Terralaboris asbl

Cumul entre l’indemnité de protection due en vertu de l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 et les avantages d’un plan social contenu dans une convention collective de travail d’entreprise.

Commentaire de Cass., 3 décembre 2012, S.11.0014.F

Mis en ligne le lundi 11 février 2013


Cour de cassation, 3 décembre 2012, S.11.0014.F

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 décembre 2012, la Cour de cassation rappelle que le cumul de l’indemnité spéciale de licenciement prévue par la loi du 19 mars 1991 avec une indemnité ayant un autre fondement juridique est autorisé.

Les faits

Le sieur F. C. était candidat non-élu aux élections sociales de mai 2004.

En 2005, la s.a. British American Tobacco Belgium a procédé à une restructuration et sélectionné des travailleurs à licencier, dont le sieur F. C. et trois autres travailleurs protégés. Les travailleurs non protégés se sont vu notifier des préavis.

La société et les organisations syndicales ont conclu une convention collective de travail prévoyant un plan social comprenant le paiement d’une indemnité de préavis, le paiement d’une indemnité complémentaire à l’allocation de chômage dont les modalités varient selon l’âge du travailleur, le maintien de certains avantages (assurance-groupe vie et décès, couverture hospitalisation, etc.) dans certaines limites et des mesures de reclassement dont un accompagnement individuel. La convention prévoit également que l’attribution de ces avantages est soumise à la condition essentielle de la signature préalable d’une convention individuelle et que les dispositions de la CCT valent sous les conditions résolutoires de la reconnaissance par la commission paritaire de la restructuration comme une raison économique, de la démission de tous les employés visés par la restructuration qui sont investis d’un mandat au plus tard avant le moment planifié de leur licenciement, de leur signature d’une convention de transaction par laquelle ils renoncent aux indemnités de protection et enfin qu’aucun employé auquel la convention est applicable n’entame une procédure judiciaire devant un tribunal contre BAT sur base d’une quelconque législation concernant la discrimination.

Le même jour, l’employeur et les organisations syndicales ont signé un protocole d’accord portant sur le licenciement des quatre travailleurs protégés. Ce protocole comporte une disposition fixant l’indemnité de départ et la possibilité pour le travailleur concerné d’opter pour l’une ou l’autre forme de prime supplémentaire. Les organisations syndicales se portent fort de reconnaître les raisons d’ordre économique au sein de la commission paritaire.

Ces raisons ont été reconnues par la commission paritaire le 21 juin 2005.

Entretemps, le 2 mai 2005, la société et les travailleurs protégés avaient signé une transaction prévoyant que la société mettait fin au contrat le 7 juillet 2005 moyennant une indemnité de préavis et le droit au plan social.

Les relations de travail ont pris fin le 7 juillet 2005 et M. F.C. a perçu l’indemnité compensatoire de préavis et les avantages du plan social pour lesquels il a opté.

En juin 2006, M. F.C. cite la société devant le tribunal du travail de Bruxelles en vue de se voir accorder l’indemnité de protection prévue par l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 sous déduction de l’indemnité de préavis payée, tandis que la société cite M. F.C. devant ce tribunal en remboursement des avantages perçus par le plan social.

Le jugement de la dix-huitième chambre du tribunal du travail de Bruxelles du 2 octobre 2007

Statuant sur la demande du sieur Carlier, le tribunal est tout d’abord amené à trancher la contestation par celui-ci des motifs d’ordre économique et technique. Le tribunal rappelle que la cour constitutionnelle a, dans un arrêt du 8 juillet 1993 (n° 57/93), décidé que l’article 3 de la loi du 19 mars 1991 violait les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’aucun recours juridictionnel n’est prévu lorsque la commission paritaire accepte ou refuse le motif économique ou technique présenté par l’employeur. La lacune se trouvant dans la loi, il appartient au juge de la combler. Le tribunal du travail décide qu’il est compétent pour ce faire, que la décision concernant des droits subjectifs de la compétence de la commission paritaire est une compétence liée et que le tribunal exerce un contrôle de pleine de juridiction en réappréciant entièrement les motifs d’ordre économique et technique. Dans le cas d’espèce le tribunal estime que la motivation de la décision de la commission paritaire ne répond pas aux exigences de l’article 3 de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs et qu’en outre la commission paritaire n’a pas véritablement exercé son pouvoir d’appréciation. La décision de la commission paritaire est donc nulle. Réappréciant la situation de l’entreprise, le tribunal décide qu’il n’existait pas de motif d’ordre économique ou technique valable.

