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Harcèlement moral au travail : étendue de la réparation du dommage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2012, R.G. 2010/AB/514

Mis en ligne le lundi 11 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 5 septembre 2012, R.G. n° 2010/AB/514

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine une situation de harcèlement moral au travail sur le double plan de la protection en cas de licenciement et de la réparation du dommage subi.

Les faits

Une société, exploitant un centre de bronzage et de soins esthétiques, a engagé une préposée (accueil et service clientèle) à temps partiel dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en 2007. L’intéressée était, en sus, autorisée à prester en qualité d’esthéticienne indépendante dans les locaux de la société, en dehors de l’horaire contractuel.

Une plainte pour harcèlement moral est déposée en janvier 2008 contre la gérante du centre et, quelques jours plus tard, l’employée dépose également plainte pour injures auprès de la police. La gérante ayant enjoint à la travailleuse de quitter les lieux, les clés ont été remises aussitôt. Un courrier recommandé est alors envoyé, l’intéressée constatant qu’elle était contrainte de mettre un terme à son activité d’esthéticienne indépendante dans les locaux de la société.

Le contrat de travail est alors rompu par un courrier du conseil de la société. Celui-ci constate que l’intéressée a résilié quelques jours précédemment le contrat de bail commercial verbal et réclame des sommes importantes suite à cette rupture considérée comme fautive.

L’employée introduit une action devant le tribunal du travail. Elle y postule la condamnation de la société au paiement de l’indemnité de protection ainsi que des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, ceci en sus d’autres sommes liées à l’exécution du contrat de travail.

La société introduit quant à elle une demande reconventionnelle considérant l’action téméraire et vexatoire.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 26 avril 2010, le tribunal du travail admet que l’indemnité de protection est due. Il déboute l’intéressée de sa demande de dommages et intérêts.

Décision de la cour du travail

Suite à l’appel interjeté par la société, la cour est également saisie d’un appel incident de l’intéressée, portant notamment sur un montant de 1.000€ de dommages suite au harcèlement subi.

La cour est ainsi amenée à examiner d’une part la question de la débition de l’indemnité forfaitaire de protection. Elle rappelle – ce qui n’avait pas été retenu par le tribunal – que c’est le dépôt de la plainte qui entraîne la protection instaurée par l’article 32tredecies et que celle-ci joue indépendamment de l’appréciation ultérieure quant au bien-fondé ou non de celle-ci, c’est-à-dire quant à l’existence ou non de harcèlement. Dans le cadre de l’examen de l’indemnité de protection, il n’y a pas à examiner si les faits invoqués sont constitutifs ou non de harcèlement ou si l’employée établit des faits permettant de présumer l’existence de celui-ci. La cour rappelle que seules deux questions sont à régler, étant de savoir si au moment de la notification du congé l’employé est protégé contre le harcèlement et si celui-ci est intervenu pour des motifs étrangers à la plainte déposée.

En l’espèce, la cour va constater qu’il y a protection légale, la plainte ayant été déposée en bonne et due forme et étant motivée. La cour constate également que la personne mise en cause est clairement et nommément désignée.

En ce qui concerne, par ailleurs, les motifs de licenciement, la cour va examiner ceux-ci et constater, avec le ministère public, qu’ils sont les mêmes que ceux repris par l’intéressée dans la plainte déposée. Est relevé un même contexte de mésentente profonde et d’agressivité. Les motifs ne sont dès lors pas étrangers à la plainte, et la cour de relever que la société n’invoque d’ailleurs aucune justification à la rupture du contrat, qui serait étrangère au contexte de harcèlement.

Le jugement est dès lors confirmé sur ce point.

En ce qui concerne, cependant, les dommages et intérêts postulés en réparation du préjudice subi suite aux faits de violence (injures et menaces), ainsi que de la perte du local où elle exerçait comme indépendante (avec perte de la clientèle et donc de revenus), la cour s’écarte de la conclusion du tribunal. Elle rappelle en effet que l’indemnité de six mois de rémunération allouée vu le licenciement ne répare pas l’éventuel préjudice occasionné par des faits de harcèlement eux-mêmes si ceux-ci sont avérés et encore moins d’autres dommages et intérêts distincts, ainsi, en l’occurrence la perte de l’activité accessoire exercée sur les lieux du travail. En licenciant l’intéressée, la société lui a dès lors causé un préjudice supplémentaire, étant la possibilité d’exercer l’activité indépendante accessoire. Le dommage spécifique est établi et la cour alloue, en conséquence, le montant réclamé par l’intéressée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle en des termes très clairs l’objet du contrôle judiciaire en cas de harcèlement au travail :

  • en cas de licenciement intervenant alors que le travailleur est protégé vu le dépôt de la plainte motivée (conformément aux exigences légales), ce contrôle porte sur la nature du motif de licenciement (et en cas de pluralité de motifs, sur l’ensemble de ceux-ci). Le ou les motifs doivent être étrangers au dépôt de la plainte et à supposer que tel ne soit pas le cas (comme en l’espèce où ils s’identifient avec les faits pour lesquels la plainte a été déposée), l’indemnité est due, que le harcèlement soit en fin de compte avéré ou non ;
  • en cas de harcèlement établi, le juge peut allouer des dommages et intérêts, si un dommage spécifique est constaté. En l’occurrence, il s’agit d’une incapacité de travail dûment avérée.

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