Terralaboris asbl

Travailleurs indépendants en incapacité de travail : conditions de l’activité autorisée

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 20 mars 2012, R.G. 2011/AN/30

Mis en ligne le mardi 28 août 2012


Cour du travail de Liège, section Namur, 20 mars 2012, R.G. n° 2011/AN/30

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 mars 2012, la Cour du travail de Liège, section de Namur rappelle, dans un arrêt très nuancé, les conditions dans lesquelles un travailleur indépendant peut poursuivre une activité pendant une période d’incapacité de travail.

Les faits

Un travailleur indépendant, qui exerçait concomitamment deux activités (agriculteur et gérant d’une SPRL de construction métallique), cesse son activité, après un accident, suite auquel il a été pris en charge par son organisme assureur. Il est remis au travail par le médecin-conseil mais conteste cette décision. Il reprend ensuite une partie de cette activité (sans informer le médecin-conseil) tout en recourant à la sous-traitance et déléguant une partie de ses autres tâches.

Le recours introduit aboutit plusieurs années plus tard et le service de contrôle de l’INAMI effectue alors une visite sur place, qui va donner lieu à diverses constatations et à une sanction.

Dans un procès-verbal d’audition, l’intéressé va en effet confirmer les conditions dans lesquelles il a tenté de relancer l’activité de la SPRL, engageant diverses personnes mais avec peu de résultats et confiant la comptabilité à un bureau spécialisé. Il s’est dès lors limité à donner des instructions et à avoir des contacts avec les clients (visites sur chantier, indications données aux ouvriers, dépannage éventuel, etc.). Suite à l’issue (favorable) du recours introduit devant le tribunal du travail, l’INAMI avait à nouveau mis fin à l’état d’invalidité, quelques mois plus tard, suite à quoi un second recours avait été introduit et le tribunal a conclu, dans le cadre de celui-ci, à l’impossibilité pour l’intéressé de se déplacer et à effectuer les tâches requises.

Dans le cadre de son audition en vue de présenter ses moyens de défense, l’intéressé expliquera ultérieurement qu’il n’a poursuivi que de menues tâches de surveillance et de gestion administrative, sans effectuer d’activité professionnelle, que ce soit comme agriculteur ou dans le cadre de la société de construction.

L’INAMI sanctionne, en fin de compte, l’intéressé en l’excluant de 75 indemnités journalières (le maximum) pour poursuite d’activité pendant une période où il bénéficiait des indemnités AMI, l’activité retenue étant celle liée à la société de construction.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 24 janvier 2011, le tribunal du travail de Dinant confirme la décision administrative, au motif que l’activité de gestion quotidienne était non négligeable et indispensable à la survie de l’entreprise.

Position de parties en appel

L’intéressé interjette appel, considérant qu’il est incapable de gérer la société, étant essentiellement un travailleur manuel et n’ayant effectué que quelques activités d’ordre administratif, davantage de l’ordre du passe-temps plutôt que de l’activité professionnelle.

Décision de la cour du travail

La cour va analyser les sanctions administratives prévues en cas d’incompatibilité d’une activité professionnelle telle que celle exercée par l’appelant et la reconnaissance de l’état d’incapacité de travail (d’invalidité).

Elle commence son analyse par les principes régissant l’état d’incapacité (ou d’invalidité) et la reprise d’une activité. L’assuré social qui souhaite reprendre un travail met fin à son incapacité, à la condition que le travail corresponde à la notion d’activité définie à l’arrêté royal du 20 juillet 1971 (articles 19 et 20), c’est-à-dire qu’il s’agisse d’une occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui. Le caractère habituel ou exceptionnel de l’activité n’a pas d’importance. Est même visée une activité effectuée au titre de service d’ami sans rémunération : celle-ci constitue un travail soumis à l’autorisation préalable du médecin-conseil, dans la mesure où cette activité a un caractère productif. S’il n’a pas ce caractère, le service rendu gratuitement, même faisant l’objet d’une contrepartie en nature, est autorisé. Si elle réunit toutes ces caractéristiques, l’activité est incompatible avec la reconnaissance de l’état d’incapacité de travail.

La loi prévoit cependant la possibilité de reprise partielle avec autorisation demandée au médecin-conseil. Cette autorisation ne peut cependant s’accompagner du paiement des indemnités que si l’assuré social s’y conforme de manière stricte, raison pour laquelle elle doit en mentionner les conditions d’exercice. Si l’assuré social s’écarte des conditions mises à la reprise, ceci revient à exercer une activité sans autorisation.

