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Absence de motivation du licenciement : violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme

Commentaire de C.E.D.H., 10 juillet 2012, n° 19.554/11

Mis en ligne le jeudi 27 décembre 2012


Cour Européenne des droits de l’Homme, 10 juillet 2012, Arrêt N° 19.554/11

Dans un arrêt du 10 juillet 2012, la Cour Européenne des Droits de l’Homme accueille un recours introduit sur pied de l’article 6 de la Convention contre un licenciement non motivé : celui-ci ne permet pas de saisir valablement le juge d’une contestation.

Les faits

Une fonctionnaire hongroise est licenciée le 27 septembre 2010. Son licenciement n’est pas motivé. L’intéressée n’introduit pas de procédure devant les juridictions hongroises, considérant que, en l’absence de motif à son licenciement, elle n’est pas en mesure d’obtenir des chances sérieuses de succès dans une procédure judiciaire. Le délai pour introduire une telle action est selon la loi hongroise de 1 mois.

Le 18 février 2011, la Cour constitutionnelle hongroise va annuler pour inconstitutionnalité les dispositions sur la base desquelles son licenciement a été notifié, décision qui prend effet le 31 mai 2011. Le 6 mai 2011, la Cour constitutionnelle hongroise décide, par ailleurs, de la non-applicabilité des lois déclarées inconstitutionnelles dans les affaires toujours pendantes devant les juridictions ordinaires.

L’intéressée introduit un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, sur pied de l’article 34 de la Convention, en date du 22 mars 2011. Elle considère, en application de l’article 6 de la Convention, qu’elle n’a pas pu avoir accès à un juge, vu le manque de motifs donnés par l’employeur au licenciement.

Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme

La Cour reprend les dispositions spécifiques de droit hongrois régissant les fonctions publiques, le code du travail, ainsi que les décisions de la Cour constitutionnelle visées ci-dessus. Elle cite également l’article 30 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union européenne, qui renvoie à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne révisée.

Statuant sur la recevabilité du recours, la Cour constate que l’on ne peut reprocher à l’intéressée de ne pas avoir introduit une action – pourtant autorisée en droit interne – et qui aurait pu aboutir à l’application de la règle dégagée par la Cour constitutionnelle hongroise à son cas (soit l’inapplicabilité de la disposition litigieuse). En outre, les décisions de la Cour constitutionnelle sont ultérieures et en tout cas rendues après le délai dans lequel elle pouvait elle-même introduire son action suite à son licenciement. Il ne peut dès lors lui être fait grief de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes.

Renvoyant par ailleurs à divers arrêts rendus (CUDAK c/ LITUANIE, arrêt n° 15869/02 et VILHO ESKELINEN AND OTHERS c/ FINLANDE, arrêt n° 63235/00, la Cour constate qu’il n’y a pas d’incompétence ratione materiae, s’agissant en l’espèce de personnel statutaire.

Sur le fond, la Cour rappelle que l’article 6 de la C.E.D.H. peut servir de fondement dès lors que l’exercice d’un droit civil est menacé et que son titulaire n’a pas eu la possibilité d’accéder à un tribunal dans les conditions de l’article 6, § 1 (la Cour envoyant à l’affaire LE COMPTE, VAN LEUVEN et DE MEYERE c/ BELGIQUE, 23 juin 1981). Elle va développer les limites de l’exercice de ce droit, qui n’est pas absolu et qui peut être soumis à des restrictions. Il appartient en effet aux Parties contractantes de choisir les moyens d’assurer l’exercice effectif de ce droit dans leurs systèmes nationaux. L’intéressée avait en principe la possibilité de saisir le juge mais, dans la mesure où l’employeur n’était pas tenu de motiver le licenciement, la Cour admet qu’il ne se conçoit pas que l’intéressée ait pu soutenir une action avec des chances sérieuses de succès, vu l’ignorance de la position de l’employeur.

Une telle situation aboutit à priver le droit protégé de tout contenu. Elle conclut dès lors que, dans les litiges relatifs à des droits civils tels qu’en l’espèce, l’on ne peut conclure à l’exercice effectif au recours judiciaire garanti par l’article 6, § 1. Il y a dès lors violation du droit de l’intéressée d’avoir accès à un juge.

La Cour va ensuite examiner l’indemnisation à allouer, dans le cadre de l’article 41 de la Convention.

L’intéressée fixe son dommage à 19.590€ de préjudice matériel et à 15.000€ de préjudice moral. La Cour considère ne pas voir de lien entre la violation alléguée et le dommage réclamé au titre de dommage matériel. Ce chef de demande est rejeté. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour alloue 6.000€. Elle indemnise également l’intéressée des frais exposés, fixés à 3.000€.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 10 juillet 2012 ci-dessus est d’un intérêt capital et ce sur deux points :

  1. Le non-épuisement des voies internes de recours, lorsque celui-ci ne permettrait pas, comme dans la présente espèce, d’offrir les garanties de l’article 6 de la Convention ;
  2. Le lien entre l’absence de motivation d’un licenciement et le même article.

Cet arrêt a également le mérite d’éviter l’écueil de l’article 24 de la Charte sociale révisée, non ratifié par la Belgique et qui, même si le principe qu’il contient offre une garantie de tout premier plan en ce qui concerne les licenciements injustifiés, n’est pas applicable en droit belge.

Il faudra dès lors attendre de voir le (bon) usage qui sera fait de cette jurisprudence capitale en matière de motivation du licenciement.


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