Terralaboris asbl

Portée de la présomption d’imputabilité d’une lésion à un accident

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 mars 2006, R.G. 44.991

Mis en ligne le jeudi 21 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 27 mars 2006, R.G. n° 44.991

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans l’arrêt de la Cour du travail annoté, la question a été posée de l’imputation à l’accident du travail d’une lésion survenue après celui-ci et dont la cause est contestée. La cour a admis, vu les constatations médicales, qu’elle pouvait être prise en charge, la présomption légale d’imputabilité n’étant en l’espèce pas renversée.

Les faits de la cause

Un ouvrier de terrassement eut un accident du travail en 1993, accident qui avait entraîné une discopathie sur le côté gauche avec irradiation sciatalgique. Il présenta, suite à celui-ci, des épisodes de lumbago, entraînant des arrêts de travail.

Un second accident survint le 18 septembre 1997, lors du déchargement d’un bac de grue d’un poids très important. Un de ses collègues ayant lâché ce bac, l’intéressé dut faire un effort pour éviter qu’il ne tombe sur lui. Il ressentit ainsi une douleur musculaire essentiellement du côté gauche du corps. Il s’agissait de douleurs lombaires irradiant dans la fesse et la jambe gauches. Après un arrêt de travail de deux mois environ, il reprit ses tâches, mais sans port de charges lourdes et fut alors affecté à la conduite d’engin de chantier.

Un contrôle pratiqué par le médecin conseil de l’entreprise d’assurances en novembre 1997 constata la persistance d’une douleur de la face externe du genou gauche. Celui-ci rédigea toutefois un certificat médical de guérison sans séquelle, estimant le cas consolidable à cette date sans IPP et conclut à un retour à l’état antérieur.

Trois mois plus tard, l’intéressé fut de nouveau en incapacité de travail. Il émargea alors à la mutuelle et fut, à partir du mois d’octobre 1998 mis au chômage vu l’incapacité d’effectuer le travail convenu. L’entreprise d’assurances refusa cette période d’incapacité.

Le travailleur reprit ses activités en mars 2000, toujours avec interdiction de port de charges lourdes. Son poste continua à être adapté, la société lui réservant un poste de conduite sur un engin causant moins de secousses et recourant au chômage économique lorsqu’il n’existait aucun travail pour celui-ci.

La décision du tribunal

Avant dire droit, le tribunal recourut, bien évidemment, à une mesure d’expertise, les difficultés d’appréhender les causes médicales de l’incapacité de travail à partir de 1998 étant évidentes.

L’expert déposa son rapport et, sur la période d’incapacité de travail, il estima qu’il y avait lieu à prendre en charge les deux périodes d’incapacité de travail jusqu’au 21 octobre 1998 (étant la première période immédiatement consécutive à l’accident et la rechute en incapacité temporaire après la reprise du travail). Il retint, par ailleurs, un taux d’incapacité permanente de 10 % et consolida les lésions à la date de la mise en chômage.

Dans un second jugement, le tribunal entérina le rapport d’expertise, contesté par l’entreprise d’assurances, pour qui il y avait retour à l’état antérieur sans séquelles invalidantes à la date déterminée par son médecin-conseil.

Il rappela qu’en vertu du bénéfice de la présomption instaurée au profit de la victime par l’article 9 de la loi du 10 avril 1971, il incombe à l’assureur, qui entend être déchargé de son obligation d’indemniser, de prouver que la cause exclusive des lésions est l’état antérieur à l’accident et que celui-ci n’a joué aucun rôle, même minime, dans leur survenance et que, à défaut d’apporter telle preuve, l’assureur est tenu de réparer la totalité du dommage.
Or, en l’espèce, le propre médecin-conseil de la défenderesse avait reconnu que l’accident était la cause des lombosciatalgies apparues en septembre 1997. Pour le tribunal, il s’ensuit qu’elle ne démontre pas que la rechute de février 1998 (dont l’expert précise qu’elle est intervenue à un intervalle très court après les symptômes de septembre 1997) est exclusivement imputable à l’état antérieur à l’accident.

Position des parties devant la cour

L’entreprise d’assurances faisait valoir que, trois mois après l’accident il n’y avait pas d’atteinte L5 gauche alors que le travailleur présentait depuis 1993 un lumbago avec des sciatalgies ayant entraîné de nombreux arrêts de travail. Pour elle, l’expert judiciaire ne pouvait dès lors pas rattacher les nouvelles sciatalgies survenues en 1998 à l’accident de 1997 alors qu’aucun élément médical ne plaidait dans ce sens et que tout ce qui avait été réuni aurait dû conduire à une conclusion inverse. Elle produisait un rapport médical à l’appui de sa thèse, rapport envisageant une étiologie tout aussi plausible que celle dégagée par l’expert et concluait que le rapport de l’expert judiciaire était donc entaché d’erreurs sur le plan scientifique et qu’il aurait dû être écarté.