Par ailleurs, la cour rappelle que la jurisprudence a admis une autre exception à l’interdiction d’exercer une activité tout en bénéficiant des indemnités d’incapacité (ou d’invalidité). L’activité de l’entreprise du travailleur indépendant peut en effet se poursuivre pendant l’incapacité à la condition qu’elle ne soit le fait de celui-ci. La cour souligne qu’il est légitime qu’un travailleur indépendant entende voir se poursuivre l’activité de l’entreprise qu’il a gérée, cette activité pouvant générer des revenus dont le travailleur indépendant pourra bénéficier en-dehors de toute activité professionnelle personnelle (ainsi, comme le relève la cour, notamment comme associé non actif, actionnaire, ou encore même comme titulaire de l’entreprise). L’évaluation de l’incapacité de travail se fait en effet en fonction de l’activité personnelle du travailleur indépendant et non à partir de critères liés à son entreprise. Dès lors, s’il n’a accompli que des tâches minimes afférentes à l’activité exercée auparavant, ceci reste compatible avec les conditions d’indemnisation de l’article 19 de l’arrêté royal, s’agissant d’une activité légère.

L’arrêt reprend de très nombreuses références de doctrine et de jurisprudence sur ce principe et sur les critères d’appréciation. Il faut opérer une distinction entre les tâches principales et les tâches accessoires et déterminer le caractère minime de ces dernières. La poursuite d’une certaine activité est autorisée, qu’elle soit minime ou qualifiée de peu importante, le travailleur indépendant devant cependant opérer la distinction entre les tâches autorisées et celles ne l’étant pas, avec, comme le précise la cour, tous les risques liés à une appréciation erronée qu’il ferait. Elle précise encore que ces principes visent la situation où le travailleur indépendant poursuit des tâches de minime importance dans le cadre de l’activité qu’il exerçait dans ce statut mais que ceci ne vise pas celle exercée simultanément comme salarié.

En outre, dans le cas d’espèce, il ya également lieu de tenir compte du recours introduit contre la décision administrative et l’incidence de l’issue de la procédure judiciaire. Dans la mesure où il n’est pas reconnu incapable de travailler, l’indépendant ne peut demander l’autorisation de reprise au médecin-conseil, qui n’est d’ailleurs pas compétent pour se prononcer sur celle-ci. Pour la cour, le seul reproche qui pourrait être fait à l’assuré social dans une telle hypothèse est que, s’il a repris une activité postérieurement à la décision administrative, il est tenu à une obligation d’information lorsqu’il obtient satisfaction et qu’il demande les indemnités. En l’occurrence, l’intéressé aurait dû, immédiatement après le jugement, signaler au médecin-conseil la reprise d’une activité partielle (sauf activité minime, autorisée en principe).

La cour constate que l’activité reprise était ‘très secondaire’ par rapport à l’activité antérieure et qu’il n’a, vu l’époque où il a repris celle-ci, pas pu demander préalablement l’autorisation de travailler. Il ne peut dès lors être sanctionné, puisque ce qui lui est reproché est un manquement à une obligation qu’il n’aurait pas pu respecter. L’article 67, 2° de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, qui fonde la sanction d’exclusion à raison de 75 jours au plus, vise en effet le titulaire qui a négligé de faire connaître soit la reprise d’une activité professionnelle soit tout élément qui viendrait modifier la feuille de renseignements et qui aurait une incidence sur le droit aux prestations.

Reste cependant encore à voir si l’intéressé ne s’est pas rendu coupable d’un manquement susceptible d’entraîner une sanction administrative de nature pénale au sens de la CEDH. La cour ordonne sur cette question une réouverture des débats, ainsi que sur un problème d’interprétation de l’article 67 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971.

Intérêt de la décision

Cet arrêt particulièrement fouillé et motivé de la Cour du travail de Liège, section Namur, reprend les deux exceptions à l’interdiction d’exercice d’une activité professionnelle dans le cadre d’une période d’incapacité (ou d’invalidité) admise pour un travailleur indépendant : outre l’exception légale, qui est l’hypothèse de l’activité exercée avec l’autorisation du médecin-conseil, existe une importante dérogation de nature jurisprudentielle, étant l’exercice de tâches accessoires, à caractère minime, autorisées dans le cadre de la poursuite de l’activité de l’entreprise du travailleur indépendant.


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