Terralaboris asbl

Indemnité pour licenciement abusif (article 63 LCT) et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mars 2013, R.G. 2010/AB/1.068

Mis en ligne le lundi 22 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 13 mars 2013, R.G. n° 2010/AB/1.068

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 mars 2013, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’il y a lieu d’effectuer des retenues de sécurité sociale sur l’indemnité due en application de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, et ce eu égard au caractère rémunératoire de celle-ci.

Les faits

Une société exploitant une salle de jeu engage un ouvrier pour des fonctions en salle (service des boissons, encaissement des paiements). Le contrat est à temps partiel. En cours d’exécution, le travailleur fait savoir à la société qu’il n’effectuerait plus à l’avenir d’heures supplémentaires, s’en tenant à l’horaire contractuel. Deux jours plus tard, la société lui refuse l’accès à son lieu de travail et un courrier lui est alors adressé, signalant qu’il est mis fin au contrat, vu essentiellement un manque de caisse de l’ordre de 5.300€. La société ajoute qu’une plainte a d’ailleurs été déposée à la police fédérale. La chose est contestée immédiatement par le conseil de l’intéressé, qui demande paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que de l’indemnité spéciale prévue à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles et celui-ci condamne la société au paiement de l’indemnité de rupture, les intérêts étant à calculer à dater de la fin du contrat. Le travailleur ayant fait une demande de capitalisation des intérêts, le tribunal l’autorise. Appel est interjeté par le travailleur.

Décision de la cour du travail

La cour examine, dans un premier temps, le droit à l’indemnité compensatoire de préavis. La lettre de rupture ne faisant pas état d’un « motif grave » ni d’une « faute grave », elle constate qu’il n’est cependant pas contesté que la rupture doit être appréhendée dans le cadre de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978.

La cour aborde dès lors la question du fondement des accusations de vol et constate que la preuve de celui-ci n’est pas rapportée.

En ce qui concerne l’article 63, la cour rappelle que le juge doit vérifier si le motif de licenciement existe et s’il est légitime. Cet examen doit se faire, s’agissant d’un motif grave non admis, dans le respect des règles rappelées par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 juin 2009 (Cass., 22 juin 2009, S.09.0001.N). En l’occurrence, la société ne prouve aucun des motifs de licenciement qu’elle invoque, ce qui implique que n’est pas établi un fait lié à la conduite de l’ouvrier. Les motifs invoqués doivent dès lors être considérés comme inexistants et ce n’est pas le sentiment de défiance de l’employeur à l’égard du travailleur qui peut retirer au licenciement son caractère abusif. La cour admet que l’ouvrier a droit à l’indemnité légale.

Elle va cependant se pencher assez longuement sur la nature juridique de cette indemnité. Pour la cour, s’agissant d’un avantage dû au travailleur en raison de son engagement, l’indemnité constitue de la rémunération, et ce même si l’on peut également l’analyser comme étant une réparation d’un dommage moral causé au travailleur par l’employeur qui a abusé de son droit de licenciement. La cour renvoie notamment à un arrêt inédit du 18 mars 2002 (C. trav. Bruxelles, 18 mars 2002, R.G. n° 39.557), qui a rappelé les travaux préparatoires de la loi du 12 avril 1965, et souligne que la notion de rémunération qui figure à l’article 2 de celle-ci a une portée plus large que la rémunération visée par la loi du 3 juillet 1978. Renvoyant encore à la jurisprudence de la Cour de cassation sur d’autres indemnités (indemnité d’éviction, indemnité de fermeture), la cour avait considéré dans cet arrêt du 18 mars 2002 que, au même titre que celles-ci, s’agissant d’un avantage auquel le travailleur a droit en raison de son engagement, il y a caractère rémunératoire. Ceci implique que les intérêts sont dus dès la rupture du contrat.

Dans l’arrêt annoté, la cour du travail suit cette jurisprudence et renvoie également à d’autres décisions confirmant cette conclusion.

La cour tranche ensuite la question de savoir si les cotisations de sécurité sociale sont dues sur l’indemnité en cause. Elle rappelle les exceptions prévues à l’article 19, § 2, 2° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969, parmi lesquelles ne figure pas l’indemnité pour licenciement abusif.

Elle renvoie également à une controverse jurisprudentielle sur la question et considère que l’indemnité est passible des retenues sociales. Elle renvoie à un arrêt du 19 janvier 2009 (C. trav. Bruxelles, 19 janvier 2009, Chron. D.S., 2010, p. 251), qui a repris des extraits de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, alors Cour d’arbitrage, du 8 juillet 1993 (C.A., 8 juillet 1993, n° 56/93). Cet arrêt avait rappelé qu’au fil du temps le législateur a voulu tendre vers le rapprochement des niveaux de protection contre le licenciement accordé aux ouvriers et aux employés et que telle est la justification de la protection spécifique offerte par l’article 63.

Pour la cour du travail, l’article 63 vise à compenser dans une certaine mesure les délais moins longs à respecter en cas de licenciement d’un ouvrier engagé à durée indéterminée. Il ne s’agit dès lors pas, contrairement à son libellé, de sanctionner un licenciement abusif mais un licenciement irrégulier. La cour renvoie à la doctrine (L. DEAR, « La nature de l’indemnité de licenciement abusif au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 – Commentaire de Cour trav. Bruxelles, 27 août 2007 », Chron. D.S., 2008, p. 251). Pour la cour du travail, cette indemnité est de même nature que l’indemnité compensatoire de préavis, cette dernière ayant également pour vocation de réparer forfaitairement le préjudice matériel et moral découlant de la rupture du contrat de travail. La cour veut encore pour preuve du bien-fondé de sa conclusion que cette indemnité est cumulable avec des dommages et intérêts pour abus de droit.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles adopte une solution nouvelle sur la question.

Il y a lieu cependant de rappeler que les travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1978 sont clairs en ce qu’ils considèrent que ladite indemnité n’est pas une rémunération donnant lieu à perception de cotisations sociales (Doc. parl., Ch., 1977-1978, n° 293/4, renvoyant à l’arrêté royal du 28 novembre 1969, article 19, § 2, 2° et à la doctrine de MM. TAQUET et WANTIEZ, « Indemnités de rupture et cotisations de sécurité sociale », J.T.T. , 1970, p. 97).

Affaire à suivre …


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