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Infarctus du myocarde et événement soudain dit « banal » : un arrêt exemplaire de la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 mars 2007, R.G. 47.355

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 26 mars 2007, R.G. 47.355

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 26 mars 2007, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une demande de réparation formée par un automobiliste (chemin du travail) ayant subi au volant de son véhicule un infarctus et invoquant comme événement soudain la vue d’un motard zigzagant dans les embouteillages bruxellois, reconnaît l’existence de l’événement et replace sur le terrain du lien causal la question de la cause de la lésion (infarctus). C’est l’occasion pour la Cour de faire un rappel complet des principes.

Les faits

Monsieur C., policier occupé une zone de police bruxelloise, se rend, le 15 mai 2003, de son domicile (Tubize) à son lieu de travail (Uccle) à l’aide de son véhicule et selon son trajet habituel (A8 puis A7/E19).

Il est victime d’un malaise cardiaque alors qu’il se trouve sur la bretelle d’accès à A7/E19. Il appelle immédiatement sa responsable, qui lui enjoint de s’arrêter sur l’aire de repos proche et vient le chercher pour le conduire à l’hôpital. Un infarctus du myocarde est constaté. Le rapport d’hospitalisation indique qu’il aurait été précipité par une situation de stress aigu sur le trajet du travail.

La déclaration d’accident est complétée par Monsieur C. à sa sortie de l’hôpital. Il indique que, dans les embouteillages, il a été saisi par le « gymkhana » d’un motard et a alors ressenti une violente douleur à la poitrine et dans le bras gauche.

Le rapport d’hospitalisation fait état d’une artère coronaire légèrement rétrécie et d’une artère antérieure descendante sérieusement rétrécie. Il mentionne également la présente de facteurs de risque (tabagisme et antécédents familiaux).

Les faits sont refusés par l’employeur, de sorte que Monsieur C. introduit une procédure devant les juridictions du travail pour faire reconnaître l’accident du travail.

La position des parties

Si l’employeur (zone de police) ne conteste pas l’existence de la lésion (infarctus) ni que Monsieur C. se trouvait sur le chemin normal du travail lorsque les faits se sont produits, il considère cependant qu’aucun événement soudain ne s’est produit, ayant provoqué un infarctus.

La décision de la cour

Après avoir rappelé le partage de la charge de la preuve organisé par la loi, la Cour examine en premier lieu la question de l’événement soudain.

Sur le plan des principes, elle rappelle que :

  1. l’événement soudain peut être constitué de l’exercice habituel et normal de la tâche journalière, pour autant que, dans cet exercice, soit épinglé un élément qui a pu produire la lésion, celui-ci ne devant cependant pas se distinguer de l’exécution du contrat de travail ;
  2. un geste courant, dès lors qu’il a pu causer la lésion, peut constituer un événement soudain, dès lors que la loi n’exclut pas l’accident qui aurait pu se réaliser en-dehors de l’exécution du contrat de travail ;
  3. un fait qui se produit fréquemment sur le chemin du travail peut constituer un événement soudain. Il n’est pas exigé que ce fait soit particulier ou encore entouré de circonstances particulières. La Cour précise par ailleurs que l’élément épinglé ne doit pas dépasser les conditions habituelles, normales, de la circulation autour de Bruxelles aux heures de pointe ou le cadre inhérent à tout déplacement.

Pour la Cour, il faut mais il suffit que l’événement soit précisément déterminé dans le temps et dans l’espace.

Examinant le cas d’espèce, la cour estime que Monsieur C. établit avoir vu un motard zigzaguer entre les voitures, alors qu’il se trouvait à bord de son véhicule sur la bretelle d’accès de l’E19. Elle se fonde à cet égard sur le nombre et le caractère concordants des déclarations de Monsieur C. quant à l’accident.

La Cour estime en conséquence qu’il y a un événement épinglé, déterminé dans le temps et dans l’espace de manière précise, de sorte qu’il y a événement soudain.

Elle ajoute – et ceci fait tout l’intérêt de l’arrêt – qu’il est indifférent

  1. que le fait soit banal, fréquent, prévisible, peu surprenant ou encore qu’il ne s’inscrive pas dans une situation sortant du cadre inhérent à tout déplacement automobile,
  2. que le fait ait simplement surpris Monsieur C. ou qu’il ait provoqué une intense émotion, que la lésion puisse avoir d’autres causes. La Cour rappelle en effet que ce débat concerne en réalité la question du renversement de la présomption légale de causalité et non la définition de l’événement soudain.

La lésion n’étant pas contestée, de même que la survenance de l’accident sur le chemin du travail, la Cour conclut que les faits sont présumés constituer un accident du travail. L’employeur peut cependant renverser cette présomption en établissant que tout lien causal entre les lésions constatées et l’événement soudain est exclu, c’est-à-dire que la lésion ne se serait pas produite au moment et dans les formes où elle s’est produite sans l’accident.

Sur ce point, la Cour estime que la nature de l’événement ne suffit pas en elle-même à établir cette preuve, de sorte qu’une expertise médicale est nécessaire.

Vu l’existence de prédispositions à la lésion, la Cour termine son arrêt en faisant un rappel des principes en matière de réparation, lesquels imposent de prendre en compte l’état antérieur dès lors et aussi longtemps que l’accident est, à tout le moins en partie, la cause de l’incapacité de travail. Afin de s’assurer que l’examen de l’expert respecte ces principes, développés dans le corps de l’arrêt, la Cour réforme la mission d’expertise en ce sens.

Intérêt de la décision

Cet arrêt remet, en matière d’événement soudain, l’église au milieu du village : l’événement soudain peut être n’importe lequel des événements de l’exécution normale du travail (ou survenant normalement sur le chemin du travail), pour autant qu’il soit déterminé dans le temps et dans l’espace. La nature de l’événement épinglé (qualifié de banal, courant, habituel – ici avoir été surpris par le déplacement d’une moto entre les voitures à l’arrêt ou ralenties) n’est pas, en dehors de toute mesure d’expertise, une circonstance suffisante pour exclure le lien causal.

Cet arrêt témoigne d’une rigueur salutaire dans l’analyse des concepts et des différents éléments de preuve mis à charge de l’une ou de l’autre des parties. Un enseignement à retenir et à appliquer.


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