée. Le motif grave consiste en une fraude à l’enregistrement de ses prestations via le système de pointage. Des griefs très clairs sont formulés quant à des discordances entre les pauses enregistrées par elle au temps de midi, pauses très courtes, alors que son absence réelle a été constatée pour des durées plus longues. Pour la société, il s’agit d’une fraude, qui l’a amenée à effectuer des contrôles plus approfondis de la carte de badgage-pointage. La société constate également que l’intéressée fait état de missions à l’extérieur, correspondant à la norme journalière de travail (7hrs30) alors que ces missions ne figurent pas dans l’agenda. Il lui est reproché de ne pas avoir avisé son supérieur de celles-ci non plus que de corrections qu’elle faisait apporter aux pointages sans passer par celui-ci. L’employeur constate qu’en sa qualité de membre du département RH, les faits revêtent un caractère de gravité accrue.

L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles qui, par jugement du 16 janvier 2012, déclare le motif non fondé.

L’employeur interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les éléments d’appréciation du motif grave.

Elle est d’abord saisie du non-respect d’une procédure d’information préalable de la délégation syndicale prévue au règlement de travail de l’entreprise. Cette obligation n’est pas assortie de sanction. La cour considère que l’on ne peut d’office accorder de ce fait une indemnité compensatoire de préavis, les conditions d’octroi de celle-ci figurant dans l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978. Il incombe dès lors à l’intéressée d’établir l’existence d’un préjudice spécifique suite à ce manquement et la cour constate que celui-ci n’est pas avéré.

Quant aux règles d’appréciation du motif grave, la cour rappelle qu’il faut prendre en considération l’ensemble des éléments de fait relatifs à l’acte lui-même ainsi qu’au contexte dans lequel il s’est déroulé. C’est le fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave et la cour du travail rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2006 (Cass., 20 novembre 2006, S.05.0117.F). Il faut, dans cette appréciation, passer par un contrôle de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction.

En l’occurrence, il y a également lieu de reprendre les conditions du motif grave dans l’hypothèse de faits répétitifs ou de faits dont la gravité résulte de faits survenus eux-mêmes antérieurement. Le dernier de ceux-ci doit s’être produit au cours des trois jours ouvrables qui précèdent le licenciement (Cass., 7 avril 2003, S.00.0013.F) et il doit avoir un caractère fautif (Cass., 11 septembre 2006, S.05.0100.F). Ce n’est pas ce fait lui-même qui doit être gravement fautif mais celui-ci accompagné de faits antérieurs considérés comme des circonstances aggravantes. A cet égard, la cour rappelle qu’aucune disposition légale n’impose de délai en ce qui concerne ces faits antérieurs (Cass., 6 septembre 2004 ? S.04.008.N). La cour doit dès lors examiner à la fois la question des pauses-déjeuner et celle des missions litigieuses.

Après avoir vérifié qu’il y a dans les trois jours ayant précédé le licenciement des faits fautifs, la cour passe également à l’examen des faits antérieurs. Elle reprend, pour apprécier la gravité de ceux-ci l’ensemble de toutes les circonstances de la cause. Il s’agit de l’examen du système d’enregistrement des heures de travail, du régime de travail appliqué (régimes des horaires dynamiques) ainsi que la possibilité fixée par le règlement de travail d’effectuer des prestations supplémentaires (celles-ci faisant l’objet de récupérations sous forme de repos compensatoire rémunéré).

Examinant de manière scrupuleuse les faits soumis, la cour constate qu’il y a eu des manquements et que ceux-ci ont été commis de manière délibérée. La cour relève en sus des manœuvres tendant à faire croire à l’employeur que l’intéressée effectuait régulièrement ses prestations de travail normal (enregistrement de pauses de quelques minutes, fausses justifications d’absence), soit des subterfuges auxquels elle a eu recours de manière délibérée. Il ne s’agit pas de simple négligence, mais de fraude intentionnelle. Pour la cour du travail, ce comportement est de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles.

Sont indifférents dans l’appréciation de la cour la carrière sans tache de l’intéressée pendant dix-huit ans, ainsi que son évaluation très positive des prestations de l’année précédente. La gravité de la perte de confiance est telle que ces éléments ne peuvent suffire à éviter la conclusion de motif grave.

La cour écarte encore un argument invoqué par l’employée, selon lequel elle se serait ouverte de problèmes de harcèlement auprès de la personne de confiance. Pour la cour, il n’y a pas eu de plainte mais une simple consultation de la personne de confiance, tenue au secret professionnel et le lien avec le licenciement n’est pas établi.

La cour réforme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Dans ce cas d’espèce, la Cour du travail de Bruxelles fait une stricte application des critères dégagés par la Cour de cassation dans l’appréciation du motif grave : il s’agit du fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère de motif grave. En l’espèce, la position occupée par l’intéressée au sein de l’institution qui l’employait, ainsi que l’élément intentionnel du manquement organisé sont essentiels. La cour fait nettement la distinction entre ce qui pourrait apparaître comme une simple négligence, un manquement non substantiel et un acte qui a été voulu et organisé. C’est son caractère intentionnel qui donne à la faute un caractère de gravité tel qu’il rompt le lien de confiance.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be