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Cessation d’activité et conditions d’intervention du Fonds de fermeture d’entreprises

Commentaire C. trav. Bruxelles, 3 avril 2013, R.G. 2011/AB/738

Mis en ligne le lundi 22 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 3 avril 2013, R.G. n° 2011/AB/738

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 avril 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le Fonds de fermeture d’entreprises ne peut intervenir qu’en cas de cessation effective d’activité et que la poursuite de celle-ci sous une autre forme juridique rend la loi du 30 juin 1967 inapplicable.

Les faits

Deux associés, membres d’une même famille exerçaient, dans le cadre d’une société en nom collectif, une activité d’imprimerie et occupaient du personnel ouvrier, de même qu’un employé (ce dernier étant également membre de la famille, soit le père d’un des associés). La société fut déclarée en faillite en décembre 1975 et le personnel fut en conséquence licencié, l’intervention du Fonds de fermeture étant demandée par le curateur. Celui-ci fut indemnisé.

Le fonds de commerce fut cédé en partie (avec la dénomination commerciale), ultérieurement, à cet ancien employé et celui-ci engagea son fils (précédemment un des deux associés ci-dessus) dans le cadre de cette activité ainsi relancée, ainsi que l’autre associé. Une faillite fut cependant rapidement prononcée, concernant la nouvelle exploitation et celle-ci fut clôturée par jugement du tribunal de commerce pour insuffisance d’actif. Dans le cadre de cette seconde faillite, le Fonds admit que la loi du 30 juin 1967 était applicable et il intervint pour un membre du personnel mais non pour les deux anciens associés qui avaient été réengagés comme salariés. Le comité de gestion du Fonds de fermeture décida, ensuite, de revenir sur la décision qui avait admis l’application de la loi lors de la première cessation d’activités (faillite de 1975) et décida d’ordonner la récupération des indemnités qui avaient été payées.

Une procédure fut alors lancée devant le tribunal du travail (en août 1979) par un des deux salariés, étant le fils du cessionnaire du fonds de commerce.

Le Fonds introduisit alors une demande reconventionnelle contre ce salarié ainsi que contre le deuxième associé (de la société en nom collectif), et ce en remboursement des sommes versées suite à la première faillite.

Un jugement intervint le 5 janvier 1981 concluant au fondement des demandes. Il prononça une compensation à concurrence des sommes dues de part et d’autre. Ce jugement, signifié à l’un des deux travailleurs, est définitif en ce qui le concerne. Appel fut cependant interjeté par le second.

Décision de la cour du travail

La cour va examiner d’abord l’étendue des obligations des associés dans le cadre d’une société en nom collectif. Elle rappelle que chaque associé est solidairement responsable des dettes sociales et que, si la société cesse ses paiements, les créanciers peuvent exercer leur recours sur les biens personnels des associés. L’employé ne conteste pas être tenu personnellement pour les engagements de la société en nom collectif dans laquelle il était associé.

Le tribunal du commerce ayant en février 1977 jugé que l’activité avait continué à exister en tant que société en nom collectif irrégulière et le Fonds considérant qu’il n’y avait pas de cessation définitive des activités (que ce soit sous forme d’association de fait ou de société en nom collectif irrégulière) et qu’il ne devait dès lors pas intervenir au profit du personnel, la cour examine ensuite s’il y a eu ou non fermeture d’entreprise. Le réengagement quasi immédiat de personnel - et sans que l’autorisation du tribunal de commerce n’ait été donnée – est pris en compte par la cour, qui constate que la reprise des activités doit dès lors être considérée comme acquise et que l’interruption n’a en réalité duré que trois semaines (en période de fêtes de fin d‘année, au surplus).

La cour relève également que le caractère familial n’est pas un élément déterminant mais qu’il a pu faciliter un changement concerté de direction, changement qui a ainsi contribué à masquer la continuité des activités. Elle conclut dès lors à l’absence de fermeture d’entreprise.

Quant à savoir quelles en sont les conséquences, vu que la loi du 30 juin 1967 n’était pas applicable, le Fonds de fermeture ne peut invoquer la subrogation visée à l’article 8 de la loi pour obtenir la récupération de ses décaissements. La cour constate que c’est sur la base de la théorie de l’enrichissement sans cause qu’il se fonde, dès lors. Elle examine les notions d’appauvrissement et d’enrichissement, reprises en doctrine et en rappelle les quatre conditions : (i) appauvrissement du patrimoine du demandeur, (ii) enrichissement de celui du défendeur, (iii) lien de causalité entre l’un et l’autre et (iv) absence de cause justifiant le transfert de richesse.

Elle revient ensuite au caractère subsidiaire de cette théorie et constate que la question à résoudre est de savoir si l’action du Fonds respecte ce caractère. L’article 1377, alinéa 2 du Code civil prévoit que le droit de répétition auprès du créancier cesse dans le cas où celui-ci a supprimé son titre par suite de paiement, sauf « le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur ». La cour rappelle les conditions dans lesquelles ce recours est ouvert et cite un arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 1988 (Cass., 22 janvier 1988, Pas., 1988, I, p. 605) selon lequel cet article est d’application lorsque le créancier a perdu son titre mais également lorsque par suite du paiement indu fait par un tiers, il a laissé prescrire son action contre le véritable débiteur. En l’espèce, l’absence d’action diligentée par les travailleurs contre l’entreprise et ses associés est due à une indemnisation par le Fonds dans l’année de la fin des relations de travail. De ce fait, ils n’avaient plus de raison de diligenter une action contre leur employeur et la cour conclut que l’on se trouve dans l’hypothèse visée par l’article 1377, alinéa 2. Le Fonds est dès lors autorisé à réclamer au demandeur, solidairement responsable des engagements de l’entreprise, le remboursement du moins élevé des montants correspondant à la somme dont l’entreprise a fait l’économie et l’appauvrissement qu’il (le Fonds) a subi. L’appauvrissement correspond au montant des décaissements diminué des sommes récupérées auprès du curateur et des travailleurs.

En ce qui concerne la créance du travailleur lui-même dans le cadre de la seconde faillite, il dispose d’une créance et la cour ordonne la compensation à concurrence des montants.

Elle va enfin déclarer non recevable une demande nouvelle formée par le travailleur, ex-associé, contre son associé, demande de recours contributoire. Celle-ci a en effet été formée pour la première fois en degré d’appel entre parties qui étaient sans lien d’instance devant le tribunal du travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler d’une part l’étendue des responsabilités dans le cadre d’une société en nom collectif ainsi que la notion de fermeture d’entreprise (incompatible avec une poursuite d’activité même sous une forme voisine) ainsi que les conditions d’application de la théorie de l’enrichissement sans cause, dont la cour souligne le caractère strictement subsidiaire.


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