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Chômeur de bonne foi : règles en matière de limitation de la récupération d’allocations indues

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 6 mars 2012, R.G. 2011/AN/126

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2012


Cour du travail de Liège, section de Namur, 6 mars 2012, R.G. n° 2011/AN/126

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 mars 2012, la Cour du travail de Liège, section Namur, examine les conditions de l’article 169 de l’arrêté royal, ainsi que les règles relatives à la limitation de la récupération d’allocations indûment perçues en cas de bonne foi du chômeur.

Les faits

Un travailleur salarié exerce à titre complémentaire une activité d’indépendant. Suite à la faillite de l’employeur, il devient chômeur complet indemnisé. Il s’installe alors comme indépendant à titre principal en vue d’échapper au chômage. Signalant à l’époque son activité accessoire, il déclare qu’il ne va pas l’exercer mais le fera cependant. Il s’agit de quelques travaux facturés, dont il apparaît que le montant est variable en fonction des trimestres et qu’il sera plus important au fil du temps.

Une décision d’exclusion est prise le 23 juin 2010, pour une période de vingt mois avec récupération d’indu. La sanction est un avertissement.

Un recours est introduit, vu la récupération intégrale des allocations de chômage. L’intéressé fait valoir qu’il n’a procédé qu’à quelques facturations. Après réexamen du dossier, le directeur régional confirme la décision prise mais limite la récupération au 150 derniers jours d’indemnisation.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 14 juillet 2011, le Tribunal du travail de Namur confirme le principe des 150 derniers jours et limite la récupération aux allocations correspondant aux mois au cours desquels une activité a été exercée.

L’ONEm interjette appel.

Moyens des parties en appel

L’ONEm fait valoir que la récupération vise les 150 derniers jours et qu’il n’y a pas lieu de limiter en sus celle-ci aux allocations perçues pendant les journées d’activité en cours de cette période. Il conteste également, sur la base des éléments de fait, la prise en compte des périodes visées.

Quant à l’intimé, il demande que la récupération soit encore limitée aux seuls jours au cours desquels il a exercé une activité, étant douze jours au total.

La cour est dès lors saisie de la portée de la récupération de l’indu.

Décision de la cour du travail

Elle rappelle le texte, étant l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Le principe dégagé par cette disposition est que la récupération doit porter sur toute la période infractionnelle mais qu’il y a une exception, étant l’hypothèse du chômeur de bonne foi. S’agissant d’une dérogation au principe, celle-ci doit être interprétée de manière restrictive et la cour rappelle que la jurisprudence est très stricte sur cette question car le chômeur qui ne remplit pas ses obligations en la matière empêche les services de l’ONEm de procéder à un contrôle (et la cour cite ici une jurisprudence abondante).

Sont visés les jours au cours desquels une activité a été exercée et non seulement ceux où un revenu a été obtenu et la cour de se référer à l’hypothèse dune chanteuse d’un orchestre, qui a été considérée comme ayant effectué des prestations non seulement lors des spectacles mais également lors des répétitions. De même pour un vendeur de ferraille, qui s’était également vu appliquer une mesure de récupération pour les jours où il avait recueilli la marchandise, qu’il avait revendue ultérieurement à ses clients (sur la base de factures).

Dans l’hypothèse d’un indépendant, c’est toute la semaine qui est en principe visée sauf si l’activité n’est pas exercée de manière continue et dans cette hypothèse la charge de la preuve repose sur le chômeur, qui doit prouver les jours ou périodes de travail par opposition à ceux où il n’a pas effectué de prestations.

La cour rappelle encore un arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 1995 (Cass., 10 avril 1995, Bull., 1995, p. 413), qui a considéré que la limitation aux 150 derniers jours d’indemnisation n’est pas cumulable avec une limitation aux jours effectivement prestés.

