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Licenciement suite à une plainte pour harcèlement moral : contrôle des motifs

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 10 octobre 2012, R.G. 10/7.489/A

Mis en ligne le vendredi 8 février 2013


Tribunal du travail de Bruxelles, 10 octobre 2012, R.G. n° 10/7.489/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 1er octobre 2012, le Tribunal du travail de Bruxelles rappelle que, pour que l’indemnité spéciale ne soit pas due, tous les motifs à l’origine de la rupture du contrat de travail doivent être étrangers à la plainte déposée pour harcèlement au travail.

Les faits

Engagé comme Directeur d’une A.S.B.L. en février 2005, un employé est amené à déposer une plainte formelle auprès du Service externe de Prévention et Protection au Travail en février 2009. Cette plainte est dirigée contre le Président de l’association. Deux mois plus tard, il se voit notifier une décision du Conseil d’administration selon laquelle il est « maintenu » à domicile. Cette situation dure pendant quatre semaines, suite à quoi il est informé de l’intentement d’une procédure disciplinaire à son encontre et, deux semaines plus tard encore, il fait l’objet d’une décision de licenciement moyennant un préavis de 9 mois. Le licenciement est motivé essentiellement par un contexte général de manque de confiance et de compétence. Divers dysfonctionnements lui sont reprochés et le Conseil d’administration prend également en compte une plainte déposée contre lui.

Suite au licenciement, l’organisation syndicale à laquelle l’employé est affilié demande à l’employeur de justifier le motif de la rupture, en application de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996.

Entre-temps, un large mouvement de contestation se fait jour au sein de l’A.S.B.L., aux fins de dénoncer la détérioration des conditions de travail, ainsi que la mise en péril de l’emploi. Suite à une communication publique de son employeur le mettant en cause, l’intéressé donne alors deux interviews à la presse en ce qui concerne le malaise général. Il est alors licencié pour motif grave, suite à ces interviews. Toutes tentatives de solution amiable ayant échoué, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

La décision du tribunal

Le tribunal est saisi de la contestation du motif grave et d’une demande d’indemnité de protection au sens de l’article 32tredecies, § 4 de la loi du 4 août 1996.

La discussion sur le motif grave est assez classique, le tribunal ayant à régler la question du délai (le licenciement étant intervenu le jour de la réunion du Conseil d’administration, au cours de laquelle ses membres furent informés des faits reprochés) ainsi que du bien-fondé de la décision elle-même. Le tribunal rappelle qu’étant l’organe compétent, le Conseil d’administration devait prendre la décision (la connaissance qu’ayant eue de la chose ses membres individuellement étant sans incidence). Sur la gravité des faits, le tribunal rappelle qu’avant lesdites interviews, l’A.S.B.L. a publié un communiqué de presse, dans lequel elle avait fait état du licenciement du Directeur et y avait visé « sa (très !) mauvaise gestion administrative, financière et des ressources humaines » en sus d’autres griefs. Pour le tribunal du travail, il y a eu mise en cause personnelle du Directeur, et ce de manière délibérée. Les propos tenus ont d’ailleurs été largement préjudiciables pour la réputation et l’avenir professionnel de l’intéressé, qui prestait son préavis. Le tribunal considère dès lors que la « sortie médiatique » de l’intéressé n’est qu’une réaction défensive légitime à l’atteinte qui fut portée publiquement à sa réputation. Elle ne peut dès lors suffire à fonder un licenciement pour motif grave. Le tribunal fait dès lors droit à la demande relative à l’indemnité compensatoire de préavis (ainsi que du paiement de jours fériés et de la prime d’année).

Sur la question de l’indemnité de protection, le tribunal rappelle qu’il y a eu plainte motivée déposée selon les procédures en vigueur, puisqu’en l’occurrence, le Service externe de Prévention et Protection au Travail – Département psychosocial – a été saisi. En outre, le licenciement est intervenu dans les douze mois qui ont suivi celle-ci. Le tribunal rappelle ensuite la position doctrinale et jurisprudentielle dominante, selon laquelle il faut examiner tous les motifs à l’origine de la rupture. C’est l’ensemble de ceux-ci qui doit être étranger à la plainte. En conséquence, si, parmi plusieurs motifs, l’un a un lien avec celle-ci, l’indemnité est due (et le tribunal de rappeler la publication de J.-P. CORDIER et P. BRASSEUR, Le bien-être psychosocial au travail : harcèlement moral, harcèlement sexuel, violence, stress, conflit … , Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2009, 293 et C.E., 19.5.2003, De Keye, n° 119537, disponible sur www.raadvst.consetat.be).

L’obligation de preuve dans le chef de l’employeur est donc double, étant que, non seulement, il y a, à la base du licenciement, des motifs étrangers à la plainte, mais, en outre, que ces motifs sont les seuls. En conséquence, en cas de doute, l’employeur ne rapporte pas la preuve exigée et est redevable de l’indemnité de protection.

Examinant les éléments invoqués par l’A.S.B.L., qui a donc la charge de la preuve des motifs étrangers à la plainte, le tribunal constate que ceux-ci ne sont pas avérés. Aucun élément n’est versé aux débats autres que ceux relatifs à une délibération du Conseil d’administration ayant été saisi de deux points importants, dont précisément le suivi de la plainte déposée. Le tribunal rappelle encore, avec le Ministère public, que l’indemnité n’est pas due à la condition que soient reconnus les faits de violence ou de harcèlement invoqués dans la plainte. Il précise que cette erreur procède de la référence à la version initiale du texte de l’article 32tredecies. Or, celui-ci a été modifié par la loi du 10 janvier 2007, ainsi que rappelé également.

Intérêt de la décision

L’intérêt de ce jugement du Tribunal du travail de Bruxelles est de préciser, s’agissant du contrôle des motifs du licenciement que, non seulement, ceux-ci doivent être étrangers à la cause légale de protection, mais également qu’il doit s’agir des seuls motifs à la base de la décision de rupture.

Précisons encore que l’employeur avait introduit, à titre subsidiaire, une demande d’abus de droit de licencier, au cas où le tribunal aurait considéré qu’il ne pouvait se voir octroyer l’indemnité de protection. Ayant fait droit à cette demande, le juge n’examine pas s’il y a abus de droit. Nul doute que celui-ci aurait été présent, cependant, vu l’atteinte manifeste à la réputation de l’intéressé et la publicité donnée par l’employeur aux accusations portées contre lui. S’agissant du dépassement d’une norme de comportement, la question peut sérieusement être posée d’un dommage distinct de celui couvert par l’indemnité allouée en application de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996.


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