Terralaboris asbl

Indemnités de mutuelle : conditions de rétroactivité de remboursement de l’indu

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 3 mai 2013, R.G. 09/11.140/A

Mis en ligne le mardi 2 juillet 2013


Tribunal du travail de Bruxelles, 3 mai 2013, R.G. n° 09/11.140/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 3 mai 2013, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle l’interprétation à donner à l’article 17 de la Charte de l’assuré social en ce qu’il vise la possibilité de rétroactivité d’une demande de remboursement indu, dans l’hypothèse où l’assuré social savait ou devait savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à la prestation.

Les faits

Un organisme assureur introduit une demande de récupération d’indu, devant le tribunal du travail. Le défendeur a, en effet, selon lui perçu des indemnités au taux charge de famille pendant deux ans alors qu’il n’était plus dans les conditions pour y prétendre.

Dans le cadre de la procédure, l’intéressé introduit une demande reconventionnelle aux fins d’obtenir le remboursement de sommes retenues par l’organisme assureur sur ses indemnités d’incapacité de travail, retenues de l’ordre de 150€. Il se fonde sur l’article 20 de la Charte de l’assuré social.

A titre subsidiaire, Il fait valoir que l’article 174, alinéa 3 de la loi coordonnée le 10 juillet 1994 ne peut lui être appliqué, étant entré en vigueur postérieurement à la période visée par la demande originaire (s’agissant d’une disposition introduite par l’article 47 de la loi du 19 décembre 2008 portant des dispositions diverses en matière de santé).

Décision du tribunal du travail

Le tribunal examine, dans un premier temps, les obligations des parties dans le cadre de l’article 17 de la loi du 11 avril 1995, étant la Charte de l’assuré social.

En vertu de cette disposition, lorsqu’il est constaté qu’une décision administrative est entachée d’une erreur de droit ou matérielle, l’institution de sécurité sociale prend d’initiative une nouvelle décision produisant ses effets à la date à laquelle la décision rectifiée aurait dû prendre effet (sans préjudice des règles de prescription). En cas d’erreur due à l’institution de sécurité sociale, la nouvelle décision produit ses effets le premier jour du mois qui suit sa notification si le droit à la prestation est inférieur à celui qui avait été reconnu initialement (et ce sans préjudice des dispositions de l’article 18 de la Charte). Cette règle n’est cependant pas d’application si l’assuré social savait ou devait savoir qu’il n’a pas ou plus droit à l’intégralité d’une prestation. Il y a ici référence à l’arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations.

Le tribunal constate que l’épouse du défendeur avait commencé à travailler en date du 23 janvier 2007 comme technicienne de surface et que cette information avait été fournie à l’organisme assureur dans un document du 7 février 2008. Dans un formulaire (F225) daté de janvier 2008, le revenu de l’épouse avait également été précisé et des fiches de paie avaient été jointes. Celles-ci reprennent une ancienneté depuis la date ci-dessus. Le tribunal conclut que, ce faisant, le défendeur avait rempli son obligation d’information. L’organisme assureur ne peut dès lors prétendre que l’article 17 n’est pas d’application pour la période du 1er février 2007 au 31 janvier 2008 puisque les informations nécessaires permettant de calculer le taux d’indemnisation correct avait été communiqué. Peu importe que l’organisme assureur n’ait pas traité le dossier à ce moment là – ce qu’il admet.

