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Soins de santé et indemnités : l’expert peut-il, par son avis, étendre la saisine du juge ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 avril 2008, R.G. 50.656

Mis en ligne le jeudi 13 juin 2013


Cour du travail de Bruxelles, 17 avril 2008, R.G. n° 50.656

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 avril 2008, la Cour du travail de Bruxelles considère que le fait que l’expert judicaire ait examiné la capacité de travail non seulement à la date litigieuse mais également jusqu’au dépôt de son rapport d’expertise n’a pas pour effet de saisir le juge d’une contestation plus ample que celle qui lui est soumise par les parties.

Les faits

Par une requête du 6 juin 2006, Mr P. conteste la décision de la Commission régionale du conseil médical de l’invalidité de l’INAMI qui constate la fin de son incapacité de travail au sens de l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, et ce à partir du 13 mars 2006.

Le tribunal du travail de Bruxelles avait désigné un expert judiciaire qui avait conclu que Mr P. est incapable de travailler au sens de la disposition légale précitée à partir du 13 mars 2006.

Dans un jugement du 14 décembre 2007, le tribunal du travail de Bruxelles a entériné les conclusions du rapport d’expertise.

La position des parties en appel

L’INAMI a interjeté appel de ce jugement en faisant valoir que l’expert judiciaire avait également conclu que « aujourd’hui, un léger tableau dépressif et anxieux subsiste, sans entraîner une incapacité de travail supérieure à 66% sur le marché du travail ».

Vu la date du dépôt du rapport d’expertise (1er octobre 2007), l’INAMI considère que l’incapacité de travail de Mr P. devait être limitée à plus de 66% du 13 mars 2006 au 1er octobre 2007 alors que le premier juge a déclaré la demande de Mr P. fondée à partir du 13 mars 2006 sans limiter la reconnaissance de l’incapacité de travail au 1er octobre 2007, contrairement aux conclusions du rapport d’expertise judiciaire.

Mr P. s’en réfère à justice.

La décision en degré d’appel

La Cour du travail de Bruxelles relève que :

  • le premier juge a été saisi d’une contestation d’une décision du Conseil médical de l’invalidité de l’INAMI déclarant Mr P. apte à reprendre le travail à partir du 13 mars 2006.
  • le rapport d’expertise constate que Mr P. était bien en incapacité de travail à partir du 13 mars 2006 mais qu’aujourd’hui le léger tableau dépressif et anxieux subsistant n’entraîne plus une incapacité de travail supérieure à 66%
  • l’objet de la contestation portait donc sur la décision fixant au 13 mars 2006 la date de la fin de l’incapacité de travail
  • aucune des parties n’a conclu en première instance et n’a demandé au premier juge de se prononcer également sur la période subséquente, même après dépôt du rapport d’expertise.
  • le premier juge a donc strictement tranché la contestation qui lui était soumise

Par conséquent, le premier juge ne pouvait qu’entériner le rapport d’expertise en concluant à une incapacité de travail à partir du 13 mars 2006 sans qu’il y ait de contradiction dans son raisonnement.

Le fait que l’expert ait examiné la capacité de travail de Mr P. non seulement à la date litigieuse mais également ensuite, et ce jusqu’au dépôt de son rapport d’expertise, n’a pas pour effet de saisir le juge d’une contestation plus ample que celle qui lui est soumise par les parties.

L’intérêt de la décision

Il est fréquent que l’expert judiciaire prenne l’initiative d’examiner la capacité de travail non seulement à la date litigieuse mais également jusqu’au dépôt de son rapport d’expertise .

Il n’est pas contesté que le tribunal peut être saisi d’une contestation non seulement à la date litigieuse mais également ultérieurement (Cass. 30 mars 1981, Bull.info INAMI, 1981,824).

Encore faut il toutefois qu’une des parties demande au juge de se prononcer sur la période subséquente…

Si tel n’est pas le cas, comme en l’espèce, la Cour du travail de Bruxelles considère que le tribunal ne peut trancher la contestation que dans le cadre strict de ce qui lui est demandé, à savoir la détermination de l’existence ou non d’une incapacité de travail à une date litigieuse précise.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles ne remet donc pas en cause la jurisprudence constante selon laquelle le juge peut se prononcer au-delà de la date litigieuse et certainement jusqu’à la date du rapport d’expertise.

Notons néanmoins que la Cour de cassation a décidé que lorsque l’assuré social a formé un recours contre la décision administrative qui lui refuse le droit aux indemnités d’invalidité à partir d’une date déterminée (parce qu’il ne remplit plus la condition d’incapacité de travail prévue par l’article 56 de la loi), le litige ne se limite pas à la question de savoir si cette condition est remplie à cette date mais comprend la question de savoir s’il ne se trouve pas, à partir de cette date, dans une situation telle que cette condition doit être réputée remplie (Cass. 27 septembre 1982, J.T.T. 1983, p.28 et obs. Ph. GOSSERIES ; voyez également Michel DUMONT, « La saisine du juge en droit de la sécurité sociale. L’assurance obligatoire soins de santé et indemnités », in Formation permanente, C.U.P., volume XXXII- septembre 1999, p. 234 et suivantes).

S’agissant d’une matière d’ordre public, les juridictions du travail ne sont-elles dès lors pas tenues de statuer en tenant compte des faits qui se sont produits en cours d’instance et qui exercent une influence sur le litige, même en l’absence de demande formelle en ce sens ?


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