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Une lésion apparue après un certain laps de temps peut-elle donner lieu à un accident du travail ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 16 juin 2012, R.G. 11/9.284/A

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2012


Tribunal du travail de Bruxelles, 16 juin 2012, R.G. n° 11/9.284/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 6 juin 2012, le Tribunal du travail de Bruxelles conclut à l’existence d’un accident du travail dans l’hypothèse d’un événement soudain non instantané, et ce en application de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Les faits

Un ouvrier fait une déclaration d’accident du travail, précisant avoir voulu visser un embout sur une plaque de métal et avoir ressenti une vive douleur dans le pouce droit et l’avant-bras droit.

Suite à la visite de son inspecteur (qui constate que l’intéressé avait boulonné et déboulonné des embouts non-stop pendant trois heures lorsque lors de la nième pression avec le pouce droit contre la clé il avait ressenti une vive douleur), l’assureur rejette l’accident. Il considère qu’aucun élément spécifique n’a pu être épinglé dans le cours de l’exécution du contrat. Il y a, pour lui, une affection médicale indépendante de toute notion d’accident.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, l’intéressé déposant un rapport médical constatant l’objectivation d’une douleur au niveau du ligament latéral interne du pouce droit (lésion du ligament).

Décision du tribunal du travail

Le tribunal rappelle les dispositions légales, tant en matière de définition que sur le plan de la preuve et reprend divers arrêts rendus par la Cour de cassation, dont l’obligation pour la victime de démontrer de manière certaine la survenance de l’événement (Cass., 6 mai 1996, J.T.T., 1997, p. 34). Les contours de la notion d’événement soudain ont été précisés dans divers arrêts ultérieurs. Quant à la problématique plus spécifique de la lésion qui apparaît après un certain laps de temps, celle-ci a été examinée par la Cour suprême dans un arrêt du 28 avril 2008 (R.G. n° S.007.0079.N). Est ainsi admis comme événement soudain un fait non instantané ayant pu entraîner une lésion à caractère évolutif. Le tribunal rappelle également un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 10 octobre 2011 (R.G. 2009/AB/52.620), qui a admis qu’un événement s’étant déroulé sur plusieurs heures peut donner lieu à une lésion de nature évolutive. Une douleur apparaissant à un moment donné peut être la résultante d’un événement soudain, celui-ci étant un ensemble d’efforts soutenus effectués pendant une période de temps déterminée.

Cependant la lésion qui apparaît progressivement ne pourra donner lieu à indemnisation que si la survenance de l’événement soudain est établie par la victime. En conséquence, l’évolution progressive d’une affection qui arriverait à son point de crise sur les lieux du travail sans pour autant avoir été provoquée par le travail dans le cadre d’un événement accidentel n’est pas un accident du travail.

Toute autre est encore l’hypothèse relevée par le tribunal, où un accident survient sur les lieux du travail et est une des causes d’une lésion, même en cas de préexistence d’un état pathologique.

Le tribunal relève, en l’espèce, que le juge doit apprécier le caractère soudain de l’événement pointé, celui-ci devant survenir dans un laps de temps déterminé. En l’espèce, il relève que le travailleur a entamé son travail vers 14hrs sans ressentir à ce moment aucune douleur. Il s’agissait de démonter, de nettoyer et de remonter une plaque de coulée. Il signale qu’il s’agissait d’un travail effectué pour la première fois et qu’il a été fait ensemble avec un autre ouvrier. La douleur est apparue lorsqu’il a donné un coup de serrage.

Le tribunal considère que, vu que l’ensemble de ces éléments est établi, qu’il y a un fait accidentel ayant entraîné une lésion, et ce vu l’enseignement des décisions ci-dessus. L’événement soudain consiste dans la manœuvre soutenue (vissage et dévissage) opérée pendant plusieurs heures. Celle-ci a conduit à un moment déterminé à une lésion à caractère évolutif.

Le tribunal relève encore que le travail particulier effectué par l’ouvrier a exigé des efforts continus pendant plusieurs heures et que ce sont ceux-ci qui ont entraîné un très important œdème et une déchirure ligamentaire probable, ainsi qu’il ressort des éléments médicaux déposés.

Il retient comme événement soudain la succession d’efforts soutenus dans une circonstance précise (vissage et dévissage).

L’événement soudain et la lésion étant établis, il précise que dans le cadre de l’expertise qu’il va ordonner dans son dispositif, l’assureur loi a la possibilité de renverser la présomption légale de causalité et de démontrer qu’il est exclu que les lésions dont l’ouvrier souffre soient en relation causale avec l’événement soudain.

Il a en effet également tenu à rappeler que les juridictions du travail ont à vérifier uniquement si l’événement soudain que la victime désigne n’exclut pas manifestement celle-ci (étant la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles, 5 avril 2001, inéd., R.G. n° 38.563), l’assureur pouvant dans le cadre du renversement autorisé de la présomption légale établir que la lésion n’a aucune relation avec l’événement soudain.

Intérêt de la décision

Ce jugement, rendu dans un cas d’espèce, rappelle l’importance de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2008, qui a statué dans l’hypothèse d’un événement non instantané, ayant entraîné une lésion elle-même à caractère évolutif. Dans cet arrêt, la Cour suprême a également rappelé qu’il appartient du juge du fond d’apprécier souverainement le caractère d’instantanéité de l’événement soudain.


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