Reste cependant à examiner si le défendeur était dans la situation où il savait ou devait savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à l’intégralité de la prestation. Le tribunal examine l’argument de la partie demanderesse, selon laquelle il n’y a pas bonne foi au motif que l’intéressé percevait des indemnités d’assurance maladie depuis longtemps et qu’il devait savoir, si son épouse travaillait, que ses indemnités allaient être réduites et que le formulaire 225 signé en janvier 2007 ne mentionnait pas la circonstance que l’épouse allait reprendre le travail quelques jours plus tard (soit le 23 janvier). Le tribunal rejette que ces éléments soient de nature à rentrer dans l’exception légale. Le fait de percevoir et même depuis longtemps des prestations de sécurité sociale ne peut, selon lui, être considéré comme induisant une connaissance des règles d’attribution des prestations en cause. L’assuré social reçoit en décembre un questionnaire « situation de famille » auquel il doit répondre, sur la base d’explications et de questions revenant chaque année sous la même forme. Le tribunal souligne qu’avec le temps celles-ci perdent tout contenu pour leur destinataire. Il relève également le libellé particulièrement obscur d’une mention figurant au-dessus de la signature et précisant que tout défaut de mention par l’assuré de toute modification pouvant intervenir dans sa situation en matière de revenus et/ou de composition de ménage était susceptible de donner lieu à des poursuites pénales.

Il considère dès lors les explications avancées par la mutuelle comme insuffisantes, au regard précisément d’un arrêt de la Cour constitutionnelle invoqué par la partie défenderesse, étant l’arrêt du 24 mai 2012 (arrêt n° 66/2012), selon lequel les termes « ne savait pas ou ne devait pas savoir qu’elle n’avait pas ou plus droit » doivent être interprétés de manière rigoureuse.

Il en conclut qu’il y a erreur dans le chef de l’institution de sécurité sociale, qui a été informée en temps utile des revenus du ménage et n’en a pas tenu compte. Il faut dès lors appliquer la disposition de la Charte, conformément à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 mai 2012. En conséquence, la décision de l’organisme assureur ne peut produire ses effets que le premier jour du mois suivant sa notification, puisque le montant auquel l’intéressé a droit est inférieur à celui qui avait initialement été octroyé.

Déboutant la partie demanderesse, le tribunal accueille, en conséquence, la demande reconventionnelle.

Intérêt de la décision

Ce jugement est l’occasion de rappeler la décision de la Cour constitutionnelle du 24 mai 2012, où elle avait été interrogée sur la conformité de l’article 174 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (modifié par l’article 47 de la loi du 19 décembre 2008) aux articles 10 et 11 de la Constitution. Cette disposition permet aux organismes assureurs de récupérer les prestations de l’assurance indemnités indûment payées par suite d’une erreur imputable à l’institution, et ce pour autant que la personne erronément créditée ne savait pas ou ne devait pas savoir qu’elle n’avait pas ou plus droit en tout ou en partie à la prestation versée. Cette disposition est en contradiction avec l’article 17, alinéa 2 de la Charte, puisqu’elle contient une règle de prescription fixée à un an en cas de paiement indu résultant d’une erreur de l’organisme assureur.

Dans son arrêt du 24 mai 2012, la Cour constitutionnelle a, comme le rappelle le tribunal, considéré que, le remboursement de sommes indument payées étant la règle, les termes « ne savait pas ou ne devait pas savoir qu’elle n’avait pas ou plus droit », utilisés dans la disposition en cause, doivent faire l’objet d’une interprétation rigoureuse (considérant B.6.1.).

Tout en relevant que l’interdiction de récupérer auprès de l’assuré social les prestations indument perçues aboutit en l’état actuel de la législation à faire peser en fin de compte sur l’INAMI les conséquences financières d’une erreur imputable aux organismes assureurs, la Cour constitutionnelle a conclu qu’il appartient au législateur et au Roi de modifier le cas échéant la réglementation pertinente afin de faire peser, totalement ou partiellement, les conséquences financières d’une telle erreur sur les organismes assureurs, ceux-ci étant responsables du versement indu, ou de modifier dans un sens accru les règles de contrôle des organismes assureurs. La Cour a dès lors prononcé l’inconstitutionnalité de l’article 174, alinéa 3 de la loi cordonnée le 14 juillet 1994, en ce qu’il permet la récupération pendant un an, dans l’hypothèse visée.


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