Le tribunal était en conséquence amené à apprécier si le sieur F.C. avait renoncé à l’indemnité de protection. Il décide que la transaction conclue avant la fin des relations de travail soit le 2 mai 2005 est nulle et que M. F.C. n’a posé ultérieurement aucun acte de renonciation valable.

Il en conclut que M. F.C. a droit à l’indemnité de protection sous déduction de l’indemnité compensatoire de préavis.

Statuant sur la demande de BAT en remboursement des avantages du plan social, le tribunal relève que la convention collective de travail n’a pas été déposée. Elle a valeur d’engagement pour l’employeur et les effets de la convention ne sont pas étendus à d’autres personnes que les signataires. Le tribunal vérifie donc si le travailleur a adhéré aux clauses restrictives qui soumettaient l’octroi des avantages du plan social à la signature d’une convention individuelle, à la démission de leur mandat par les travailleurs protégés et à leur renonciation à l’indemnité de protection et décide que tel n’est pas le cas. Les montants payés au titre d’avantage social ne sont en conséquence pas indus mais justifiés par les engagements de l’employeur.

L’employeur interjette appel de ce jugement. Le sieur F.C. interjette un appel incident sur la consistance de sa rémunération.

L’arrêt de la quatrième chambre de la cour du travail de Bruxelles du 9 mars 2010 (J.T.T., 2010, p. 234)

On en retiendra ce qui concerne l’appel de la société.

Sur la recevabilité de la demande originaire contestant les raisons d’ordre économique et technique, la cour du travail décide que l’arrêt de la Cour constitutionnelle trouve à s’appliquer en l’espèce sans qu’il y ait lieu de lui poser une nouvelle question préjudicielle. Elle ne rentre pas dans le début soulevé par le premier juge quant à la qualité d’autorité administrative de la commission paritaire et la motivation de sa décision. Concernant le rôle du juge, elle estime qu’il ne lui appartient pas d’apprécier si la décision de licenciement collectif était bien financièrement et économiquement justifiée. Son rôle est de vérifier si l’employeur apporte la preuve que la décision de licencier le sieur FC était étrangère à sa qualité de travailleur protégé. La cour du travail retient qu’en l’espèce le choix des personnes à licencier n’a jamais été objectivée au cours de la procédure de contestation, l’employeur ayant constamment affirmé sa volonté d’être seule juge des compétences des travailleurs qu’il a choisi de licencier et que la commission paritaire n’a pas été informée des critères de sélection. La décision de cette commission paritaire ne suffit donc pas pour admettre que le licenciement est étranger à la qualité de travailleur protégé et la société échoue dans la preuve qui lui incombe. En principe, cette constatation emporte le droit à l’indemnité de protection prévue par l’article 16 de la loi du 19 mars 1991.

La cour du travail examine alors si le cumul de l’indemnité de protection avec les avantages du plan social est, comme le soutenait l’employeur, interdit. Elle rappelle que l’indemnité spéciale de protection est due en raison de l’irrégularité du licenciement et que, sauf disposition contraire, elle peut être cumulée avec toute indemnité qui a une cause juridique différente et donc, sauf disposition contraire de la convention collective de travail du 28 avril 2005, à condition que ces avantages aient une cause juridique autre qu’une indemnité due en raison de l’irrégularité du licenciement, ce qu’il convient de vérifier dans chaque cas. Elle décide qu’en l’espèce, sous réserve de l’indemnité de préavis, les avantages sociaux prévus par la CCT « plan social » ont une cause autre que l’irrégularité du licenciement et peuvent être cumulées. La CCT d’entreprise ne prévoit pas de règle de non-cumul mais conditionne uniquement l’attribution des avantages à la signature d’une convention individuelle ou à la renonciation à faire valoir le droit à l’indemnité de protection.
La cour du travail décide ensuite que M. F.C. n’a pas renoncé valablement au paiement de l’indemnité de protection. La transaction du 2 mai 2005 est nulle et aucune renonciation postérieure ne peut être déduite des circonstances de la cause.

Elle condamne dès lors la société au paiement de l’indemnité de protection.

Sur l’action de la société en remboursement des avantages du plan social, la cour du travail rappelle que les montants versés ont une cause, à savoir exécuter la convention collective de travail plan social.

