Terralaboris asbl

Cessation d’activité suite au décès de l’employeur : nature de l’indemnité et cumul avec des allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Liège, 14 septembre 2012, R.G. 2011/AL/597

Mis en ligne le mardi 20 novembre 2012


Cour du travail de Liège, 14 septembre 2012, R.G. n° 2011/AL/597

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 14 septembre 2012, la Cour du travail de Liège statue, dans le cadre de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (allocations provisionnelles), sur la nature de l’indemnité qui peut être réclamée suite à la cessation d’activité consécutive au décès de l’employeur.

Les faits

Suite au décès de son employeur (libraire), une employée voit son contrat de travail résilié par l’administrateur provisoire de la succession, et ce pour force majeure, étant le décès ayant entraîné la cessation d’activité (fermeture de la librairie).

L’organisation syndicale à laquelle intéressée est affiliée conteste qu’il s’agisse d’une force majeure. Les parties restant en désaccord, l’intéressée demande les allocations de chômage, qui lui sont accordées à titre provisionnel. Elle s’engage à réclamer le paiement de l’indemnité ou des dommages et intérêts dus en suite de la rupture irrégulière du contrat de travail. Elle néglige cependant de faire valoir ses droits dans le délai d’un an. L’ONEm considère ainsi qu’elle a renoncé volontairement à une rémunération à laquelle elle avait normalement droit et réclame les allocations provisionnelles correspondant à une durée de 3 mois, étant la référence à l’indemnité compensatoire de préavis en application de l’article 82 LCT.

Suite à la réclamation de l’ONEm, l’intéressée introduit une action devant le Tribunal du travail de Liège, qui confirme la décision administrative. Tout en considérant que l’intéressée a pu être induite en erreur par l’administrateur provisoire de la succession, quant à ses droits suite au décès de son ex-employeur, le tribunal considère qu’elle eût dû introduire une action en justice et que, ne l’ayant pas fait, elle n’a pas droit aux allocations de chômage.

Appel est interjeté de cette décision.

Position des parties devant la cour

L’employée considère avoir satisfait aux conditions de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (relatif à l’octroi des allocations provisionnelles). Elle fait valoir que l’indemnité à laquelle elle aurait pu prétendre n’est pas de la rémunération. Enfin, rien n’établit, pour elle, que, si elle avait introduit la procédure, elle eut perçu l’équivalent de 3 mois de rémunération, étant le montant pris en compte par l’ONEm.

L’Office considère quant à lui que l’intéressée n’a pas respecté l‘article 47, n’ayant pas fait les démarches qu’elle s’était engagée à entreprendre. L’ONEm conteste par ailleurs qu’elle put avoir été induite en erreur par l’affirmation (erronée) de l’administrateur provisoire. Il conclut qu’elle a renoncé à bénéficier d’une indemnité de rupture et que la référence à l’article 82 est correcte, à défaut d’autre critère.

La décision de la cour

La cour va en premier lieu examiner l’article 33 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail, qui dispose que la mort de l’employeur ne met pas fin au contrat et que, en cas de cessation de l’activité pour laquelle le travailleur avait été engagé, le juge doit apprécier en équité s’il y a lieu à indemnité, le montant de celle-ci devant être fixé par lui.

Le décès de l’employeur ne met dès lors pas fin au contrat de travail (contrairement, ainsi que le rappelle la cour, au décès du travailleur, visé à l’article 32 de la loi). En conséquence, l’intéressée aurait pu éventuellement bénéficier d’une indemnité, mais c’est la nature de celle-ci qui interpelle la cour. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 21 janvier 2008, J.T.T., 2008, p. 135, rendu dans une espèce concernant le décès d’un avocat), où la Cour Suprême a considéré que l’indemnité de l’article 33 ne répare pas la perte d’une rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit et n’est pas octroyée à celui-ci en raison de son engagement au sens de l’article 2, 3° de la loi sur la protection de la rémunération.

Dans le cadre de la réglementation chômage, l’article 47 de l’arrêté royal facilite la récupération des allocations provisionnelles en organisant un mécanisme spécifique, dans lequel le chômeur s’engage à réclamer, au besoin par la voie judiciaire, le paiement de l’indemnité ou des dommages et intérêts auxquels il peut avoir droit, ainsi qu’à rembourser les allocations provisoires obtenues et à informer l’Office de toute reconnaissance de dette que lui ferait l’employeur ou de toute décision judiciaire. En outre, il doit céder à l’Office l’indemnité ou les dommages et intérêts en cause, et ce à concurrence du montant des allocations accordées à titre provisionnel.

La cour poursuit son raisonnement sur la question de la renonciation volontaire à une rémunération et s’interroge sur le caractère rémunératoire de l’indemnité de l’article 33, et ce eu égard à l’interdiction de cumul contenue dans les articles 44 et 46 de l’arrêté royal.

Elle renvoie également à un arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 2004 (Cass., 5 avril 2004, S.02.0120/F, rendu dans le cadre de la réglementation antérieure à l’arrêté royal), où il a été considéré que l’indemnité fixée en équité ne répare pas la perte d’une rémunération au sens de l’article 126, alinéa 2 de l’arrêté royal du 20 décembre 1963. L’arrêté royal du 25 novembre 1991 vise actuellement non plus l’indemnité pour rupture du contrat de travail, mains l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de cette rupture. Pour la cour, il y a extension du champ d’application de la définition, celle-ci n’étant plus limitée aux seules indemnités compensatoires de préavis. Par contre, la définition de la rémunération est plus restrictive que celle de l’article 126, alinéa 2 de l’arrêté royal du 20 décembre 1963. La mouture de ce texte disposait en effet que le travailleur puisse éventuellement avoir droit à la rémunération en cause, alors que le texte actuel vise l’indemnité à laquelle l’on peut prétendre, c’est-à-dire celle que l’on est en droit d’exiger.

Pour la cour, contrairement à l’indemnité compensatoire de préavis, fixée aux articles 39 et 82 de la loi sur les contrats de travail, l’indemnité de l’article 33 a un caractère incertain et éventuel, dans la mesure où elle dépend de l’appréciation qu’en fera le juge en équité et qui portera à la fois sur l’existence du droit et sur le quantum.

En conséquence, rappelant encore que le droit à la rémunération ne peut être hypothétique ou controversé, la cour conclut que l’indemnité en cause ne répond à la notion de rémunération visée à l’article 46, 5° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La cour réforme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Intéressant arrêt de la Cour du travail de Liège, qui analyse les termes de l’article 33 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi que ceux des articles 44, 46 et 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, pour conclure qu’il n’y a pas en l’espèce rémunération et, dès lors, pas prohibition de cumul avec des allocations de chômage.


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