Terralaboris asbl

Protection contre la maternité et fécondation in vitro

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mai 2012, R.G. 2011/AB/872

Mis en ligne le mardi 2 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 18 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/872

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes de la protection dont bénéficie en cas de licenciement une femme enceinte, et ce dans le cas d’un traitement visant à obtenir une fécondation in vitro.

Les faits

Une employée est engagée dans le cadre d’un contrat d’intérim en février 2008 et bénéficie, en juin, d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Début 2009, elle remet une attestation d’incapacité de travail en vue de subir un traitement, pendant trois jours, en hôpital de jour, dans le cadre d’une fécondation in vitro. Ces journées sont prévues pour la ponction et l’implantation des ovules.

Elle est licenciée six jours plus tard, soit le 22 janvier 2009 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Une action est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain, l’intéressée sollicitant le bénéfice de l’indemnité prévue à l’article 40 de la loi sur le travail et l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes se joignant à l’employée dans la procédure judiciaire.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 20 janvier 2011, le Tribunal du travail de Louvain déclare la demande non fondée en ce qui concerne l’employée et considère que celle de l’Institut est irrecevable.

Appel est interjeté par les deux parties déboutées.

Décision de la cour du travail

La cour statue, dans un premier temps, sur la recevabilité de l’appel.

La requête déposée par l’employée est tardive, intervenant en-dehors du délai légal, suite à la signification du jugement (article 1051 du Code judiciaire). La cour admet cependant la recevabilité de l’appel formé par l’Institut, rappelant cependant qu’en vertu ders articles 34 et suivants de la loi du 10 mai 2007 (loi genre), l’Institut peut ester en justice dans les litiges auxquels l’application de la loi donnerait lieu mais que, lorsque la victime de la discrimination est une personne physique ou une personne morale identifiée, l’action de l’Institut, ainsi que celle des groupements d’intérêts, n’est recevable que s’il prouvent qu’ils ont reçu l’accord de la victime. Un tel accord est produit et, en conséquence, la cour examine le fond de la demande portée devant elle, à partir du grief de discrimination fondée sur le genre.

Elle entreprend de rappeler l’arrêt Mayr de la Cour de Justice de l’Union européenne du 26 février 2008 (Aff. C-506/06), dans lequel la Cour a considéré qu’il ne saurait être admis, pour des raisons tenant au respect du principe de sécurité juridique, que la protection instituée par l’article 10 de la Directive 92/85 soit étendue à une travailleuse lorsque, à la date de son licenciement, le transfert des ovules fécondés in vitro dans l’utérus de cette dernière n’a pas encore été opéré. La Cour rappelle que lesdits ovules peuvent, dans certains Etats membres, être conservés pendant un délai plus ou moins long, la réglementation nationale en cause prévoyant à cet égard la possibilité de conserver les ovules fécondés pendant une durée maximale de dix ans.

La cour du travail renvoie, cependant, au considérant 47 de l’arrêt de la Cour de justice, dans lequel celle-ci a précisé qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer les circonstances pertinentes du litige dont elle saisie et, dans la mesure où le licenciement est intervenu pendant un congé de maladie pour se soumettre à un traitement de fécondation in vitro, de vérifier si ce licenciement est fondé essentiellement sur le fait que la travailleuse se soumettait à ce traitement.

Si telle est la raison du licenciement, il faut vérifier si celle-ci s’applique indistinctement aux travailleurs des deux sexes. La CJUE renvoie à un arrêt Handels-og- Kontorfunktionaerernes Vorbund (CJUE, 8 novembre 1990, C-179/88), dans lequel elle avait précisé que, si en cas d’incapacité de travail due à une maladie, si une femme est licenciée pour cause d’absence dans les mêmes conditions qu’un travailleur masculin, il n’y a pas de discrimination directe fondée sur le sexe. Cependant, tel n’est pas le cas en cas de ponction folliculaire et de transfert dans l’utérus de la femme des ovules issus de cette ponction immédiatement après leur fécondation : cette hypothèse ne concerne directement que les femmes et un licenciement intervenu du simple fait qu’une femme se soumet à ce stade important d’un traitement de fécondation in vitro est une discrimination directe fondée sur le genre.

La cour du travail considère dès lors qu’il lui appartient de rechercher si le traitement FIV est la raison principale du licenciement. Elle va, ici, examiner les éléments présentés par la société, celle-ci faisant état d’une perte de clients importante, qui aurait amené à une diminution du chiffre d’affaires de plus de 13% et à la décision, prise dès décembre 2008, de ramener le département dans lequel l’intéressée était occupée de six à deux personnes.

Divers éléments très concrets sont apportés par l’employeur, appuyant cette explication (antériorité de l’annonce du licenciement, preuve d’autres licenciements intervenus au même moment).

La cour va encore constater que, dans les critères de sélection, l’employeur s’est essentiellement fondé sur l’ancienneté, l’intéressée n’ayant à l’époque bénéficié d’un contrat à durée indéterminée que depuis un peu plus de six mois. Le critère est considéré comme objectif et la cour en conclut que ce n’est pas le traitement FIV le motif du licenciement.

Elle va dès lors réformer le jugement du Tribunal du travail de Louvain mais sur la recevabilité de l’intervention de l’Institut uniquement. En ce qui concerne le fond, la décision est confirmée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est certes intéressant, en ce qu’il applique la jurisprudence de la CJUE en matière de fécondation in vitro. Le rappel des principes dégagés par la Cour de justice sur cette question est l’affinement de la jurisprudence en la matière : si l’objectif poursuivi par la Directive 92/85/CEE est de protéger la travailleuse à la date la plus précoce possible de l’existence de la grossesse, ceci signifie, s’agissant d’une fécondation in vitro, que la protection ne peut être étendue à la travailleuse dans cette hypothèse avant le transfert des ovules fécondés dans l’utérus. Les motifs dégagés par la cour sont liés aux réglementations nationales et à la durée de conservation autorisée (avec un maximum de dix ans). La protection ne peut dès lors être octroyée avant celui-ci. La Cour de justice avait à cet égard rappelé que la fécondation in vitro pouvait parfois être pratiquée au titre de simple précaution.

Tout en constatant que la Directive 92/85/CEE ne s’appliquait pas au cas d’espèce, la Cour y a examiné si la travailleuse pouvait se prévaloir de la protection contre la discrimination fondée sur le sexe, protection accordée par la Directive 76/207/CEE et avait conclu que celle-ci s’oppose au licenciement d’une travailleuse se trouvant à un stade avancé du traitement de fécondation in vitro mais pour autant que le juge de renvoi établisse que le licenciement est fondé essentiellement sur le fait qu’un tel traitement a été suivi.


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