Pour le travailleur, tout tournait autour de l’imputabilité à l’accident du travail du 18 septembre 1997 des sciatalgies apparues en février 1998, sachant que la victime d’un accident bénéficie pour ces troubles et leurs suites (ITT et IPP) de la présomption de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971, étant que ces séquelles sont imputables à l’accident du travail et que cette présomption peut être renversée par l’entreprise d’assurances.

L’évaluation faite par l’expert tenant compte de cette imputabilité, il relevait que le débat ne devait pas porter exclusivement sur les mérites du rapport d’expertise concernant cette question de l’imputabilité médicale des séquelles mais également sur celle de savoir si l’entreprise d’assurances renversait la présomption légale. Dans la mesure où, celle-ci soutenait en réalité que la cause des lésions litigieuses (et donc les périodes d’ITT ainsi que l’IPP en découlant) résidait non dans l’accident du 18 septembre 1997 mais bien dans l’état antérieur de l’intéressé, il estimait que, en vertu du mécanisme légal, il lui appartenait d’établir que la cause exclusive de ces lésions était bien cet état antérieur et que l’accident n’avait joué aucun rôle, même minime, dans leur survenance.

Il en concluait que cette preuve n’était nullement rapportée, l’entreprise d’assurances se limitant en effet à invoquer les convictions de son médecin-conseil sur ce point, lesquelles étaient formellement contestées (et avaient été rencontrées par l’expert dans son rapport). En conséquence, la présomption légale n’étant pas renversée, l’évaluation de l’expert devait être retenue puisqu’elle tenait compte de l’ensemble des séquelles devant être considérées comme imputables.

Position de la cour du travail

La cour rappelle le mécanisme légal, étant :

  1. L’obligation de preuve à charge de la victime : existence d’un événement soudain survenu dans le cours et par le fait de l’exécution du contrat de travail, ainsi que celle d’une lésion ;
  2. Le jeu de la présomption de l’article 9 de la loi, dès lors, étant que la lésion est présumée jusqu’à preuve du contraire, trouver son origine dans un accident du travail.

Il appartient en conséquence à l’entreprise d’assurances, qui veut renverser – ainsi que la loi l’y autorise – la présomption légale, de prouver avec un haut degré de certitude médicale que la lésion n’a pas été provoquée par l’événement soudain.

La cour examine l’ensemble des rapports et éléments médicaux produits et considère qu’ils ne sont pas en mesure de contredire le rapport de l’expert judiciaire. Ainsi, le fait que soit déposé par l’entreprise d’assurance un nouveau rapport, venant d’une part contester celui de l’expert et d’autre part conforter la position de celle-ci, ne justifie pas une nouvelle expertise dans la mesure où ce nouvel élément se borne à souligner les arguments produits par l’assureur mais n’exclut pas que l’événement soudain soit la cause de la lésion.

Par ailleurs, elle retient que l’imputabilité de la récidive douloureuse peut également être suspectée, tenant compte du caractère identique des plaintes ainsi que du court délai entre la reprise du travail et la réapparition de celles-ci.

Elle ne fait dès lors pas droit à la demande formulée par l’entreprise d’assurances de recourir à une nouvelle expertise.

Intérêt de la décision

L’arrêt ci-dessus est l’occasion de rappeler l’effet de la présomption légale de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, étant que la cause de la lésion est légalement présumée se situer dans l’accident. Cette présomption étant réfragable, l’imputabilité ne pourra être écartée que s’il est démontré que la lésion est manifestement exclue par l’accident. C’est l’enseignement constant de la cour du travail de Bruxelles. Si n’est, en conséquence, pas établie l’absence de lien entre la lésion et l’accident, celle doit être prise en charge. Il en découle que les causes de la lésion peuvent être multiples et que celle-ci sera toujours indemnisée dès que l’accident est une des causes de sa survenance ou de son aggravation.

Est également abordée la délicate question de l’état antérieur. Dans l’arrêt ci-dessus, l’entreprise d’assurances concluait au retour à l’état antérieur sans séquelles invalidantes. Pour établir la chose, il faut toutefois passer par la même règle de preuve, étant que l’accident n’exerce plus d’influence sur celui-ci et qu’il continue à évoluer pour son propre compte.

Enfin, la cour reprend, en l’appréciant en fait, le critère permettant d’apprécier si la preuve (en l’occurrence preuve contraire) est rapportée dans cette matière : c’est le haut degré de certitude médicale. La preuve absolue n’existe évidemment pas dans ce type de problématique et le juge doit vérifier si, à partir de l’ensemble des connaissances médicales actuelles, il existe un degré de certitude suffisant pour admettre la thèse médicale avancée.


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