Après avoir examiné ces règles, la cour se penche sur la question du montant à récupérer. En cas de bonne foi, la récupération est plafonnée au montant brut obtenu au cours de la période visée. Il s’agit du brut et non du net ou de l’imposable (semi-brut). La cour souligne ici que dans le cadre de l’article 169, la règle n’est pas la même que celle de l’article 130, qui fixe comme référence le montant net (en cas d’activité accessoire salariée) ou imposable (activité accessoire d’indépendant) afin de déterminer le montant de l’allocation à laquelle le chômeur peut encore prétendre, dès lors qu’il a déclaré cette activité et qu’il peut dès lors bénéficier éventuellement d’une allocation.

La cour rejette expressément l’interprétation de cette disposition faite par l’ONEm dans ses commentaires, où une distinction est opérée entre les revenus produits par un travail salarié (prise en compte de revenus bruts) et ceux issus d’une activité d’indépendant (revenus imposables). Pour la cour du travail, raisonner de la sorte impliquerait une discrimination injustifiée entre les catégories de chômeurs. La cour précise qu’à l’article 130, où il y a une référence au revenu imposable, ceci se justifie vu que le travailleur salarié se voit quant à lui retenir le revenu net.

En ce qui concerne l’article 169, il n’y a cependant pas de distinction et cette disposition doit être appliquée telle quelle : la récupération peut être limitée au montant brut des revenus non cumulables avec les allocations de chômage. Il faut dès lors comparer les revenus bruts perçus et les allocations pour la même période que celle sur laquelle porte la récupération. La cour rappelle que la ratio legis est d’interdire, dans l’hypothèse d’une absence de déclaration préalable, le cumul d’une activité procurant des revenus et des allocations de chômage non réduites. Si, dans cette situation, le chômeur est de bonne foi, la comparaison doit être faite entre le brut des revenus et les allocations indues. Si le montant brut est inférieur, la récupération est limitée à ce montant.

La compétence de l’administration n’est à cet égard pas discrétionnaire et le juge a un pouvoir de pleine juridiction sur cette question dès lors qu’il admet la bonne foi. La cour précise que ce mécanisme vaut également si la sanction administrative est assortie d’un sursis.

Elle renvoie encore à un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass., 24 octobre 2011, R.G. n° S.11.0039.F), qui a considéré que le montant de la récupération peut, en cas de bonne foi, être limité au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’était pas cumulable avec les allocations. Le juge ne peut, sur cette base, limiter le montant de la récupération des allocations indues au revenu brut dont le chômeur a bénéficié durant les 150 derniers jours d’indemnisation indue. En d’autres termes, la limitation n’est pas cumulable avec celle des 150 derniers jours.

La cour va encore reprendre les principes en matière de bonne foi et appliquer ceux-ci au cas d’espèce. La bonne foi n’étant pas remise en cause, l’essentiel de la discussion porte sur la limitation de la récupération et les revenus à prendre en compte.

Sur la question des jours effectivement prestés elle constate qu’il faut prendre en compte l’activité exercée depuis la visite faite par l’intéressé sur place chez ses clients en vue d’examiner le travail à effectuer jusqu’à la facturation, en ce compris les étapes intermédiaires (travail manuel lui-même, établissement du devis, …). Elle demande dès lors, dans le cadre d’une réouverture des débats, des précisions sur les journées effectivement prestées.

Quant au revenu brut, elle compare les revenus perçus pour les travaux effectués et constate que ceux-ci dépassent en l’espèce le montant de la limitation de la récupération aux 150 derniers jours. Elle rejette dès lors la méthode de limitation aux revenus, défavorable au chômeur.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour du travail rappelle les diverses hypothèses de limitation prévues à l’article 169 de l’arrêté royal et conclut qu’il y a lieu d’appliquer celle qui est la moins défavorable, en l’occurrence celle des 150 derniers jours, plutôt que celle des revenus bruts perçus pendant la période concernée, règle pouvant intervenir, dans cette hypothèse, où la bonne foi du chômeur n’a pas été remise en cause.


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