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Allocations aux personnes handicapées : notions de cohabitation et de ménage

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 15 janvier 2013, R.G. 2012/AN/133

Mis en ligne le jeudi 21 mars 2013


Cour du travail de Liège, section de Namur, 15 janvier 2013, R.G. n° 2012/AN/133

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 janvier 2013, la Cour du travail de Liège, Section Namur, reprend l’évolution légale de la notion de ménage dans le régime des allocations aux personnes handicapées et examine l’incidence d’une cohabitation en l’absence d’une vie en couple sur le montant de l’allocation aux personnes âgées.

Les faits

Monsieur A. sollicite le bénéfice de l’allocation pour l’aide aux personnes âgées en 2004. Il cohabite depuis plus de vingt ans avec une dame G. Il va bénéficier de l’allocation en catégorie A.

Suite à l’emménagement du fils de Madame G. (également bénéficiaire d’allocations), la situation est réexaminée. L’intéressé a demandé au Service des renseignements sur l’incidence de cet emménagement. Il lui a été répondu que l’absence de ménage doit être établie, ce qui peut notamment ressortir d’un bail enregistré.

Une procédure en revision d’office est entamée et il en ressort qu’en septembre 2010 le Service supprime l’octroi de la prestation avec effet au 1er octobre, et ce compte tenu des revenus déductibles, étant ceux de Madame G. avec laquelle il est considéré qu’il y a un ménage.

Un recours est introduit, l’intéressé considérant qu’il doit bénéficier de la catégorie B (isolé).

Le Tribunal du travail de Namur considère, par jugement du 4 juin 2012, qu’il y a ménage du fait de la présomption de cohabitation. La vie en couple n’est, pour le tribunal, pas un critère déterminant. En conséquence, l’intéressé doit être classé en catégorie C et, vu les revenus de Madame G., il y a lieu de supprimer la prestation.

Position de parties en appel

L’intéressé considère qu’il n’y a pas ménage au motif qu’il ne forme pas un couple avec Madame G. Celle-ci lui assure de l’aide pour les tâches ménagères qu’il ne peut accomplir lui-même. Il supporte ses propres frais ménagers. Enfin, chacun a son propre budget.

Pour le Service, il y a ménage au sens légal et le jugement doit être confirmé.

Décision de la cour du travail

La cour examine l’interprétation des articles 6, § 1er et 7, § 3 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées ainsi que celle de l’article 4, § 1er de l’arrêté royal du 5 mais 1990 relatif à l’allocation pour l’aide aux personnes âgées.

La notion de ménage est définie à l’article 7, § 3 de la loi et la cour se livre à une vaste analyse de la notion, reprenant les travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 2002 (I), qui devait améliorer la définition légale aux fins de tenir compte des ménages composés de personnes du même sexe et s’était référée à la notion d’entité économique, édictant une présomption légale réfragable. Cette modification ayant été supprimée très rapidement (loi-programme du 9 juillet 2004), la cour rappelle, eu égard essentiellement à la décision du 7 juillet 2004 de la Cour constitutionnelle (C. Const., 7 juillet 2004, arrêt n° 123/2004), que la notion était revenue à ce qu’elle était antérieurement, étant qu’il faut cohabitation de deux personnes (et non d’un nombre supérieur) non parentes ou alliées aux trois premiers degrés et qui forment un couple. La cohabitation, qui implique le partage des charges et une mise en commun des ressources, ne suffit pas pour qu’il y ait ménage : les personnes en cause doivent former un couple. Il en découle notamment qu’un parent ne peut former un ménage avec un de ses enfants. La place de celui-ci est celle d’enfant à charge.

La cour constate que la Cour constitutionnelle a validé la nouvelle définition dans un arrêt du 10 novembre 2011 (C. Const., 10 novembre 2011, arrêt n° 170/2011), considérant que la situation est discriminatoire lorsque la personne handicapée sans revenus forme un ménage sans vivre en couple (considérant B.7.2., B.8. et B.9). Pour la cour du travail il faut partir, dans les hypothèses de domiciliation commune, du principe que si les deux personnes ne forment pas un couple commun, il n’y a pas ménage. Ceci vaut également dans le cas où la domiciliation commune ne se double pas d’une mise en commun des revenus et charges du ménage. Pour la cour du travail, qui reprend un arrêt du 21 avril 1998 (C. trav. Liège, sect. Namur, 21 avril 1998, R.G. n° 5795/97), si les deux personnes en cause ne forment pas un couple et qu’en sus elles ne cohabitent pas (en ce sens qu’elles ne partagent pas les revenus et les charges), alors la personne handicapée doit être reconnue comme isolée. Ainsi, ne cohabite pas la personne qui loue une chambre dans laquelle elle vit de manière autonome. C’est à la personne handicapée de renverser la présomption légale dès lors que l’état civil indique qu’il y a résidence à la même adresse.

En l’espèce, il y a cohabitation puisque les intéressés vivent de manière communautaire (prise en commun des repas, partage des mêmes lieux – hormis leur chambre) mais ils ne constituent pas un couple. L’intéressé se voit dès lors attribuer la catégorie A, étant celle de cohabitant.

En l’absence de ménage au sens spécifique de la législation applicable, la cour constate que les revenus de Madame G. ne doivent pas être pris en compte. L’article 7 de la loi prévoit en effet que les allocations ne peuvent être accordées que si les revenus de la personne handicapée et les revenus de la personne avec laquelle elle forme un ménage ne dépassent pas un montant déterminé (visé à l’article 6). La cour va dès lors inviter le Service à faire une proposition de calcul, tout en effectuant d’ores et déjà une proposition aux termes de laquelle l’octroi serait le montant intégral de l’allocation.

Une réouverture des débats est ordonnée sur la question.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, particulièrement documenté et fouillé, retrace l’évolution de la notion de ménage dans le régime des allocations aux personnes handicapées. Il fait une distinction claire entre la notion de cohabitation et celle de ménage, une distinction spécifique à la matière. La cohabitation a des effets sur la catégorie de bénéficiaire et le ménage en a d’autres sur le plan des revenus.


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