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L’évaluation de la perte de capacité de travail dans l’hypothèse où la capacité de travail avait déjà été réduite en raison d’une maladie antérieure

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 février 2007, R.G. 47.183

Mis en ligne le jeudi 21 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 19 février 2007, R.G. n° 47.183

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 19 février 2007, la cour du travail de Bruxelles rappelle les principes dans le cas où un travailleur avait vu sa capacité de travail réduite de manière importante par une maladie, tandis que l’accident a entraîné des séquelles également invalidantes. La cour rappelle ainsi qu’il faut tenir compte de la capacité de travail de la victime avant l’accident, c’est-à-dire dans le cas d’espèce d’une capacité de travail déjà réduite de manière importante.

Les faits

Monsieur M. contracte, à l’âge de 25 ans, une maladie du système nerveux périphérique (« maladie de Gillain Barré »), de laquelle il conserve d’importants troubles locomoteurs (troubles de la marche et de l’équilibre, diminution de la mobilité de la main droite) ainsi que des difficultés respiratoires.

Nonobstant ces circonstances, il a été capable de poursuivre des études auprès de l’Ecole navale puis de suivre une licence en informatique.

Quelques années après avoir obtenu son diplôme, il preste pour le compte d’une grande entreprise, en qualité de chef de projet (consultant en informatique). Dans le cadre de cette activité, il est victime d’une chute le 23 août 2000. Sa tête heurte le sol et il en résulte une commotion cérébrale.

A la suite de cet accident du travail, il se plaint d’une série de troubles : fatigabilité, mélancolie, tristesse, cafard, troubles de la concentration, etc.

Un désaccord persistant avec l’entreprise d’assurances sur le taux d’incapacité permanente de travail persistant à la suite de cet accident du travail, une procédure est introduite devant le tribunal du travail, qui désigne un expert judiciaire.

Celui-ci dépose son rapport, concluant à l’existence d’une incapacité temporaire de travail à 100%, puis à 50% et ensuite 30% et à une incapacité permanente de travail de 18%, à l’issue de la dernière période d’ITT.

Les examens spécialisés réalisés dans le cours de l’expertise ont permis d’imputer l’ensemble des symptômes « post-commotionnels » (fatigabilité, troubles de la concentration) à l’accident du travail et non à la maladie dont est affecté le travailleur.

Les séquelles retenues ne sont pas objectives mais subjectives, c’est-à-dire que, quoique réelles, elles n’ont pu être constatées par le biais d’examens médicaux. L’expert retient cependant au titre de séquelles une fatigabilité importante (partiellement liée aux troubles du sommeil), une capacité d’exercer une activité intellectuelle réduite à une ou deux heures par jour et une concentration très variable.

Le rapport précise que les troubles de l’attention ont des conséquences sur la conduite automobile et peuvent également se manifester devant un ordinateur.

L’expert conclut dès lors à une pénibilité importante dans les travaux intellectuels et dans les déplacements automobiles, séquelles liées à l’accident et non à la maladie.

Le taux de 18% a été composé en tenant compte de l’évaluation proposée par les sapiteurs (15% pour les difficultés neurologiques et 5% pour le volet psychiatrique).

Le tribunal du travail entérine les conclusions de l’expert.

Contestant cette décision, le travailleur interjette appel du jugement prononcé et sollicite, dans ce cadre, que la cour fixe le taux d’incapacité permanente de travail à 100% ou, à tout le moins, qu’il ordonne une expertise complémentaire, en vue d’un recours à un ergologue.

La décision de la Cour

La cour relève tout d’abord que l’accident du travail n’a pas influencé les conséquences de la maladie de Gillain Barré, de sorte que l’entreprise d’assurances ne doit pas indemniser Monsieur M. des conséquences de celle-ci.

Elle relève cependant que l’accident du travail a réduit la capacité de travail de Monsieur M., laquelle était déjà fortement entamée par la maladie. La cour retient, eu égard aux séquelles de celle-ci, que Monsieur M. n’était pas capable d’effectuer un travail manuel.

Tenant compte de cette circonstance particulière, la cour rappelle qu’il y a lieu, afin d’évaluer la perte de capacité de travail liée à l’accident du travail, de tenir compte de la capacité de travail de la victime avant l’accident. Il s’agit dès lors de prendre en compte une capacité de travail déjà fortement réduite par la maladie de Gillain Barré.

Eu égard à la réduction de la capacité de travail liée à la maladie, la cour note que les difficultés pour l’exercice d’un travail intellectuel, exclusivement imputables à l’accident, constituent un handicap bien plus important pour Monsieur M. que pour un autre individu, qui aurait pu éventuellement se rediriger vers un travail manuel.

La cour note par ailleurs une discordance entre le dernier taux d’incapacité temporaire de travail alloué par l’expert (30%) et le taux d’incapacité permanente retenu (18%), dans la mesure où le métier de consultant en informatique exercé par le travailleur au moment de l’accident constitue une très grande partie de son marché général du travail, marché envisagé eu égard aux séquelles de la maladie de Guillain Barré.

Par ailleurs, la cour émet certaines réserves sur la prise en compte par l’expert judiciaire de la réduction de la capacité de travail de la victime à exercer une activité intellectuelle, celle-ci ne pouvant être poursuivie que pendant une heure ou deux.

En conséquence, la cour décide de recourir à l’avis d’un ergologue. Elle précise maintenir sa confiance dans l’expert judiciaire désigné, tout en soulignant qu’elle compte sur lui pour revoir, le cas échéant, « d’une manière radicale » son avis sur le taux d’incapacité permanente eu égard aux résultats de l’étude ergologique.

Intérêt de la décision

La décision rappelle opportunément les règles en matière de fixation de l’incapacité permanente de travail dans le cas précis où la capacité de travail du travailleur avait déjà été entamée par un événement antérieur à l’accident.

Il y a lieu en effet de tenir compte des conséquences de l’accident sur la capacité de travail telle qu’elle se présentait avant celui-ci, ce qui peut conduire à ce que les séquelles de l’accident présentent une proportion bien plus importante en termes d’incapacité permanente de travail pour le travailleur concerné que pour n’importe quel autre travailleur.

Ainsi, des difficultés à l’accomplissement d’un travail intellectuel vont nécessairement affecter de manière beaucoup plus grande un travailleur qui n’avait pas, dans son marché général du travail, la possibilité d’obtenir un travail d’ordre manuel.


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