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Personne handicapée de nationalité étrangère : une nouvelle question adressée à la Cour constitutionnelle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mai 2012, R.G. 2011/AB/133

Mis en ligne le jeudi 13 septembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 21 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/133

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles réinterroge la Cour constitutionnelle à propos de l’exclusion, par l’article 4 de la loi du 27 février 1987, du bénéfice de la loi sur la base du critère de nationalité.

Les faits

Une mère de famille, de nationalité congolaise, vit à Bruxelles, avec ses deux enfants en bas âge. Ceux-ci ont la nationalité belge.

La mère introduit une demande d’asile en 2002 et est inscrite au registre des étrangers depuis le début de l’année 2008. Elle est, au moment des faits, titulaire d’un CIRE pour un séjour temporaire (carte A).

Elle fait une demande d’allocations de remplacement de revenus ainsi que d’intégration en 2007. Elle se trouve à ce moment sans autorisation de séjour, étant toujours sous le coup d’un ordre de quitter le territoire lui notifié précédemment.

Elle n’obtiendra le droit au séjour temporaire que l’année suivante, soit en 2008.

La demande est rejetée par le SPF Sécurité sociale. Le refus est motivé, en ce qui concerne l’allocation de remplacement de revenus, par des considérations relatives à la réduction de sa capacité de gain et, pour l’allocation d’intégration, par le fait qu’elle n’atteint pas le minimum de l’échelle permettant son indemnisation.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Après avoir désigné un expert, le tribunal du travail a entériné les conclusions de son rapport et a considéré qu’il y avait lieu d’accorder à l’intéressée une allocation d’intégration de catégorie 1.

Position de parties

L’Etat belge interjette appel et fait valoir, pour la première fois, un argument fondé sur la condition de nationalité, requise en application de l’article 4 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées ainsi que par son arrêté royal d’exécution du 17 juillet 2006.

L’intéressée fait valoir en réponse le caractère discriminatoire de cette condition, et ce eu égard à divers textes de référence, étant (i) la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, (ii) les articles 10 et 11 de la Constitution et (III) la Convention européenne des droits de l’homme en son article 14, ainsi que son Premier Protocole additionnel en son article 1er.

Décision de la cour du travail

La cour est dès lors amenée à examiner cette question de nationalité, tenant compte notamment de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle sur la question et particulièrement son arrêt du 11 janvier 2012 (arrêt n° 3/2012).

La loi réserve en effet le bénéfice des allocations aux personnes handicapées aux personnes résidant en Belgique et appartenant à l’une des catégories qu’elle énumère. Parmi celles-ci ne figurent pas les personnes handicapées de nationalité étrangère autorisées à séjourner temporairement sur le territoire belge et inscrites au registre des étrangers. Elles sont exclues de la liste des bénéficiaires et donc des prestations visées. La cour relève d’emblée qu’il y a une différence de traitement et que celle-ci ne peut être justifiée que par des considérations très fortes. Elle reprend ici à la fois la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts GAYGYSUZ, KOUA POIRREZ et STEC) et l’enseignement de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation (C. Const., 12 décembre 2007, arrêt n° 153/07 et Cass., 8 décembre 2008, Chron. D.S., 2009, p. 258).

Le siège de la différence de traitement réside dans la loi et la compatibilité de la norme avec la protection offerte par la Constitution doit dès lors être vérifiée par la Cour constitutionnelle. La cour relève ici que, en application de l’article 26, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (introduit par la loi spéciale du 12 juillet 2009), la juridiction du travail doit soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle avant de vérifier la conformité de la loi à la Convention internationale.

Elle aborde alors l’arrêt du 11 janvier 2012 de la Cour constitutionnelle, qui conclut à l’absence de violation en ce qui concerne un étranger inscrit au registre des étrangers par suite d’une autorisation à séjourner en Belgique pour une durée illimitée.

Cet arrêt ne concernant pas, pour la cour du travail, la même espèce, elle décide de réinterroger celle-ci. En effet, dans l’arrêt du 11 janvier 2012, la personne concernée ne bénéficiait pas d’une autorisation de séjour temporaire mais illimitée et, en outre, l’intéressée est en l’espèce mère d’enfants de nationalité belge.

La cour pose dès lors la question de la conformité de l’article 4 aves les dispositions constitutionnelles susvisées ainsi que celles de la Convention de sauvegarde en ce qu’il exclut du seul fait de la nationalité les personnes handicapées étrangères en séjour temporaire alors que ce séjour est régulier et aura une durée significative et que, par ailleurs, les besoins d’assistance, d’autonomie et d’intégration de ces personnes sont comparables à ceux des bénéficiaires visés la loi. Une seconde question vise la conformité de ces dispositions avec l’article 28 de la Convention du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées et une troisième question porte sur la conformité de la disposition légale à l’ensemble des normes ci-dessus, s’agissant de personnes qui vivent en Belgique depuis plusieurs années avec leurs enfants de nationalité belge, qui restent exclues du bénéfice des dispositions légales alors qu’elles ont des attaches fortes et durables avec la Belgique et que leurs besoins d’assistance, d’autonomie et d’intégration sont comparables aux bénéficiaires.

Intérêt de la décision

Cet arrêt ré-interpelle, une nouvelle fois, le Cour Constitutionnelle sur l’article 4 de la loi du 27 février 1987, s’agissant en l’espèce d’une personne handicapée ayant manifestement des attaches fortes et durables avec la Belgique. L’intérêt de la décision est, en outre, le renvoi à la Convention des Nations-Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Belgique le 2 juillet 2009, avec son protocole facultatif.

La cour renvoie également à deux autres arrêts rendus interrogeant également la Cour constitutionnelle sur la même question (n° 5220 et 5221), affaires actuellement fixées à l’audience du 18 septembre 2012. Affaire à suivre dès lors …


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