Terralaboris asbl

La dénonciation aux autorités de dysfonctionnements dans l’entreprise est-elle constitutive de motif grave ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 décembre 2012, R.G. 2010/AB/948

Mis en ligne le mardi 30 avril 2013


Cour du travail de Bruxelles, 3 décembre 2012, R.G. n° 2010/AB/948

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 décembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles, renvoyant à la jurisprudence Heinisch de la Cr.E.D.H., rappelle les conditions dans lesquelles une dénonciation de faits à des autorités extérieures reste dans le cadre de l’exécution loyale du contrat de travail.

Les faits

Une directrice de crèche fait l’objet, en avril 2007, d’une plainte pour harcèlement moral déposée par un membre de son personnel, ayant le statut d’ouvrier. A la même époque, cette proposée se rend avec une ancienne collègue auprès de l’organisme de contrôle, pour dénoncer certains faits relatifs au fonctionnement de la crèche. Une inspection intervient et deux jours plus tard l’intéressée est licenciée pour motif grave, étant le dépôt de plainte diffamatoire. Il lui est reproché de ne pas avoir fait état « en interne » des questions soulevées.

Dans le cadre de la procédure que l’ouvrière introduit devant le tribunal du travail, elle demande une indemnité compensatoire de préavis et deux indemnités spéciales, l’une étant celle due pour licenciement abusif et l’autre au titre d’indemnité de protection.

Le tribunal du travail lui octroie l’indemnité compensatoire de préavis ainsi que l’indemnité pour licenciement abusif.

Décision de la cour

La cour constate que le chef de demande introduit par l’ouvrière au titre d’indemnité de protection est abandonné. Restent les deux autres.

Sur le licenciement pour motif grave, après avoir rappelé les principes, dont le fait qu’une faute doit être appréciée non de manière abstraite mais en tenant compte de l’ensemble des faits relatifs à l’acte lui-même ainsi qu’au contexte, la cour précise encore que ne peut justifier le licenciement un fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave. Il y a, comme le relève la cour, un contrôle de proportionnalité à exercer entre la faute et la sanction.

En l’espèce, le contexte relevé est celui d’une grande instabilité du personnel et de mécontentement à la fois des parents et des travailleurs. Pour ce qui est des parents, les griefs sont relatifs à l’encadrement, aux repas, à la sécurité, l’hygiène, etc.

La cour va ensuite examiner les faits dénoncés par l’intéressée et son ancienne collègue et relève que ceux-ci sont fondés sur certains points. D’autres, dont un a été dénoncé, ne sont pas établis.

La cour relève que ceci pose le délicat problème (selon ses propres termes) de la dénonciation par un travailleur, de faits de maltraitance imputés à son employeur. Elle renvoie ici à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (citant Cr.E.D.H., 21 juillet 2011, arrêt Heinisch, requête n° 28.74/08). Il faut ici effectuer la balance entre d’une part des droits et des obligations ainsi que d’autre part des intérêts opposés. En outre, il faut tenir compte à la fois du destinataire de la dénonciation (autorité compétente) - étant de savoir si le travailleur a choisi la voie la plus indiquée et la moins dommageable - et encore apprécier l’objet de la dénonciation, l’intéressée ayant en l’occurrence fait état de maltraitance, situation qui ne la concerne pas personnellement mais relève de l’intérêt général et de la protection de l’enfance. Enfin, un dernier critère est celui de la véracité ou de la fausseté des faits et en l’occurrence, la charge de la preuve du motif grave reposant sur l’employeur, la cour retient que le caractère mensonger de la dénonciation n’est pas établi.

Ne constitue dès lors pas un motif grave le fait d’informer exclusivement l’autorité compétente de faits susceptibles de porter atteinte à l’intérêt des enfants, les accusations n’étant ni mensongères ni portées dans l’intention de nuire.

La cour fait dès lors droit à l’indemnité compensatoire de préavis et accueille également celle allouée en cas de licenciement abusif.

Il s’avère en effet que l’intéressée a été licenciée en raison de sa conduite mais cette démarche n’est pas fautive et le motif n’est pas légitime. Pour la cour, il est au contraire manifestement déraisonnable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle très utilement l’arrêt Heinisch c/ Allemagne rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 21 juillet 2011 (requête n° 28.274/08) concernant une employée d’un foyer pour personnes âgées, qui avait également alerté l’inspection quant aux défaillances dans les prestations assurées par le foyer aux résidents. Celle-ci fut en fin de compte licenciée avec préavis. Pendant celui-ci, des tracts furent distribués à l’initiative du syndicat auquel elle était affiliée.

Dans cet arrêt la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle que les employés sont tenus à un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur (considérant 64), dont elle précise les contours.

C’est en suivant les principes dégagés par la Cour Européenne dans cet arrêt et notamment la motivation du salarié qui procède à la divulgation que la Cour du travail de Bruxelles a conclu en l’espèce à l’absence de motif grave. La Cour Européenne y a également examiné les principes fondamentaux sur lesquels repose l’appréciation de la proportionnalité d’une ingérence dans la liberté d’expression, étant que l’on ne peut raisonnablement attendre d’un employé qu’il signale d’abord à son employeur les faits qu’il lui reproche lorsqu’il a connaissance d’un délit dont la non-dénonciation l’exposerait à des poursuites pénales. Pour la protection des donneurs d’alerte, la Cour Européenne rappelle qu’une approche semblable existe, étant qu’il convient de protéger celui qui utilise des voies externes lorsqu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les voies internes pour donner l’alerte fonctionnent correctement.

La Cour Européenne y examine encore la question de l’authenticité des informations divulguées et, en outre, le préjudice causé à l’employeur. S’agissant en l’espèce d’une société publique se consacrant notamment à la fourniture de prestations dans le service de la prise en charge institutionnelle des personnes âgées, la protection de la confiance du public revêtait une importance capitale pour le fonctionnement et le bien économique de l’ensemble du secteur.


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