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Pension de retraite des travailleurs salariés : la Cour constitutionnelle interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2012, R.G. 2010/AB/1.156

Mis en ligne le vendredi 31 août 2012


Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2012, R.G. n° 2010/AB/1.156

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles pose à la Cour constitutionnelle une question relative à la discrimination entre fonctionnaires et travailleurs salariés vu la non prise en compte pour ces derniers des revenus de l’activité exercée pendant l’année de prise de cours de la pension.

Les faits

Un travailleur salarié sollicite l’octroi de la pension de retraite anticipée à dater du 1er avril 2008. Il a à l’époque 60 ans. Par décision lui notifiée, l’ONP fixe sa pension de retraite à un montant de l’ordre de 1.500€ par mois, ne tenant pas compte des rémunérations relatives à l’année 2008.

Il introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles à propos des modalités de calcul. Il conteste essentiellement l’absence de prise en compte des rémunérations de 2008, ainsi que le calcul des coefficients de revalorisation (article 29bis de l’arrêté royal n° 50).

Ayant été débouté de son action par jugement du 19 novembre 2010, il forme appel.

Décision de la cour du travail

La cour est saisie de deux questions distinctes et elle aborde en premier lieu la seconde, étant l’examen des modalités d’application du coefficient de revalorisation.

Celui-ci est prévu à l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (article 7, alinéa 1er), étant que les rémunérations font l’objet d’une réévaluation, selon un coefficient défini à l’article 29bis, § 1er, du même arrêté royal. Ce coefficient s’obtient en divisant l’indice des prix à la consommation auquel les pensions en cours sont payées par la moyenne des indices mensuels de l’année envisagée. En outre, le même article 29bis prévoit en son § 2 que les pensions varient conformément aux dispositions de la loi du 2 août 1971 organisant un régime de liaison à l’indice des prix à la consommation. Celle-ci que prévoit que chaque fois que l’indice des prix atteint un indice-pivot, les prestations soumises au mécanisme d’indexation sont recalculées et affectées du coefficient 1,02n (‘n’ représentant le rang de l’indice-pivot atteint).

La cour rappelle le mécanisme de lissage, étant l’application d’un saut d’index si la moyenne des indices du mois et des trois mois qui précèdent dépasse l’indice-pivot. C’est l’application du mécanisme de lissage à la fois aux rémunérations prises en compte pour le calcul de la pension et aux pensions elles-mêmes qui est, pour le demandeur, à l’origine d’une violation de la Constitution, étant qu’il y aurait différence de traitement entre les salariés et fonctionnaires.

La cour constate cependant que la différence de traitement n’est pas démontrée. La pension des fonctionnaires est un traitement différé et n’est pas un revenu de remplacement. Elle est calculée, en fonction de la loi du 21 juillet 1844 sur les pensions civiles et ecclésiastiques, sur la base d’un traitement de référence. Il s’agit du traitement moyen des cinq dernières années de la carrière ou de toute la carrière si celle-ci est inférieure à ces cinq ans. Le traitement moyen est établi sur la base des traitements fixés dans les échelles de traitement correspondant aux fonctions dans lesquelles l’agent a été nommé à titre définitif. C’est un traitement de référence censé s’approcher du dernier traitement qui est ainsi pris en compte et non les rémunérations brutes gagnées au cours de la carrière professionnelle. La cour relève encore que, dans les échelles de traitement devant permettre de déterminer le traitement de référence, il y a également application du mécanisme du lissage de l’index.

La cour réserve, ensuite, des développements très importants à la question de l’exclusion de l’année de prise de cours de la pension, organisée par l’article 7 de l’arrêté royal n° 50 (alinéas 7 et 8). Elle relève l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 15 juillet 1993 (arrêt n° 61/93), dans lequel la cour a considéré que cette règle s’applique à l’ensemble des travailleurs salariés de telle sorte qu’il n’y a pas parmi eux de différence de traitement contraire à la Constitution.

La cour considère cependant devoir réinterroger la Cour constitutionnelle, dans la mesure où les catégories de bénéficiaires pointés en l’espèce lui paraissent beaucoup plus significatives. Elle précise également que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a évolué sur le critère de comparabilité et elle renvoie à divers arrêts rendus en matière de risque professionnel où la comparabilité des régimes est devenue assez habituelle. Le critère de la Cour constitutionnelle sur la question est que des régimes différents de pensions peuvent être comparés lorsqu’une mesure commune a des effets sensiblement différents dans un régime et dans un autre. En l’espèce, la prise en compte de l’année de prise de cours de la pension est une question commune aux différents régimes de pension mais est réglée de manière différente dans le régime des travailleurs salariés que dans celui des fonctionnaires.

La justification éventuelle semble avoir résidé, pour la cour du travail, dans la difficulté à établir le compte de pension de l’année en cours dans un délai suffisamment rapide mais cet argument est aujourd’hui peu pertinent vu les évolutions technologiques actuelles. Elle renvoie au rapport 2009 du Collège des médiateurs pour les pensions, qui, sur cette question, ont estimé qu’il serait plus équitable de faire intervenir toutes les périodes où des rémunérations réelles ou assimilées ont été enregistrées sur le compte individuel, y compris si possible celles de l’année en cours. Les médiateurs ont invité les instances compétentes à adapter la réglementation en ce sens.

La cour précise par ailleurs que dans la mesure où des cotisations de sécurité sociale ont été prélevées sur ces rémunérations, la non-prise en compte pourrait être contraire à l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.

Elle rappelle encore qu’actuellement les travailleurs sont invités à rester le plus longtemps possible au travail et qu’il y a lieu de donner à ceux-ci toute assurance que chaque mois complémentaire sera pris en considération pour le calcul de la pension.

La cour examine encore la question de savoir si, en prenant sa pension le 1er janvier de l’année en cours (situation qui n’entraînerait pas d’exclusion de prestations de travail pour le calcul de la pension), il n’y aurait pas encore une autre différence de traitement par rapport aux fonctionnaires, qui peuvent choisir la date de prise de cours de la pension.

Vu l’ensemble de ces considérations, elle pose à la Cour constitutionnelle la question de savoir s’il n’y a pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où la disposition réglementaire (article 7, alinéa 8 de l’arrêté royal n° 50) a pour conséquence que l’année au cours de laquelle la pension de retraite prend cours n’est pas prise en considération pour le calcul de la pension du travailleur salarié, alors que cette année est entièrement comptée comme période de service dans l’hypothèse du calcul d’une pension de retraite du secteur public.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde une question fréquente et qui a été soulevée à diverses reprises. Cette règle d’exclusion de l’année de prise de cours de la pension entraîne, comme l’arrêt le souligne à très juste titre, une perte financière pour le pensionné et, dans la mesure où la question n’est pas réglée de la même manière dans le secteur public, indépendamment du caractère de traitement différé de la pension de ce secteur, la différence de traitement peut être contraire à la Constitution.

Affaire à suivre donc …


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