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Employeur public et absence d’audition préalable lors du licenciement : une réflexion

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 septembre 2012, R.G. 2008/AB/51.416

Mis en ligne le jeudi 27 décembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 12 septembre 2012, R.G. 2008/AB/51.416

Dans un arrêt du 12 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles statue dans l’hypothèse d’un « coup de force » de l’employeur pour amener le travailleur à signer un contrat de travail, à défaut de quoi, il sera réputé démissionnaire.

Les faits

Une assistante sociale est en engagée en 1991 dans le cadre d’un troisième circuit de travail par une société de logement social. Une circulaire est prise par le FOREM le 31 décembre 2003, annonçant la transformation des postes TCT en postes ACS. L’employeur propose dès lors à l’intéressée un contrat de travail d’employée à durée indéterminée en qualité d’agent contractuel. Celle-ci refuse, la rémunération proposée ne lui paraissant pas conforme. Des discussions interviennent et l’intéressée fait diverses démarches, notamment auprès du Bourgmestre de la commune, interrogeant ainsi diverses autorités sur l’application de la grille barémique qui lui est proposée. En fin de compte, elle est mise en demeure de signer une dernière proposition de contrat. Le courrier précise qu’à défaut pour elle de ce faire dans les cinq jours de la réception, elle serait considérée comme démissionnaire.

S’ensuit un échange de correspondance dans lequel elle signale ne pas avoir l’intention de démissionner mais demande une dernière régularisation dans l’examen de sa rémunération. Il lui est répondu qu’elle est considérée comme démissionnaire vu son refus de signer le contrat à la date fixée. Elle se voit dès lors interdire l’accès de son lieu de travail.

Une procédure est introduite, en demande de paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’arriérés de rémunération.

La société forme une demande reconventionnelle au titre d’indemnité compensatoire de préavis.

Dans le cours de la procédure, l’employeur appelle ACTIRIS à la cause, en intervention et garantie. Le FOREM intervient alors, en intervention volontaire, demandant que soit déclarée irrecevable ou non fondée la demande dirigée contre ACTIRIS. Il conteste toute obligation de garantie dans son propre chef.

Position du tribunal

Par jugement du 24 juillet 2008, le tribunal du travail considère que l’attitude de l’employeur relève du coup de force et qu’elle est constitutive d’un acte équipollent à rupture. Il y a dès lors lieu de reconnaître le droit à une indemnité compensatoire de préavis. Le tribunal ordonne cependant la réouverture des débats en ce qui concerne le montant de la rémunération. Les interventions forcée/volontaire d’ACTIRIS et du FOREM sont écartées, le tribunal considérant qu’aucun acte n’a été posé par ces organismes de nature à engager leur responsabilité financière.

Décision de la cour

Suite à l’appel interjeté par l’employeur, la cour est saisie de l’ensemble du litige, en ce compris des demandes en intervention et garantie.

La cour examine en premier lieu un argument tiré de la prétendue irrégularité de la rupture, l’intéressée considérant que les signataires de la lettre de licenciement n’étaient pas compétents pour ce faire. La cour rappelle à cet égard que chaque partie peut confier le pouvoir de donner congé à un mandataire et qu’une ratification peut intervenir, pouvant être expresse mais également tacite. Elle renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 avril 1997 (C. trav. Mons, 28 avril 1997, RDD, 1999, p. 181).

Par ailleurs, la travailleuse invoquant également la violation du principe audi alteram partem, elle demande sa réintégration. La cour rappelle que celle-ci ne peut en aucun cas avoir pour conséquence d’empêcher le congé de sortir ses effets. Dès lors qu’il y a manifestation dans le chef de l’employeur de sa volonté de rompre le contrat, il y a licenciement, même si celui-ci est entaché d’illégalité. La sanction d’un constat posé à tort de démission met fin aux relations contractuelles et est sanctionné par l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis.

La cour statue également sur la question de la rémunération, étant celle perçue par l’intéressée au moment de la rupture. Il n’y a aucune justification, selon elle, à se référer à la rémunération d’une collègue, qui aurait exercé le même type de prestation. En ce qui concerne les arriérés de rémunération qui pourraient être postulés, la cour les évalue avec l’intéressée à l’équivalent de la différence entre le traitement versé et celui qu’elle aurait dû se voir octroyer au regard de la grille barémique revalorisée.

Par ailleurs, l’assistance sociale n’ayant pas été entendue par son employeur préalablement à la rupture, la cour examine le préjudice qui résulterait de l’absence d’audition. Celui-ci doit être apprécié eu égard à la théorie de perte d’une chance de conserver son emploi. Elle constate au vu de la position respective des parties que l’audition préalable n’aurait pas empêché la société de considérer qu’elle était démissionnaire. Reprenant cependant à son compte la conclusion du premier juge, étant qu’il y a eu « coup de force », la cour précise que la société ne pouvait nullement croire à une quelconque démission.

Elle va dès lors confirmer la position du premier juge en ce qui concerne le droit à l’indemnité compensatoire de préavis (qui sera cependant différente dans son montant). L’intéressée demandant sa réintégration et le paiement de sa rémunération pour la période passée, la cour la déboute de cette demande au motif du caractère définitif du congé. Elle la déboute également de sa demande de dommages et intérêts au titre de préjudice subi suite au défaut d’audition préalable à la rupture du contrat.

Enfin, elle réserve à statuer sur un élément rémunératoire, étant l’assurance de groupe.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour rappelle les règles en matière de ratification de congé. S’agissant par ailleurs d’un employeur public, la question posée – et qui l’est fréquemment – porte sur l’obligation d’audition et sa sanction en cas de violation. La cour conclut rapidement à l’inutilité dans les faits de cette formalité – au seul motif du comportement de l’employeur, qu’elle qualifie de « coup de force ». Il faut constater que ce raisonnement aboutit à priver l’intéressée d’une réparation suite au manquement de l’employeur, et ce eu égard au peu d’effet qu’aurait eu le respect de la formalité contestée. Le raisonnement est curieux, car il permettrait de considérer que moins la formalité n’a de chance d’aboutir, moins elle devrait être respectée par l’employeur.

Ce n’est à notre avis pas eu égard au résultat de l’audition qu’il faut se situer mais sur le plan du principe de celle-ci.

Le recours à la théorie de la perte d’une chance se fait régulièrement au regard de la perspective qu’aurait eu le travailleur de voir son emploi conservé s’il avait pu s’expliquer quant aux motifs avancés par son employeur pour le licencier. Ceci ne doit pas impliquer une conclusion générale d’absence d’obligation de respecter cette formalité dès lors que les deux parties sont en conflit ouvert sur la rupture du contrat, dans des circonstances telles qu’en l’espèce.


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