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Garantie de revenus aux personnes âgées : la Cour constitutionnelle interrogée sur le montant à allouer en cas de cohabitation avec un étranger en séjour illégal

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 novembre 2012, R.G. 2011/AB/512

Mis en ligne le mardi 7 mai 2013


Cour du travail de Bruxelles, 15 novembre 2012, R.G. n° 2011/AB/512

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 novembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle sur l’absence de distinction faite dans la loi du 22 mars 2001 sur le montant de l’allocation en cas de partage de la résidence principale avec un étranger en séjour illégal sans revenus. La question lui a déjà été posée en matière de revenu d’intégration sociale.

Les faits

Une réfugiée politique, qui a obtenu la nationalité belge, bénéficie depuis le 1er octobre 2005 de la garantie de revenus pour personnes âgées (montant de base majoré). A partir du 26 janvier 2009, son neveu vient la rejoindre. Étant en séjour illégal, il ne peut bénéficier d’aucune forme de prestation sociale ou d’aide, ne peut travailler et ne peut dès lors pourvoir à son entretien et occuper un logement propre. Cette modification dans la composition de « ménage » n’est pas communiquée à l’ONP.

Un an plus tard, le droit de l’intéressée fait l’objet d’un réexamen et est ramené au montant de base. Un indu lui est réclamé, l’ONP appliquant un délai de prescription de six mois.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal rejette la demande et déboute l’intéressée. Celle-ci interjette appel.

Position de parties en appel

L’appelante conteste la réduction du montant de la prestation au motif que son neveu partage sa résidence, et ce vu qu’il ne peut en aucune manière disposer de revenus. Elle considère qu’il n’est pas logique que, vu qu’une personne est en séjour illégal et qu’elle ne peut bénéficier d’aucun revenu, sa seule présence suffise pour limiter les droits de la personne qui la prend en charge. Du fait de cette prise en charge, cette dernière ne bénéficie d’aucun avantage. Au contraire, cette charge augmente.

Pour l’Office National des Pensions, il faut appliquer les dispositions légales et suivre la conclusion du premier juge selon laquelle il n’y a pas lieu de faire de différence entre une personne qui cohabite avec quelqu’un qui séjourne légalement ou illégalement sur le territoire. La loi ne fait d’ailleurs pas de distinction si l’on cohabite avec une personne qui a des revenus ou non.

Décision de la cour

La cour va dès lors examiner les conditions d’octroi fixées par l’article 6, § 1er de la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées. Cette disposition prévoit que la garantie de revenus est octroyée à l’intéressé qui satisfait aux conditions d’âge prévues aux articles 3 et 17 et qui partage la même résidence principale avec une ou plusieurs personnes. Sont censées partager la même résidence le demandeur et toute autre personne qui réside habituellement avec lui au même endroit. La résidence habituelle ressort soit de l’inscription dans les registres de la population de la commune du lieu de résidence soit de tout document officiel ou administratif attestant de la réalité d’une résidence commune (article 6, § 1).

Un coefficient de 1,50 est appliqué au montant de base pour le bénéficiaire qui ne partage pas sa résidence principale avec une ou plusieurs autres personnes et qui satisfait aux conditions d’âge. Certaines personnes ne sont pas censées partager la même résidence principale que le demandeur (il s’agit des enfants mineurs, des enfants majeurs pour lesquels des allocations familiales sont perçues et encore des personnes accueillies dans la même maison de repos, de la même maison de repos et de soins ou de la même maison psychiatriques que le demandeur).

Le Roi peut en outre désigner d’autres catégories de personnes (article 6, § 2 et 3).

La cour conclut que l’ONP a fait une juste application des dispositions légales mais la question se pose, ainsi qu’elle le relève, de savoir si celles-ci ne contiendraient pas une discrimination interdite entre deux groupes de personnes qui se trouvent dans une situation différente et se voient malgré tout traiter de la même manière. Il s’agit des personnes qui partagent leur résidence avec une autre personne (supposée être en séjour légal) et dont la présence dans le ménage peut entraîner un avantage économique – ce qui explique l’application du taux de base – et de celles qui partagent une résidence avec quelqu’un dont la vie en commun ne rapporte aucun avantage sur le plan économique mais qui, au contraire, va constituer une charge.

La cour du travail renvoie alors à l’arrêt du 10 novembre 2001 de la Cour constitutionnelle (C. const., 10 novembre 2001, arrêt n° 176/2011), rendu dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale. Interrogée par la Cour du travail de Liège à propos de la cohabitation avec un étranger en séjour illégal et des effets de celle-ci sur le droit au revenu d’intégration sociale, la Cour constitutionnelle avait relevé que, en matière d’octroi du revenu d’intégration, c’est la situation de fait du demandeur qui prime (B.4) mais que la notion de cohabitation exige que le fait de vivre sous le même toit que l’autre personne génère pour le demandeur du revenu d’intégration un avantage économico-financier, avantage pouvant consister en ce que le cohabitant dispose de revenus, permettant ainsi de partager certains frais mais également de bénéficier de certains avantages matériels en raison de la cohabitation, avec pour effet qu’il expose moins de dépenses (B.6.2).

La cour reprend de très longs extraits de l’arrêt et en conclut que la conclusion dégagée ne peut pas être appliquée telle quelle au litige, les dispositions légales visées n’étant pas les mêmes. S’appuyant, cependant, sur l’extension dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la notion de cohabitation, elle décide de poser une question préjudicielle dans le cadre de la loi du 22 mars 2001. Celle-ci porte sur le traitement identique de situations apparemment comparables mais qui ne le sont en réalité pas, à savoir la fixation identique du montant de la garantie de revenus pour personnes âgées en cas de partage de la résidence principale avec une autre personne, la cohabitation pouvant entraîner un avantage économique dans certains cas ou ne le pouvant pas dans d’autres. La cour pose encore une autre question, étant de savoir si la personne qui partage sa résidence principale avec une autre peut apporter la preuve que la cohabitation ne lui rapporte pas d’avantage économique.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, rendu en matière de garantie de revenus aux personnes âgées, aborde une question fréquente et déjà rencontrée dans l’arrêt du 10 novembre 2011 de la Cour constitutionnelle en ce qui concerne le revenu d’intégration sociale.

La Cour constitutionnelle est ainsi interrogée sur une problématique identique, étant que le bénéficiaire de la prestation sociale (à caractère résiduaire) voit le montant de celle-ci réduit du seul fait du partage de la résidence principale (ou de la cohabitation) avec un tiers, et ce indépendamment de l’avantage économique que peut ou non apporter celui-ci à l’assuré social ou, au contraire, des charges que cette présence dans le ménage peut entraîner pour lui.


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