Terralaboris asbl

Non-conformité du droit interne avec le droit communautaire : un cas d’application en matière de retenues sur une pension complémentaire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 septembre 2012, R.G. 2011/AB/1.123 et 2011/AB/1.140

Mis en ligne le mardi 26 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 6 septembre 2012, R.G. n° 2011/AB/1.123 – 2011/AB/1.140

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine la question de la légalité des retenues dans le secteur des soins de santé et indemnités et dans le secteur des pensions (cotisation de solidarité) sur une pension complémentaire payée à un citoyen européen établi en Irlande.

Les faits

Un citoyen de nationalité hollandaise est occupé pour un employeur belge jusqu’à la fin de l’année 2004. Il travaille ultérieurement à l’étranger et s’établit en 2007 en Irlande avec son épouse. Il atteint à ce moment l’âge de 60 ans et bénéficie de deux montants très importants, versés au titre de capital-pension. Il s’agit d’un total de près de 1.200.000€. Des retenues sont opérées sur celui-ci, étant d’une part 3,55% au bénéfice de l’INAMI et 2% pour l’Office national des pensions. La première retenue est faite en application de l’article 191, § 1er, 7° de l’arrêté royal du 14 juillet 1994 portant coordination de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités et la seconde sur la base de l’article 68 de la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales. L’intéressé conteste ces retenues et introduit un recours devant le tribunal du travail.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 28 octobre 2011, le tribunal fait droit à la demande de remboursement. Suivant le point de vue du demandeur, le premier juge considère que les retenues sont en contradiction avec les dispositions de droit européen et particulièrement l’article 13 du règlement 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale. En vertu de cette disposition, des retenues ne pourraient être opérées que dans un seul Etat membre, à savoir en l’occurrence l’Irlande, Etat où l’intéressé a sa résidence habituelle au moment du paiement de la pension complémentaire.

Position de parties en appel

L’INAMI interjette appel par requête du 6 décembre 2011, renvoyant à un arrêt de la Cour Européenne de Justice du 6 février 1992 (Commission contre Belgique, Aff. C-253/90), qui a considéré que, le règlement ne s’appliquant pas aux pensions extralégales, il ne pouvait avoir violation de celui-ci. L’INAMI admet que depuis le 1er avril 2003 la retenue litigieuse n’est plus possible par rapport à des travailleurs qui ne sont pas à la charge de la sécurité sociale belge lorsqu’ils atteignent l’âge de la pension. Celui-ci ne coïncide cependant pas nécessairement avec l’âge auquel le capital extralégal est versé.

L’ONP interjette également appel par requête du 12 décembre 2011, se fondant également sur l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 6 février 1992. Il invoque également l’article 33 du Règlement 1408/71, qui autorise dans certaines conditions des retenues dans plusieurs Etats. Il plaide encore que les conditions de calcul de la cotisation de solidarité sont conformes à la réglementation européenne et souligne que l’intéressé n’avait pas la qualité de pensionné au moment où il a perçu le capital, de telle sorte que les dispositions du Règlement visées (27 à 33) ne s’appliquent pas à lui.

Quant à l’intéressé, il conteste l’application de la jurisprudence de la Cour de Justice du 6 février 1992 à son cas, les circonstances de l’espèce n’étant pas les mêmes.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les dispositions applicables (susvisées). Elle souligne que l’intéressé était un travailleur tombant dans le champ d’application de la législation de plus d’un Etat membre de l’Union européenne et qu’il est soumis à la sécurité sociale irlandaise depuis 2007, ayant été à charge de la Belgique de 1996 à 2004. Il s’est déplacé à l’intérieur de l’Union. Il tombe donc dans le champ d’application du Règlement. La cour rappelle que, en vertu de l’article 13 de celui-ci, un citoyen européen ne peut être soumis qu’à un seul droit national (sauf exception). Ceci a notamment pour objectif d’éviter que les cotisations correspondantes soient payées dans plus d’un Etat. La cour reprend la jurisprudence de la Cour de justice, dont l’arrêt du 6 février 1992. Celui-ci a relevé que les bénéficiaires de pensions complémentaires ne se trouvent pas dans les situations visées aux articles 13, alinéa 2 et 14 à 17 du Règlement. Le principe d’unicité de la loi applicable ne peut dès lors être invoqué en leur faveur. Se fondant également sur l’article 33, la Cour de justice a dès lors conclu que la législation belge, applicable aux pensions extralégales, n’était pas en contrariété avec le Règlement.

