Terralaboris asbl

Personnel occupé par les institutions européennes sous contrat de travail belge et droit du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 avril 2012, R.G. 2010/AB/913

Mis en ligne le jeudi 29 novembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 24 avril 2012, R.G. n° 2010/AB/913

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 avril 2012, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé que les organisations internationales (et particulièrement la Commission européenne) sont exclues du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 et que les directives européennes ne les visent pas davantage : les destinataires de celles-ci sont les Etats.

Les faits

Le litige concerne une quarantaine de professeurs de langue ayant presté depuis les années ’80 au sein de la Commission des Communautés européennes. Ils bénéficiaient de contrats de travail à durée indéterminée, de droit belge. Cette occupation suivait généralement une période de prestations en qualité d’indépendant, elle-même suivie par des contrats à durée déterminée.

Les prestations de travail étaient effectuées à temps plein de septembre à juin et rémunérées par référence au statut des professeurs des écoles européennes.

L’ensemble de ces professeurs est licencié avec effet au 1er juillet 2004. Le paiement d’une indemnité de rupture intervient. Une procédure est initiée devant le tribunal du travail de Bruxelles en vue d’obtenir leur réintégration dans leur fonction aux mêmes conditions de travail et de rémunération. Subsidiairement, ils réclament diverses sommes (rémunérations, indemnité complémentaire de préavis, indemnité de fermeture ainsi que dommages et intérêts).

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 26 avril 2010, la Commission des Communautés européennes et les Communautés européennes, parties défenderesses, sont condamnées à payer des arriérés de rémunération et de pécules de vacances de juillet à septembre 2004 ainsi qu’un montant équivalent à une année de rémunération au titre de dommages et intérêts. Le tribunal considère en effet qu’il y avait un abus de droit de licencier. Il condamne en outre les parties défenderesses à une indemnité complémentaire de préavis.

Décision de la cour du travail

La cour constate que la loi applicable ne fait pas l’objet de discussion. Il s’agit de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail. La cour écarte l’application du Statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que celui du Régime applicable aux autres agents des Communautés européennes et rappelle, avec le tribunal, que les juridictions belges du travail seraient d’ailleurs sans juridiction si les dispositions du Statut étaient d’application (la cour renvoyant à un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 11 juin 2007, J.T.T., 2008, p. 81).

La cour examine ensuite si le droit belge et/ou les directives européennes en matière de licenciement collectif, de transfert conventionnel d’entreprise, de prépension conventionnelle et d’outplacement sont applicables. Elle constate que les textes de référence ne s’appliquent qu’aux employeurs et travailleurs soumis à la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Dans un long examen de la question et par une motivation particulièrement circonstanciée, la cour conclut que les institutions parties à la cause ne sont pas comprises dans le champ d’application de la loi. Elle confirme le jugement sur cette question, de même que sur le fait qu’elles ne sont pas incluses parmi les destinataires des directives, ceux-ci étant, en vertu de l’article 288 du TFUE, les seuls Etats. L’effet vertical des directives est dès lors inapplicable aux institutions européennes, à la différence des Etats.

Il en découle que les dispositions qu’elles contiennent en matière de licenciement collectif, de transfert conventionnel d’entreprise, de prépension conventionnelle et d’outplacement ne peuvent être invoquées par les intéressés.

En ce qui concerne les indemnités de fermeture (ou dommages et intérêts équivalents) fondées sur la loi sur les fermetures d’entreprises, la cour conclut également au non fondement, les institutions ne pouvant entrer dans la définition d’« entreprise », étant l’unité technique d’exploitation visée à l’article 14 de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie.

Est également non fondée la demande introduite par certains professeurs, fondée sur le motif qu’ils n’étaient pas été occupés à raison d’un tiers-temps. La cour rappelle que la durée hebdomadaire minimale du travail des travailleurs à temps partiel n’est pas applicable aux travailleurs et aux employeurs exclus du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Elle renvoie à la conclusion faite ci-dessus quant à la non-application des dispositions en cause.

