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Allocation de chômage et preuve de la résidence effective en Belgique

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2012, R.G. 2011/AB/252

Mis en ligne le jeudi 13 septembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/252

Dans un arrêt du 23 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’obligation pour le chômeur de prouver ses déclarations et, notamment, en ce qui concerne sa résidence effective en Belgique.

Les faits

Une citoyenne belge demande en novembre 2003 sa radiation des registres de la population en Belgique, s’étant installée, après son licenciement, en Espagne. Elle y vit de l’indemnité compensatoire de préavis qui lui a été octroyée. A l’issue de la période couverte par celui-ci, elle introduit une demande d’allocations de chômage auprès du bureau de chômage de Leuven, indiquant comme adresse effective le domicile de son père à Heverlee, avec qui elle dit vivre. Elle est entendue et déclare être de retour en Belgique et souhaiter retourner à Ténérife pour y chercher du travail. En juillet 2008, elle introduit un nouveau formulaire C1 dans lequel elle indique résider à une autre adresse (la maison de son père ayant été vendue entre-temps).

Une enquête est alors effectuée en ce qui concerne la réalité de la résidence, s’agissant de savoir, essentiellement, si celle-ci se situe sur le territoire belge vu les allers/retours réguliers effectués.

Une décision est prise par l’ONEm le 17 juin 2009, concluant à l’exclusion du droit aux allocations de chômage depuis octobre 2006, au motif que l’intéressée n’a plus sa résidence sur le territoire. Les allocations de chômage perçues doivent être remboursées et il y a exclusion pour une période de 10 semaines (omission de déclaration).

Le recours introduit par l’intéressée devant le Tribunal du travail de Nivelles est rejeté.

Appel est dès lors formé.

Position de parties en appel

L’intéressée signale ne jamais avoir caché sa domiciliation à Ténérife. Elle fait valoir qu’elle est titulaire d’une carte de non-résident depuis une période située avant sa demande d’allocations. Elle déclare également avoir toujours présenté cette carte d’identité de non-résident et explique les motifs dûment justifiés pour lesquels elle se sentait tenue de se domicilier en Espagne où elle est propriétaire d’un appartement.

Elle fait valoir qu’en matière de chômage, est prise en compte la résidence effective, à savoir le lieu où le chômeur vit habituellement et non le domicile. Sur le plan de la preuve, elle considère ne pas devoir établir l’effectivité de la résidence, l’ONEm devant – au contraire – prouver que celle-ci ne se situe pas en Belgique. Elle fait par ailleurs grief à l’ONEm d’avoir manqué à ses devoirs de confiance légitime et de gestion consciencieuse, vu la longue période considérée.

Quant à l’Office, il considère que c’est au chômeur d’établir qu’il remplit toutes les conditions d’octroi, en ce compris celle relative à la résidence en Belgique, l’inscription au registre de la population devant, par ailleurs, correspondre au lieu où vivent habituellement les membres d’un ménage. Au cas où tel n’est pas le cas, il considère que le chômeur ne bénéficie plus de la présomption qui découle de l’inscription et qu’il lui appartient dès lors d’établir sa résidence effective. En cas de séjour à l’étranger, seuls peuvent pour lui être admis les jours de vacances et ceux-ci sont limités dans le temps (4 semaines).

L’Office considère encore qu’il y a mensonge et que la bonne foi ne peut être retenue, en ce qui concerne la récupération.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle la règle de l’article 66 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, étant que pour bénéficier d’allocations le chômeur doit avoir sa résidence principale en Belgique et que, en outre, il doit résider effectivement sur le territoire. Pour la Cour de cassation (Cass., 25 juin 2007, S.05.0094.N), ceci est nécessaire en vue de permettre un contrôle efficace du respect des conditions d’octroi des allocations de chômage.

La question de la résidence a par ailleurs été examinée également par la Cour de justice de l’Union européenne en son arrêt DE CUYPER (CJUE, DE CUYPER, 16 juillet 2006, Aff. N° C-406/2004). La Cour y a insisté sur le bien-fondé de l’exigence d’une clause de résidence en matière de chômage, étant la nécessité de contrôler la situation professionnelle et familiale des chômeurs.

La cour réserve ensuite de longs développements a la charge de la preuve. En effet, l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne donne pas aux mentions du registre national une valeur particulière et, pour la cour, il n’y a pas de présomption légale découlant des dispositions relatives au registre de la population. La cour rappelle ensuite les obligations mises à charge du chômeur, et notamment la déclaration de situation personnelle et familiale qu’il doit remplir, dans laquelle figure la déclaration de la résidence effective, non seulement lors de la demande initiale mais chaque fois qu’un nouveau formulaire C1 est rempli. Ceci vise également l’hypothèse d’un changement de résidence. En conséquence, la cour considère qu’on peut exiger du chômeur qu’il apporte la preuve de l’exactitude des déclarations qu’il a faites pendant toute sa période de chômage et notamment, en cas de contestation soulevée par l’ONEm, qu’il établisse l’effectivité de la résidence qu’il a déclarée.

La cour renvoie par ailleurs à la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’obligation de déclaration, considérant que celle-ci correspond en réalité à une obligation de déclaration exacte (Cass., 3 janvier 2005, S.040.117.F notamment).

Quant à la portée de l’article 66bis de l’arrêté royal, il a pour effet de permettre à l’ONEm d’obtenir une confirmation de l’exactitude de la déclaration quant à la résidence effective mais il n’implique pas, pour la cour, que l’ONEm doit assumer la preuve de l’inexactitude des déclarations faites par le chômeur.

La cour en conclut que le mécanisme opère comme suit : (i) il appartient à l’ONEm de faire état des doutes possibles sur l’effectivité de la résidence ; (ii) si ceux-ci sont rapportés, il appartient au chômeur de prouver l’exactitude de ses déclarations et (iii) la résidence effective étant une question de fait et ne s’identifiant pas nécessairement au domicile légal, le fait d’avoir été radié des registres et de présenter une carte de non-résident est sans incidence sur l’obligation de prouver l’exactitude des déclarations faites quant à la résidence effective.

La cour va appliquer cette méthode aux éléments qui lui sont soumis et conclure que les preuves apportées ne sont pas suffisantes. En tout cas, à partir de la date retenue par l’ONEM en octobre 2006, la résidence effective n’est pas établie.

La cour va dès lors confirmer le jugement, tout en précisant encore, sur la bonne foi invoquée par l’intéressée que, si l’absence de déclaration n’exclut pas nécessairement la bonne foi, l’intéressée savait, ainsi qu’il ressort des éléments du dossier, que le droit aux allocations de chômage suppose une résidence effective en Belgique. En conséquence la bonne foi n’est pas établie.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt très motivé, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les liens entre le domicile légal et la résidence effective en matière de chômage, ainsi que l’obligation pour le chômeur de veiller à l’exactitude des déclarations fournies, obligation à laquelle s’ajoute celle d’en apporter la preuve, même si une longue période est en cause.


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