Terralaboris asbl

Conditions de l’indemnisation de l’incapacité temporaire partielle d’un accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 juillet 2012, R.G. 2010/AB/653

Mis en ligne le mercredi 10 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 18 juillet 2012, R.G. n° 2010/AB/653

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 juillet 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’aucune mesure d’exécution de l’article 74 de la loi du 13 juillet 2006 n’est intervenue à ce jour.

Les faits

Une employée subit une agression sur son lieu de travail en janvier 2006, dans des conditions violentes (usage d’arme à feu, menaces et violences). En état de choc, la vendeuse est hospitalisée pendant cinq semaines. Elle développe ensuite un important syndrome anxio-dépressif post-traumatique.

L’incapacité temporaire est prise en charge par l’assureur-loi pendant un an et demi. Une proposition d’accord-indemnité est alors adressée, envisageant de fixer les lésions à la date du 1er septembre 2007 à un taux de 10% d’incapacité permanente partielle.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, l’intéressée considérant ces propositions non-satisfactoires.

Décision du tribunal du travail

Après avoir désigné un expert psychiatre, le tribunal du travail entérine le rapport d’expertise, qui conclut, sur les séquelles dans le cadre de l’incapacité permanente, à 25% d’IPP à dater du 1er août 2008. L’expert retient également, outre la période d’incapacité temporaire totale admise jusqu’au 31 août 2007, une incapacité temporaire de 50% jusqu’à la consolidation.

Le tribunal a ainsi rejeté à la fois la demande de l’assureur-loi, qui contestait les conclusions de l’expert et demandait que l’on en revienne à sa proposition et la demande reconventionnelle de l’employée, qui demandait, en application de l’article 23 de la loi du 10 avril 1971 relative aux accidents du travail, une indemnisation dans le cadre de l’incapacité temporaire partielle pour la période du 1er septembre 2007 au 31 juillet 2008.

Décision de la cour du travail

Saisie d’un appel de l’assureur, la cour examine successivement les griefs élevés à l’encontre du rapport d’expertise mais également les conditions d’application de l’article 23 relatif à l’incapacité temporaire partielle, objet d’un appel incident.

Sur le premier point, la cour reprend longuement les moyens avancés par le médecin-conseil de l’assureur-loi, qui faisait grief à l’employée d’avoir essentiellement une attitude revendicatrice. La cour relève que l’expert a considéré que toute personnalité peut s’avérer traumatisée et revendicative lorsqu’elle est totalement innocente d’une agression, lourde de conséquences sur son fonctionnement psychique, qui peut parfois déjà être précaire. L’expert a exposé ensuite que l’intéressée a pu utiliser un « langage corporel » vu qu’elle ne trouvait pas les mots pour se défendre. Quant à l’appréciation des séquelles, il a rappelé la délicate tâche de mesurer les effets à long terme d’un traumatisme psychologique, susceptible de s’amenuiser avec le temps.

Pour la cour du travail, il y a eu dans l’échange des positions et thèses des parties, respect des critères légaux, l’expert judiciaire ayant correctement donné son avis sur l’évaluation de l’incapacité permanente. Pour la cour, il n’y a pas d’éléments qui n’auraient pas été pris en considération, l’appréciation de l’expert étant cohérente et motivée.

Sur l’appel incident, relatif à l’application de l’article 23, la cour rappelle que celui-ci a été modifié par la loi 13 juillet 2006 (article 74) mais que cette disposition n’est toujours pas entrée en vigueur. Le tribunal du travail avait, en conséquence de cet état de fait, considéré la demande d’indemnisation comme prématurée et la cour constate que le grief fait par l’employée au jugement sur ce point est que le tribunal aurait dû tirer la conséquence logique de la non-application de l’article 23 nouveau, c’est-à-dire appliquer celui toujours en vigueur.

La cour reprend le texte de l’article 23 de la loi du 10 avril 1971 toujours d’application à ce jour. Celui-ci dispose que, si l’incapacité temporaire de travail est ou devient partielle, l’assureur peut demander à l’employeur d’examiner la possibilité d’une remise au travail, celle-ci ne pouvant avoir lieu qu’après avis favorable du médecin du travail lorsque cet avis est prescrit ou lorsque la victime s’estime inapte à reprendre le travail. En cas de remise au travail, elle doit bénéficier d’une indemnité équivalente à la différence entre la rémunération avant l’accident et celle perçue depuis la remise au travail, et ce jusqu’à la remise complète au travail ou à la consolidation. L’article 23 poursuit en énumérant les hypothèses où l’indemnité d’incapacité temporaire totale est due, étant (i) si en cas de non remise au travail la victime se soumet à un traitement qui lui est proposé en vue de sa réadaptation, (ii) dans la même hypothèse, si aucun traitement ne lui est proposé et (iii) si pour un motif valable elle refuse la remise au travail ou le traitement ou encore si elle y met fin.

Les derniers alinéas de la disposition légale prévoient le sort de l’indemnisation au cas où il y a sans raison valable refus ou interruption de la remise au travail ou du traitement et la loi précise encore que, pendant le temps nécessaire à la procédure de remise au travail organisée par la disposition légale, la victime a droit à l’indemnité d’incapacité temporaire totale.

La cour rappelle qu’il résulte de cette disposition que, si la victime est atteinte d’une incapacité temporaire partielle, elle doit bénéficier de l’indemnité pour incapacité temporaire totale jusqu’au jour de sa remise complète au travail ou de la consolidation, et ce dans la mesure où pour quelque motif que ce soit elle n’est pas remise au travail ou si aucun traitement ne lui est proposé en vue de sa réadaptation. C’est l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 2 novembre 1998, R.G. S.097.0171.N). La cour renvoie également à sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 28 janvier 2008, R.G. n° 48.656, somm. Chron. D.S., 2009, p. 352).

Elle fait dès lors droit à la demande de l’employée de se voir allouer ces indemnités pendant toute la période concernée, étant jusqu’à la consolidation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail rappelle à juste titre que six ans après la promulgation de la loi du 13 juillet 2006 portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d’accidents du travail et en matière de réinsertion professionnelle, son article 74, qui a modifié l’article 23 de la loi du 10 avril 1971 n’est toujours pas entré en vigueur. La disposition nouvelle prévoit en effet qu’un arrêté royal doit être pris en ce qui concerne les conditions et modalités selon lesquelles l’offre de remise au travail est faite. En outre, un arrêté délibéré en Conseil des ministres doit fixer l’indemnité à laquelle a droit la victime qui a repris le travail, sans que celle-ci puisse être inférieure à la différence entre le salaire perçu du fait de cette remise au travail et les indemnités d’incapacité temporaire totale. De la même manière, il faut encore fixer l’indemnité à laquelle la victime a droit dans les cas où la remise au travail est suspendue ou arrêtée indépendamment de sa volonté, les dispositions à prendre devant tenir compte de l’obligation du maintien de paiement et de l’éventuelle intervention dans la perte de salaire sur la base d’autres régimes de sécurité sociale.

Ajoutons encore que la disposition nouvelle prévoit que la victime qui refuse ou interrompt prématurément et sans motif valable la remise au travail ou la réadaptation professionnelle ou encore un recyclage qui lui serait offert verra son indemnité limitée au taux d’incapacité calculé en fonction de ses possibilités de travail dans sa profession initiale ou dans la profession qui lui est nouvellement proposée. Ce dernier alinéa n’est, par ailleurs, pas sans susciter des interrogations quant à la fixation du taux d’incapacité en fonction des possibilités de travail dans la profession initiale ou dans une autre.


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