Terralaboris asbl

Agression d’éducateur d’internat : preuve de l’accident du travail

Commentaire de C. trav. Mons, 28 juin 2012, R.G. 2011/AM/244

Mis en ligne le vendredi 16 novembre 2012


Cour du travail de Mons, 28 juin 2012, R.G. n° 2011/AM/244

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 juin 2012, la Cour du travail de Mons rappelle les règles de preuve de l’événement soudain, étant le fait accidentel ouvrant le droit à la réparation dans le cadre de la loi sur les accidents du travail, dans un cas où un éducateur d’internat a été blessé par un groupe de jeunes internes, dans un contexte de confusion générale.

Les faits

Un éducateur d’internat est blessé suite à des événements survenus dans l’établissement où il est occupé. La déclaration d’accident expose que, des internes ayant estimé qu’une activité de football se terminait trop tôt, ils se sont livrés à une véritable « émeute » jetant des panneaux par terre et éteignant les lumières de la salle de sport. Il déclare avoir reçu des coups de poings et de coudes, avoir trébuché sur les tapis, etc.

Un certificat médical est aussitôt rédigé par son médecin, décrivant diverses lésions aux épaules et au bas du dos et prévoyant une incapacité de travail d’environ trois semaines.

Le médecin précisera ultérieurement qu’il y a des contusions multiples, des ecchymoses et un traumatisme psychique.

L’intéressé est reconnu en incapacité de travail pendant trois mois supplémentaires et bénéficie ensuite d’un mi-temps médical. Après un nouveau congé de maladie, il y aura un changement d’affectation vers un autre internat.

En ce qui concerne la reconnaissance de l’accident, l’éducateur se heurte à un refus de la Communauté Française, qui considère qu’il y des versions contradictoires.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Mons, qui va le débouter, estimant que sa déclaration n’est pas confortée par une série d’éléments constitutifs de présomptions graves, précises et concordantes et que, au contraire, les déclarations recueillies par la police auprès de quinze témoins sont en sens contraire. L’événement soudain n’étant pas établi, l’accident est rejeté.

Appel est interjeté.

Position des parties en appel

L’intéressé considère essentiellement que le jugement contient une motivation lacunaire alors que les faits sont précis. Il conteste qu’il y ait des contradictions dans les explications qu’il a données et considère, à partir du croisement des attestations déposées par divers membres de l’établissement, qu’il peut être raisonnablement acquis qu’il a été blessé au cours des incidents litigieux.

Les lésions étant décrites de manière circonstanciée, comprenant notamment un traumatisme psychique consécutif au lancer de baskets et à des coups de pieds ou coups de coudes, il estime satisfaire à son obligation de preuve.

Quant à la Communauté Française, elle se fonde une nouvelle fois sur des contradictions dans les versions des faits litigieux données par l’intéressé, qui parfois signale avoir trébuché dans le tapis, parfois avoir subi des coups directs ayant entraîné une chute et parfois encore fait état de lancer de baskets dans le dos et sur l’épaule.

Un rapport de l’administratrice de l’internat ayant par ailleurs relevé que l’intéressé avait un comportement inapproprié vis-à-vis des élèves ainsi que des absences répétées, la Communauté Française considère qu’il y a lieu de faire preuve d’une grande prudence et d’une circonspection particulière. Pour elle il y a incident mineur auquel sont journellement confrontés les professeurs et les éducateurs, à savoir l’indiscipline de certains élèves.

La Communauté Française argumente également sur les lésions, dont elle considère qu’elles ne sont pas nécessairement la conséquence des coups invoqués.

Décision de la cour

Dans une imposante démonstration, la cour du travail rappelle les principes applicables pour qu’existe un événement soudain. Elle va essentiellement s’attacher à la preuve de celui-ci, étant le recours aux présomptions de l’homme. Elle rappelle que la pertinence et la force probante de ces présomptions relève de l’appréciation prudente, rigoureuse et souveraine du juge du fond. C’est sa propre jurisprudence, à laquelle elle renvoie (C. trav. Mons, 4 octobre 2000, R.G. n° 15.823).

Soulignant cependant que l’événement soudain ne doit pas être possible mais qu’’il doit être certain, la cour énonce que la victime doit démontrer l’existence d’un fait précis, celui-ci étant bien sûr distinct de la lésion et étant survenu à un moment qu’il est possible de déterminer dans le temps et dans l’espace.

Elle va également rappeler que si la Communauté Française entend établir qu’il n’y a pas d’accident, elle doit prouver soit que celui-ci n’est pas dû à l’exécution du contrat soit qu’il n’existe pas de lien causal entre la lésion et l’événement soudain.

En l’occurrence, c’est la matérialité même de l’événement soudain qui fait débat. La cour relève à cet égard qu’il n’existe pas la moindre enquête menée par la Communauté Française sur les circonstances exactes de l’accident du travail et que le dossier a été clôturé très rapidement par la notification d’une décision de refus de prise en charge sur la base d’éléments tout à fait incomplets.

Revenant à l’obligation de preuve dans le chef de la victime, la cour rappelle le raisonnement à suivre en cas de recours aux présomptions de l’homme, étant (i) que le raisonnement doit avoir pour point de départ un fait certain et connu, (ii) qu’à partir de ce fait connu, le juge peut appliquer un raisonnement inductif pour admettre la preuve d’un fait, qu’il appréciera souverainement quant à sa force convaincante et (iii) que le raisonnement doit apporter au juge une certitude quant à l’existence du fait recherché qu’il induit du fait connu.

Il ne peut dès lors se contenter d’une simple probabilité à cet égard. La cour assortit sa démonstration de nombreuses références jurisprudentielles et doctrinales.

Elle va ensuite procéder à un examen approfondi des dossiers des parties et conclure non seulement à l’absence de contradictions dans les versions (l’intéressé n’ayant dans ses diverses déclarations divergé que sur des détails mineurs) et constate que, si les élèves auditionnés n’ont pas confirmé les coups portés à l’éducateur, cette abstention s’explique aisément, vu qu’une telle confirmation n’aurait pas manqué de déboucher sur des poursuites pénales.

De l’ensemble des éléments de fait, la cour retient qu’il doit dès lors être raisonnablement tenu pour vrai que les élèves qui étaient encadrés par l’intéressé et qui se sont trouvés « passablement énervés » par la fin prématurée d’un match de football ont été à l’origine d’une bousculade généralisée dans le cadre de laquelle des engins sportifs ont été renversés, des baskets ont été lancés, ainsi que des crachats.

Il y a dès lors un contexte précis, dans lequel des éléments sont établis et, pour la cour, il y a ainsi des présomptions graves, précises et concordantes des faits rapportés par l’intéressé.

Le jugement est en conséquence réformé et un expert est désigné.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons statue dans l’hypothèse où la preuve de l’événement soudain invoqué est malaisée, non par l’absence de témoins mais par le contexte général dans lequel l’accident est survenu, étant sinon une « émeute » (ainsi que le demandeur l’avait souligné) mais une grande confusion et une bousculade générale. Le contexte est en l’occurrence rendu plus difficile par la circonstance que les faits se sont passés dans l’obscurité et qu’il est dès lors bien malaisé d’établir un fait précis. L’ensemble de la bousculade, non contestable d’ailleurs – avec sa concrétisation (lancer d’objets, chutes d’engins, …) – est considéré comme établi à suffisance de droit, par le recours aux présomptions de l’homme et c’est ceci qui constitue l’événement soudain requis.


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