La cour souligne ensuite que le texte de l’article 13 a été modifié depuis (Règlement 2195/91 du 25 juin 1991). Ce nouveau texte modifie la règle et la cour en conclut que les dispositions de droit belge qui prévoient des retenues sur la pension d’une personne soumise à la législation d’un autre Etat sont actuellement en contradiction avec l’article 13 du Règlement, de telle sorte qu’elles doivent être écartées, indépendamment de la question de savoir si elles sont en contrariété avec l’article 33.

La cour relève que l’Office national des pensions fait également valoir un argument tiré du Règlement 987/2009 du 16 septembre 2009 (Règlement d’application du Règlement 883/2004 du 29 avril 2004, qui a remplacé le Règlement 1408/71), dont l’article 30 prévoit que, lorsqu’une personne perçoit une pension provenant de plus d’un Etat membre, le montant des cotisations prélevées sur toutes les pensions versées ne peut en aucun cas être supérieur au montant qui serait prélevé dans le cas d’une personne percevant une pension du même montant provenant de l’Etat membre compétent. L’ONP considère que ceci signifie, pour ce qui est des personnes habitant dans un autre Etat, qu’il n’y aucune interdiction à des retenues mais seulement une limitation.

La cour rappelle que cette nouvelle règlementation ne concerne pas la cotisation de solidarité mais uniquement des cotisations en matière de soins de santé et l’arrêt replace ensuite cet article 30 dans son contexte exact (hypothèses visées aux articles 24 et 25 du Règlement 823/2004). Elle conclut sur cette question que le cas d’espèce ne tombe pas dans les hypothèses visées.

Elle s’attache encore à examiner l’argument selon lequel l’intéressé n’avait pas le statut de pensionné au sens légal au moment où il a perçu le capital. Cette position est défendue par les deux administrations, qui considèrent qu’il serait dès lors justifié de procéder aux dites retenues à titre provisionnel et ultérieurement de rembourser, s’il devait s’avérer que l’intéressé n’est pas à charge du système de sécurité sociale en Belgique.

La cour déclare comprendre ce point de vue, dans la mesure où il n’est pas exclu que, lorsque l’intéressé atteindra l’âge de la pension, il revienne en Belgique et puisse alors prétendre aux prestations de sécurité sociale sur la base de sa carrière en Belgique ultérieurement.

Il n’y aurait à ce moment plus aucune raison de ne pas effectuer la retenue pour l’assurance soins de santé et un risque de prescription serait à craindre.

La cour constate cependant que cette seule constatation n’est pas autrement étayée, n’ayant pas d’assise légale permettant de justifier une pratique administrative en ce sens. Une telle pratique est difficile à admettre eu égard à la règle communautaire selon laquelle des cotisations ne peuvent être dues que dans un seul Etat membre. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la cour confirme dès lors le jugement.

L’arrêt tranche enfin un appel incident sur les intérêts. Elle constate que l’intéressé n’a pas fait de mise en demeure et qu’il n’y a pas de mauvaise foi dans le chef des institutions de sécurité sociale. Le premier juge n’ayant alloué que des intérêts judiciaires, la cour confirme que seuls sont-ci sont dus.

Intérêt de la décision

La cour du travail rappelle dans cet arrêt les règles du Règlement 1408/71 sur l’unicité de loi applicable en matière de sécurité sociale.

Actuellement, l’article 30.1 du règlement 833/2004 contient la règle applicable en matière de cotisations d’un titulaire de pension : l’institution d’un Etat membre qui applique une législation prévoyant des retenues de cotisations pour la couverture des prestations de maladie, de maternité et de paternité assimilée, ne peut procéder à l’appel et au recouvrement de ces cotisations, calculées selon la législation qu’elle applique, que dans la mesure où les dépenses liées aux prestations correspondantes sont à charge d’une institution dudit Etat membre.


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