Terralaboris asbl

Chauffeurs prestant pour le compte de répartiteurs de produits pharmaceutiques vers les officines : salariés ou indépendants ?

Commentaire de C. trav. Mons, 13 décembre 2012, R.G. 2011/AM/371

Mis en ligne le mardi 7 mai 2013


Cour du travail de Mons, 13 décembre 2012, R.G. n° 2011/AM/371

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 décembre 2012, statuant sur renvoi après l’arrêt de cassation du 23 mai 2011, la Cour du travail de Mons retient que sont inconciliables avec l’existence d’un contrat d’entreprise le contrôle de l’organisation du temps de travail et de l’organisation du travail lui-même : il y a dès lors contrat de travail.

Les faits

Un répartiteur de produits pharmaceutiques, occupant habituellement des chauffeurs salariés, a recours à des travailleurs indépendants, suite à la reprise des activités d’un de ses concurrents, qui les occupait sous ce statut.

Suite à une enquête de l’ONSS, leur assujettissement au statut social des travailleurs salariés est décidé. La société effectue le paiement des cotisations réclamées mais introduit une action devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Procédure antérieure

Par jugement du 6 février 2006, le tribunal considère que les travailleurs concernés entrent dans le champ d’application de l’article 3, 5° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, qui vise l’application de la loi aux personnes effectuant des transports de choses commandées par une entreprise, au moyen de véhicules dont ils ne sont pas propriétaires ou dont l’achat est financé (ou dont le financement est garanti) par l’exploitant de cette entreprise (ainsi qu’à cette exploitant).

La société ayant interjeté appel, la Cour du travail de Bruxelles rejette celui-ci, retenant l’extension de l’article 3, 5° pour un chauffeur et le défaut de preuve de l’absence d’un contrat de travail pour les deux autres.

La société introduit un pourvoi devant la Cour de cassation, qui, par arrêt du 23 mai 2011, casse l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles. L’affaire revient dès lors devant la Cour du travail de Mons.

Position de parties devant la Cour du travail de Mons

La société considère que l’ONSS est tenu d’apporter la preuve de l’assujettissement, c’est-à-dire, d’une part, que les conditions d’application de la présomption de l’article 3, 5° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 sont réunies et d’autre part que les éléments qu’il invoque sont incompatibles avec la qualification que les parties ont donné à leur relation de travail (celle-ci pouvant découler de l’exécution du contrat).

Quant à l’ONSS, il considère que la société - agissant en répétition d’indu - est tenue d’apporter la preuve du caractère indu du paiement qu’elle a effectué. Il précise que la présomption de l’article 3, 5° de l’arrêté royal s’applique même en l’absence d’indices de subordination et quelle que soit la qualification donnée par les parties à leur relation de travail. Il incombe dès lors à la société d’établir que les conditions figurant dans cette disposition ne sont pas réunies.

Décision de la cour du travail

La cour aborde successivement trois points : la charge de la preuve, l’application de l’article 3, 5° de l’arrêté royal et l’existence d’un contrat de travail.

Sur la question de la preuve, elle rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mai 2005 (Cass., 2 mai 2005, J.T.T., 2005, 330), qui impose à l’ONSS d’apporter la preuve de l’assujettissement. Il doit dès lors prouver la réunion des conditions de l’article 3, 5° ainsi que l’existence d’un contrat de travail.

Sur l’assimilation, la cour précise qu’il n’est pas requis que le transporteur se trouve en droit sous l’autorité de l’exploitant, l’assujettissement n’exigeant pas d’autres conditions que celles figurant dans la disposition réglementaire, étant l’exécution de transports de choses commandés par une entreprise et l’utilisation par le transporteur d’un véhicule dont il n’est pas propriétaire ou qui est financé comme précisé. C’est, comme le rappelle la cour, une disposition adoptée en vue de lutter contre la pratique des « faux indépendants ».

Seule en l’occurrence fait l’objet de la contestation la troisième condition, relative au véhicule. Pour deux des intéressés, il y avait utilisation d’un véhicule dont ils étaient propriétaires et qui n’avait pas été financé par l’exploitant. Pour le troisième, il s’agit d’un « leasing auto ». Pour la cour, cette formule constitue pour l’emprunteur un mode alternatif de financement et l’emprunteur, qui assume les frais du leasing, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3, 5°.

Enfin, en ce qui concerne l’existence du contrat de travail, la cour reprend les principes en la matière et renvoie à l’arrêt de la cour de cassation du 23 mai 2011, qui, constatant que les parties avaient fait choix, comme qualification du contrat, d’un contrat d’entreprise, avait rappelé que le juge doit apprécier si les éléments invoqués pour justifier l’existence du lien de subordination sont incompatibles avec l’exercice d’un simple contrôle ou d’instructions données dans le cadre d’un travail indépendant. La Cour suprême avait constaté que le juge du fond n’avait pas légalement pu décider, à partir des critères retenus (choix des tournées, organisation du travail, horaire imposé, feuille de route), que ceux-ci ne seraient pas inconciliables avec l’exécution d’un contrat d’entreprise.

La cour du travail relève que dans cet arrêt la Cour de cassation suit la position adoptée depuis son arrêt du 23 décembre 2002, étant qu’il ne peut y avoir requalification qu’en présence d’éléments incompatibles avec la qualification retenue par les parties. Reprenant une doctrine très récente (J. Demer et alii, « Aspects de la preuve en droit de la sécurité sociale – approche transversale – particularités de la preuve en droit de la sécurité sociale », Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP, Anthemis, 2012, 406), elle précise que l’incompatibilité ne doit pas nécessairement résider dans un seul élément qui permet d’exclure le contrat d’entreprise mais qu’elle peut ressortir d’éléments, qui, pris ensemble, autorisent cette exclusion. Il y a alourdissement du fardeau de la preuve dans le chef de la partie qui souhaite voir écarter la qualification conventionnelle.

En l’espèce, la cour va dès lors examiner si les éléments invoqués pour justifier l’existence du lien de subordination constituent ou non la manifestation ou la possibilité de l’exercice de l’autorité patronale, inconciliable avec un simple contrôle et la communication d’instructions, qui caractérisent le contrat d’entreprise.

Reprenant les éléments de fait, tels qu’ils ressortent de l’enquête de l’ONSS, la cour retient que de très nombreuses contraintes pesaient sur les transporteurs tant pour ce qui est de l’organisation du travail que du temps du travail. L’absence de liberté est retenue et la cour puise encore dans les modalités de rétribution des indices supplémentaires, l’autorisant à exclure la qualification de contrat d’entreprise.

Elle ordonne cependant la réouverture des débats en ce qui concerne le montant des cotisations.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est rendu après l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2011 et réexamine essentiellement à la lumière des critères prépondérants actuellement retenus les éléments inconciliables en l’espèce avec un contrat d’entreprise. L’on notera que la cour retient essentiellement les indices tirés de l’organisation du temps de travail et de l’organisation du travail lui-même.


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