Elle examine ensuite si, comme le soutenait la société, les dispositions de la convention collective en ce qu’elles soumettent l’attribution des indemnités à la signature préalable d’une convention individuelle et instaurent des conditions résolutoires aux dispositions de la CCT à savoir notamment la démission de tous les employés investis d’un mandat et la signature par ceux-ci d’une convention de transaction par laquelle ils renoncent aux indemnités de protection. La cour du travail retient qu’après la convention nulle et alors que elle savait que M. F.C. n’avait pas présenté sa démission, ne la présenterait pas et n’avait pas signé de convention de renonciation, la société a exécuté le plan. Elle décide que ni le fait que M. F.C. a introduit une action pour contester les conditions de son licenciement au regard de la loi du 19 mars 1991 ni la nullité de la transaction du 2 mai 2005 ne permettent de constater que le paiement des avantages du plan social est devenu indu. La société est dès lors déboutée de son action en remboursement de l’indu.

Le pourvoi en cassation

La société ne critiquait pas l’arrêt en ce qu’il a décidé qu’il n’était pas établi que le licenciement de M. F.C. était étranger à sa qualité de candidat ou de membre d’un organe représentatif.

Le premier moyen – le seul qui justifie un commentaire – critiquait la décision de l’arrêt que l’indemnité de protection pouvait être cumulée avec les avantages du plan social à l’exception de l’avantage correspondant au paiement d’une indemnité de rupture.

La demanderesse soutenait, en substance, que l’interdiction de cumul n’était pas limitée aux indemnités normales de rupture mais s’étendait à toute indemnité qui est due au travailleur en raison de son licenciement et que les avantages du plan social couvraient un dommage causé par le licenciement.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour rejette le premier moyen. Après avoir rappelé le contenu de l’article 16 de la loi du 16 mars 1991, elle relève qu’« il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 mars 1991 que l’indemnité spéciale remplace les indemnités normales de rupture du contrat de travail sauf si celles-ci devaient être d’un montant supérieur. Il en résulte que l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 ne prohibe pas tout cumul entre l’indemnité de protection et une autre indemnité due en vertu d’une convention collective, quelle qu’en soi la cause ».

En décidant que sous réserve « de l’indemnité de préavis, les avantages sociaux prévus par la convention collective de travail « plan social » (...) ont une autre cause que l’illégalité du licenciement », l’arrêt justifie légalement sa décision que l’indemnité spéciale de protection et les avantages résultant du plan social peuvent être cumulés.

Intérêt de l’arrêt commenté

L’arrêt analysé confirme la règle, déjà dégagée à propos du cumul entre l’indemnité due en vertu de la loi du 16 mars 1991 et l’indemnité réparant la violation d’une clause de stabilité d’emploi contenue dans une convention collective de travail dans le secteur des assurances (Cass., 20 février 2012, commenté par Terra Laboris pour SocialEyeNews) : la loi de 1991 n’interdit pas le cumul de l’indemnité de protection avec toute indemnité due en vertu d’une convention collective de travail en raison du licenciement.

Lorsque le cumul n’est pas interdit par la convention collective de travail, le juge doit analyser ce que les dispositions de cette convention collective de travail contiennent et si elles ont la même finalité que l’indemnité de protection (voir en ce sens W. Bouciqué et O. Wouters (20 jaar wet van 19 maart 1991 bescherming personeelsafgevaardigden – Overzicht van rechtspraak sinds de sociale verkiezingen van 2008", Orïëntatie 2010-3, p. 79), qui approuvent la solution adoptée par l’arrêt attaqué.

Pour le surplus, l’ensemble de la procédure est intéressante, spécialement en ce qui concerne l’illégalité de l’article 3 de la loi du 16 mars 1991 en ce qu’il ne prévoit pas de recours devant le tribunal du travail contre la décision de la Commission paritaire et les conséquences à en déduire. Le premier juge a mis l’accent d’une part sur l’obligation de motivation de la décision de la commission paritaire et d’autre part sur le contrôle de pleine juridiction des motifs d’ordre économique et technique eux-mêmes. La cour du travail a abordé le problème sous un autre angle en décidant que l’essentiel était de vérifier si l’employeur apportait la preuve que le choix de licencier les travailleurs protégés dont M. F.C était dénué de toute incidence de sa qualité de candidat aux élections sociales et que tel n’était pas le cas en l’espèce.

On observera que le même jour, la Cour de cassation a rendu deux arrêts identiques concernant deux autres travailleurs protégés de B.A.T.


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