Terralaboris asbl

L’accident survenu sur le chemin se situant au-delà du lieu du travail n’est pas d’office exclu par la loi

Commentaire de C. trav. Mons, 25 avril 2006, R.G. 18.566

Mis en ligne le jeudi 21 février 2008


Cour du travail de Mons, 25 avril 2006, R.G. 18.566

Terra Laboris asbl – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 25 avril 2006, la cour du travail de Mons a rappelé qu’il n’y a pas lieu d’ériger en règle que l’accident qui survient sur le chemin se situant au-delà du lieu du travail n’est pas un accident sur le chemin du travail. Il faut, dans cette hypothèse, comme dans les autres, examiner le caractère important ou peu important du détour. La cour rappelle, en outre que les intentions de la victime sont sans intérêt pour l’appréciation de ces critères.

Les faits

Un travailleur, habitant Ressaix, occupé en qualité d’ouvrier dans une entreprise à Manage, fut victime d’un accident de la circulation mortel, accident dont les circonstances sont les suivantes. Son épouse l’ayant contacté téléphoniquement sur les lieux du travail pour qu’il aille rechercher leur fils au centre sportif à Fauroeulx, vu l’impossibilité pour ce dernier de rentrer au domicile, l’intéressé s’y rendit dès après la fin des prestations de travail et fut victime d’un accident sur le territoire d’Estinnes, une vingtaine de minutes plus tard.

L’entreprise d’assurances refusa son intervention, au motif que la victime ne se serait pas trouvée sur le chemin du travail.

Le jugement a quo

Le premier juge débouta la veuve de sa demande, considérant que le trajet protégé étant défini par son point de départ et son point d’arrivée (en l’espèce Manage – Ressaix) et que, tel n’était pas le cas en l’espèce puisque l’accident litigieux avait eu lieu au-delà du point d’arrivée.

Position des parties en appel

L’appelante faisait valoir que son époux s’était détourné de sa route habituelle, tournant à droite au niveau de Péronnes, soit bien avant d’arriver sur le territoire de Ressaix. Il s’agissait, en conséquence, d’un détour peu important, au surplus justifié par la force majeure.

L’entreprise d’assurances concluait à la confirmation du jugement entrepris, au motif que l’accident était survenu au-delà du point d’arrivée et que ce trajet n’était plus protégé. Dès lors, il n’y avait pas lieu d’examiner la légitimité d’une interruption ou d’un détour, qui ne se concevrait que par rapport à ce trajet protégé. Subsidiairement, elle plaidait le caractère important du détour, dans la mesure où il représentait approximativement le double du trajet normal tant en distance qu’en durée. Elle contestait, enfin, la force majeure.

Décision de la cour

La cour rappelle les principes et reprend notamment les décisions successives de la Cour de Cassation intervenues sur la question du trajet normal. Elle rappelle qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un trajet ininterrompu, l’interruption ou le détour n’excluant pas nécessairement la notion de chemin du travail.

Elle rappelle que sont admis :

  1. le détour insignifiant (sans condition),
  2. le détour peu important justifié par un motif légitime,
  3. le détour important imputable à une force majeure.

Pour la cour, les éléments du dossier permettent de retenir que l’intéressé avait plus que probablement emprunté l’itinéraire le plus rapide. Elle balaie l’argumentation de l’intimée, qui se fondait sur un précédent arrêt de la cour du travail de Mons du 10 novembre 1999, en rappelant que celui-ci a été cassé par un arrêt de la Cour de Cassation du 14 mai 2001 (J.T.T. 2001, 463) et que c’est précisément cette jurisprudence de la Cour de Cassation qui doit être retenue en l’espèce, étant que, en érigeant en règle que l’accident survenu sur le chemin se situant au-delà du lieu du travail n’est pas un accident sur le chemin du travail, le juge du fond viole l’article 8 de la loi.

Pour ce détour, comme pour les autres, il y a dès lors lieu de déterminer son importance et de dire si le trajet est demeuré normal.

La cour rappelle encore que – contrairement à ce que soutient l’entreprise d’assurances – les intentions qu’avait la victime ne doivent pas être prises en compte dans l’appréciation du caractère important ou non du détour. Il s’agit également d’un principe constant. Seules doivent être appréciées les circonstances de temps et de lieu telles qu’elles existent au moment du sinistre, et ce indépendamment des intentions de la victime quant à l’importance ou à la durée du détour qu’elle comptait faire.

Et la cour de conclure que, l’accident étant survenu moins de 24 minutes après le pointage, au sortir de l’entreprise, et ce alors que, selon l’enquête du Fonds des Accidents du Travail, il faut 23 minutes pour rejoindre le domicile, le détour était peu important. Sur la base en outre de l’itinéraire présumé, il n’allongeait le trajet normal que d’approximativement 15% et il n’y avait pas lieu de prendre en compte le nombre total de kilomètres entre le lieu du travail et le but du détour, non plus que le temps nécessaire pour parcourir la totalité de cette distance.

La cour relève que les circonstances de la cause constituent une cause légitime, à savoir que la personne qui devait reprendre le fils au complexe sportif venait de faire savoir qu’elle était dans l’impossibilité d’aller le rechercher et que la mère n’avait ni permis de conduire ni véhicule. En outre, il n’y avait plus de transport public. Il s’agit, pour la cour, d’une cause légitime, à savoir un motif qui se situe entre la force majeure et la raison de convenances personnelles. C’est un événement non imputable au travailleur qui s’impose à lui avec une certaine nécessité sans que celle-ci soit d’une nature telle qu’il n’ait pu la prévoir ni la conjurer.

En conséquence, le jugement est réformé, la cour disant pour droit qu’il y a trajet normal au sens de l’article 8 de la loi.

Intérêt de la décision

La décision annotée est intéressante à au moins trois titres :

  1. Elle rappelle, pour autant que de besoin, que le trajet peut être normal même au-delà du point d’arrivée.Dans cette hypothèse, comme dans les autres, il faut apprécier le caractère important ou non du trajet et examiner si celui-ci maintient son caractère de trajet normal (vu la cause évoquée).
  2. L’arrêt suit la méthode érigée par la Cour de Cassation, dans ce genre de situation, étant qu’il faut d’abord déterminer si le trajet est important ou non et ensuite examiner le caractère de force majeure ou de cause légitime au motif invoqué. De l’importance du détour dépend en effet la manière dont il doit être justifié.
  3. Enfin, et ceci est également un principe constant, les intentions qu’avait la victime quant à l’importance du trajet qu’elle allait effectuer sont sans incidence sur le caractère important ou non du détour, puisque celui-ci doit être apprécié uniquement en fonction des circonstances de temps et de lieu telles qu’elles existent au moment du sinistre.

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