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Paiement de la rémunération de la main à la main : importance de la quittance

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 mai 2012, R.G. 2010/AB/378

Mis en ligne le jeudi 13 septembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 30 mai 2012, R.G. n° 2010/AB/378

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 30 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles considère que l’absence de quittance en cas de paiement de la rémunération de la main à la main permet de conclure que l’infraction de non paiement de la rémunération est établie.

Les faits

Un employé reçoit, en 2008, un avis de rectification de sa déclaration à l’impôt des personnes physiques, pour les revenus perçus en 2006 et déclarés en 2007. Il lui est reproché d’avoir omis de déclarer des rémunérations et notamment pour le compte d’un employeur pour qui il presta pendant trois mois dans le courant de cette année. Contact est pris par le conseil de l’employé avec l’ex-employeur, celui-ci étant mis en demeure de payer les rémunérations en cause, l’employé faisant valoir qu’il ne les avait pas perçues.

En réponse, l’employeur fait état de paiements en espèce intervenus de la main à la main, les fiches de paie ayant été envoyées à l’employé au domicile connu. L’employeur fait état de difficultés personnelles que l’employé aurait connues à l’époque, tout en se considérant étranger aux faits pour lesquels il est interpellé.

L’employé introduit dès lors une action devant le Tribunal du travail de Nivelles, demandant réparation du dommage subi, à savoir les rémunérations brutes non payées pour la période correspondante.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail fait droit à la demande et condamne l’ex-employeur à payer la rémunération brute, au titre de dommages et intérêts, comme sollicité.

Position de parties en appel

L’employeur interjette appel, demandant que le jugement soit réformé en totalité. A titre subsidiaire, il demande la limitation de la condamnation à un faible reliquat en termes nets.

L’intéressé demande la confirmation du jugement, tout en avançant d’autres chiffres correspondant au brut de la rémunération réclamée au titre de dommages et intérêts.

Décision de la cour du travail

La cour constate en premier lieu qu’elle est saisie d’une action civile tendant à la réparation du dommage causé par une infraction, celle-ci étant soumise à un délai de prescription de cinq ans. Elle rappelle cependant la condition pour l’application de cette règle spécifique, étant que le juge du fond doit constater l’existence d’une infraction en règle imputable à l’employeur, ses préposés ou mandataires. Elle renvoie à la doctrine (F. KEFER, « L’erreur invincible de l’employeur ou l’infraction imputable comme condition d’application de la prescription quinquennale de l’action ex delicto », Chron. D.S., 2000, p. 257) pour la concrétisation de cette règle. Il faut en effet vérifier si (i) l’obligation est sanctionnée pénalement et s’il y a inexécution en l’espèce, (ii) si une cause de justification objective est invoquée, ainsi l’état de nécessité, (iii) dans la négative, à qui l’infraction est imputable et (iv) si une cause de non-imputabilité est invoquée, ainsi l’erreur invincible, si ce moyen est fondé. La cour précise, pour ce dernier point, que dans ce cas le doute doit bénéficier à l’employeur.

Après avoir rappelé que le non paiement de la rémunération est à la fois un manquement contractuel et un fait sanctionné pénalement, la cour examine si l’inexécution est alléguée et, pour ce, reprend les règles en matière de preuve, l’employeur signalant avoir remis la rémunération afférente à toute la période d’occupation de la main à la main. Elle énumère les éléments de fait qui rendraient cette version plausible (contexte d’amitié et de confiance, paiement par l’employeur des cotisations de sécurité sociale, envoi des fiches de paie, déclaration de l’ex-compagne du travailleur, absence de protestation depuis la rupture) et conclut qu’il y a un doute sérieux quant à l’existence d’une infraction.

Il convient dès lors d’appliquer de manière très stricte les règles de preuve et la cour expose ici la distinction qui s’impose en cas d’action fondée sur le contrat de travail (où c’est à l’employeur, qui se prétend libéré, de justifier le paiement ayant produit l’extinction de l’obligation, en application de l’article 1315, alinéa 2 du Code civil) et l’action ex delicto, où il appartient au travailleur de prouver l’inexécution constitutive de l’infraction. Elle rappelle à cet égard que sans infraction il n’y a pas application d’une prescription quinquennale.

Or, la loi du 12 avril 1965 contient des obligations spécifiques en matière de paiement de rémunération et notamment l’obligation, en cas de paiement de la main à la main, de soumettre à la signature du travailleur une quittance de paiement. Cette disposition (article 5) est sanctionnée pénalement. C’est donc cette infraction pénale qui – étant dûment établie – entraîne l’application de la règle de prescription de cinq ans.

Pour la cour, dès lors que l’employeur n’a pas soumis de quittance de paiement à la signature du travailleur, l’infraction de non paiement de la rémunération doit être considérée comme établie.

Sur le montant, des décomptes sont opérés et la cour rejette que l’employeur entende faire venir en déduction de ce qu’il doit l’équivalent d’une indemnité de démission, celle-ci n’ayant pas été introduite – et pour cause – dans l’année.

Un dernier point important tranché par la cour est la nature des intérêts ainsi que leur point de départ. Les dommages et intérêts octroyés consistant dans le net de la rémunération, c’est celui-ci qui en constitue l’assiette mais il ne peut s’agir d’intérêts légaux au sens de l’article 10 de la loi sur la protection de la rémunération, puisque ce n’est pas celle-ci qui est due en l’espèce mais des dommages et intérêts. La cour alloue dès lors des intérêts compensatoires à dater de la mise en demeure adressée par le conseil de l’employé à son ex-employeur et des intérêts judiciaires ensuite.

Intérêt de la décision

Abordant la question de la preuve du paiement de la rémunération à partir de l’angle pénal, cet arrêt souligne la distinction en matière de preuve, étant que c’est au travailleur d’établir l’infraction. Les dispositions de la loi sur la protection de la rémunération (toujours applicables au litige) permettent, en cas d’absence de délivrance de quittance, de considérer établie l’infraction de non paiement de la rémunération elle-même.


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