La cour va alors aborder la question des compléments d’indemnité compensatoire de préavis réclamés par les intéressés du fait de leurs statuts successifs. Elle rappelle que, dans son arrêt 54/2010 du 12 mai 2010, la Cour constitutionnelle a considéré, dans l’hypothèse où un travailleur avait été agent statutaire avant d’être sous contrat de travail, que l’ancienneté globale devait être prise en compte. La cour du travail précise que la Cour constitutionnelle ne s’est cependant pas prononcée dans l’hypothèse d’une période de collaboration indépendante ayant précédé le contrat de travail.

La cour poursuit dès lors en analysant la notion d’ancienneté de service et considère que les interruptions correspondant strictement à des congés scolaires ne sont pas de véritables interruptions, au contraire d’autres, présentes de manière différenciée dans chaque situation et que la cour examine séparément.

En ce qui concerne les critères devant influencer la durée du préavis, la cour écarte le caractère collectif des licenciements, leur caractère groupé n’étant pas une circonstance propre à la cause. De même, l’occupation à temps partiel ne peut avoir comme incidence que de faire calculer la durée du préavis sur la base des éléments habituels, la rémunération étant ici estimée conformément à un temps plein. L’indemnité elle-même doit cependant être calculée sur la base du temps partiel.

La cour procède dès lors ensuite, à la ventilation des droits de chacun, eu égard aux éléments qui lui sont propres.

Enfin, en ce qui concerne l’abus de droit, la cour relève que les deux parties interjettent appel du jugement. Celui-ci avait été admis par le tribunal sur la base du caractère déloyal et brutal du licenciement, qui les avait privés de toute information et consultation préalables, de même que de toute possibilité sérieuse de négociation ensuite. Des engagements étaient en effet intervenus dans le courant des années 1996 et 1997 de ne pas remettre en cause les contrats à durée indéterminée, même s’il n’était plus fait appel à de nouveaux professeurs après cette date. Aussi, les professeurs fixaient leur dommage à la rémunération qu’ils auraient dû percevoir jusqu’à l’âge de la pension (critère qui avait été discuté à l’époque) ainsi qu’à un dommage moral à fixer ex aequo et bono à 24 mois de rémunération. Les parties appelantes contestaient pour leur part que leur comportement puisse être considéré comme fautif.

La cour va dès lors examiner l’engagement pris par les trois institutions communautaires (Commission, Conseil et Parlement) en 1997 et conclut que l’objectif affirmé à l’époque était d’accorder une certaine stabilité d’emploi aux professeurs contractuels en contrepartie d’efforts de productivité. La cour rappelle que le maintien du cadre contractuel voulu alors avait impliqué de ne pas recourir à la sous-traitance pour l’emploi occupé par les intéressés. Constatant que ceux-ci ont été licenciés précisément en vue de permettre l’externalisation des cours, la cour du travail considère que la Commission a violé l’engagement de stabilité d’emploi qu’elle avait pris à l’époque.

Elle examine également le caractère anormal de l’exercice du droit de licenciement au regard de la Charte des droits fondamentaux, celle-ci précisant en ses articles 27 une obligation d’informer et de consulter en temps utile les travailleurs ou leurs représentants dans les cas et conditions prévus par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales, tandis que l’article 30 garantit une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales. En ne respectant pas ces dispositions, la Commission européenne a commis une faute, heurtant attentes légitimes des travailleurs.

Elle va dès lors considérer, avec le tribunal, que le dommage est très important et que l’appréciation du premier juge doit être confirmée.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, qui met un terme à cet important contentieux (où la très grande majorité des intéressés s’était regroupée), la cour du travail rappelle plusieurs enseignements, étant que

  • les institutions européennes n’entrent pas dans le champ d’application de la loi du 5 décembre 1968,
  • elles ne sont pas les destinataires des directives,
  • en ce qui concerne plus particulièrement la Commission européenne, qui a solennellement adhéré à la Charte des droits fondamentaux, elle est tenue par les valeurs et principes de celle-ci.

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