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Discrimination et harcèlement : cumul d’indemnités de protection ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 mai 2012, R.G. 2010/AB/1.189

Mis en ligne le vendredi 17 août 2012


Cour du travail de Bruxelles, 15 mai 2012, R.G. n° 2010/AB/1.189

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles considère que, en prévoyant une indemnité de protection en cas de dépôt de plainte, les deux législations entendent réparer le même dommage. Les indemnités ne sont dès lors pas cumulables.

Les faits

Un employé au service d’un grand opérateur de téléphonie dépose plainte auprès du Centre pour l’égalité des chances, considérant être victime de discrimination et de harcèlement moral au travail. Des contacts ont lieu, suite à l’intervention du Centre, ainsi que des entretiens. L’intéressé est déplacé quelques semaines tard. Le conseiller en prévention remet finalement son rapport, dont il ressort qu’il n’y a ni discrimination ni harcèlement sexuel ou moral. Il indique au contraire qu’un certain nombre d’éléments révélerait un abus de procédure de plainte dans le chef de l’employé. Le lendemain de la communication du rapport, l’intéressé est licencié pour motif grave. Il s’agit en substance d’avoir déposé une plainte indue et d’avoir porté préjudice à trois collègues, qu’il a accusés dans le cadre de celle-ci. Lui est également reproché le détournement du dépôt de plainte, qui serait motivé par une crainte d’être licencié.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail rejette le motif grave et condamne l’employeur à payer à la fois une indemnité sur pied de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996 et une indemnité du même montant fondée sur l’article 21 de la loi du 25 février 2003.

Décision de la cour du travail

Suite à l’appel de l’employeur, la cour est saisie de l’ensemble de la contestation. Elle conclut à l’absence de motif grave, rappelant les principes en la matière et plus particulièrement ceux relatifs à un motif tiré d’une plainte considérée abusive. La cour rappelle que la seule circonstance que la plainte n’est pas fondée ne lui confère pas un tel caractère, déposer une plainte étant un droit. Ce n’est qu’en cas d’abus, c’est-à-dire en cas de droit exercé d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal du droit par une personne prudente et diligente que cet exercice ne peut être autorisé. C’est à l’employeur cependant d’établir le caractère abusif de la plainte.

La cour relève que l’intéressé n’a pas déposé plainte sur la base de faits inexistants ou inventés : les faits se sont réellement produits mais c’est leur qualification qui est restée litigieuse. S’agissait-il réellement de faits de discrimination ? De harcèlement ?

Elle relève encore que la première démarche entreprise par l’intéressé n’était pas le dépôt de la plainte (susceptible de lui offrir une protection contre le licenciement) puisqu’il a d’abord saisi le Centre pour l’égalité des chances.

En outre, même si une procédure de médiation était introduite, le fait de recourir à une plainte n’a rien d’abusif. Le motif grave est dès lors inexistant.

La cour examine ensuite les demandes d’indemnité de protection et commence son analyse par la réglementation en matière de discrimination. Elle en conclut que le droit à l’indemnité forfaitaire existe dès lors que deux conditions sont remplies cumulativement, étant que le licenciement pour motif grave est non fondé et qu’il est en contradiction avec le principe d’interdiction de licencier sauf pour des motifs étrangers à la plainte. En l’espèce, il y a eu dépôt de plainte et les motifs du licenciement ne sont pas étrangers à celle-ci. L’indemnité est dès lors due.

La cour examine ensuite le litige sous l’angle du harcèlement au travail. Elle rappelle que le mécanisme de protection contre les représailles suite à une plainte déposée est presque identique à celui mis en place par la loi contre la discrimination. La loi en matière de harcèlement précise, cependant, qu’avant de déposer la plainte motivée, le travailleur dépose une plainte informelle auprès du conseiller en prévention ou de la personne de confiance, en vue de tenter une conciliation. Il en découle que l’intéressé a droit à l’indemnité de protection prévue par la loi, vu l’application du mécanisme repris ci-dessus, identique dans cette seconde hypothèse.

Se pose cependant la question du cumul des indemnités de protection et, à cet égard, la cour précise que la finalité des textes est la même, puisqu’il s’agit de dissuader l’employeur de licencier par mesure de représailles dès lors qu’une plainte a été introduite dans l’un ou l’autre cadre. En l’occurrence les faits à la base de la plainte sont susceptibles d’être à la fois des faits de discrimination et des faits de harcèlement (comportement vexatoire des collègues et du supérieur, traitement défavorable sur le plan professionnel). En ce qui concerne le préjudice subi, il réside incontestablement dans la perte de l’emploi (préjudice matériel et moral) ainsi qu’en le préjudice issu d’un licenciement décidé en violation de la loi. S’il y a deux législations distinctes, elles trouvent à s’appliquer vu le dépôt d’une plainte unique pour des faits communs susceptibles d’être constitutifs à la fois de faits tombant sous le coup de l’une ou de l’autre. Il y a, en conséquence, même préjudice, la protection poursuivant le même objectif, qui est de dissuader les représailles et d’indemniser le travailleur.

Pour l’ensemble de ces motifs, la cour conclut au non-cumul des indemnités. Elle se réfère à des arrêts rendus par la Cour de cassation dans d’autres situations (notamment Cass., 12 juin 1989, J.T.T., 1989, I, p. 402). Ainsi, a été refusé le cumul de deux indemnités de protection (au sens de la loi du 19 mars 1991), l’intéressé ayant en même temps les deux qualités de représentant du personnel visé par cette loi (membre du C.E. et membre du C.P.P.T.), et ce alors qu’à l’époque de leur instauration, les indemnités avaient été prévues par des lois différentes, qui ne comportaient aucune disposition interdisant le cumul.

La cour fait état également d’un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass., 20 février 2012, R.G. n° S.100048.F), qui a admis un cumul d’indemnités en cas de protection en tant que membre du Conseil d’entreprise et l’indemnité de stabilité d’emploi prévue par les conventions collectives applicables au sein du secteur des assurances. Dans cette hypothèse, la Cour a admis qu’il y a finalités distinctes et dommages distincts. La cour du travail considère que, à l’inverse, dans le cas d’espèce, il y a finalité et dommage identiques.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles se prononce sur la délicate question du cumul des indemnités de protection, en l’occurrence sur celles prévues dans le cadre du dispositif antidiscrimination et dans la loi sur le bien-être qui sanctionnent les licenciements intervenant suite à une plainte déposée. La cour voit, du fait du dépôt d’une plainte unique, pouvant porter sur des faits visés dans l’une et l’autre législation, identité de dommage, interdisant, de ce fait, le cumul.


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