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Agression d’un enseignant et accident du travail : recours contre l’auteur ?

Commentaire de C. trav. Mons, 2 avril 2012, R.G. 2008/AM/21.815

Mis en ligne le mercredi 18 juillet 2012


Cour du travail de Mons, 2 avril 2012, R.G. n° 2008/AM/21.815

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 2 avril 2012, la Cour du travail de Mons renvoie vers la Cour d’appel une demande introduite par la Communauté française contre un mineur, auteur d’une agression d’un enseignant, sur base des articles 1382 et suivants du Code civil.

Les faits

Une enseignante est victime d’une agression perpétrée par un élève, alors qu’elle sort de la bibliothèque de l’établissement de l’institution qui l’occupe. Son crâne heurte violemment le pavement et l’intéressée tombe en incapacité de travail.

Une proposition du SSA (MEDEX) sera faite, en ce qui concerne les périodes d’incapacité temporaire totale et partielle, ainsi que la date de consolidation. Les absences postérieures à celles-ci sont considérées comme n’étant plus imputables à l’accident.

Une procédure est introduite par l’intéressée, qui ne marque pas accord avec cette conclusion. Dans le cadre de celle-ci, la Communauté française se retourne contre l’élève.

Un expert judiciaire est désigné par le Tribunal du travail de Mons et celui-ci conclut son expertise avec un taux d’IPP de 7%, son rapport étant entériné par jugement du tribunal.

Dans sa décision, le premier juge ordonne la réouverture des débats sur diverses questions, mais déclare d’ores et déjà fondée la demande dirigée contre l’élève, qui est condamné à payer à la Communauté française un montant de l’ordre de 70.000€.

Appel est interjeté par celui-ci.

Position de parties devant la cour

L’appelant conteste sa condamnation à verser à la Communauté française le montant de l’ordre de 70.000€, et ce sur base de l’article 1382 du Code civil.

Il considère que la mission d’expertise est une mission spécifique à la couverture en loi des accidents du travail, celle-ci différant sensiblement de l’appréciation des conséquences en relation causale avec la faute commise en droit commun. Les conclusions de l’expert judiciaire ne peuvent, pour lui, servir de base à l’appréciation du dommage fondé sur les articles 1382 et 1383 du Code civil. Il sollicite que soit pris en compte un état pathologique préexistant, chez l’enseignante, qui a été à l’origine d’incapacités partielles successives et qu’il ne peut être tenu, dans le cadre du recours direct de la Communauté française à son égard, que des conséquences en relation causale nécessaire et suffisante avec le fait litigieux.

Quant à l’enseignante, qui dirige sa demande contre la Communauté française uniquement, elle demande paiement des indemnités prévues par la loi, ainsi que la restitution d’un montant de l’ordre de 2.000€ au titre de retenues indues sur rémunération. Elle demande également remboursement de frais médicaux et de frais de déplacement.

Quant à la Communauté française, elle va dans le sens de l’entérinement du rapport d’expertise mais demande que la condamnation prononcée à son égard soit limitée aux périodes d’incapacité temporaire de travail et au calcul de la rente, l’octroi de celle-ci devant faire l’objet d’un arrêté ministériel.

Elle objecte cependant qu’elle n’est pas tenue des frais de déplacement (art. 28 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969), au motif qu’elle ne doit prendre en charge que ceux relatifs à l’expertise médicale, judiciaire ou requise par le SSA, ce service assurant le paiement des frais de déplacement liés à un traitement prescrit par le médecin de la victime. En ce qui concerne sa demande contre l’appelant, elle considère être autorisée à réclamer ses débours bruts dans le cadre du recours direct contre celui-ci, et ce sur pied des articles 1382 et suivants du Code civil. L’existence d’une obligation légale n’exclut, pour elle, pas l’existence d’un dommage au sens de l’article 1382 du Code civil sauf lorsque la dépense doit demeurer définitivement à charge de celui qui est tenu de l’exposer ou de l’exécuter par l’effet de la loi (ou du règlement ou d’une convention). Elle estime dès lors bénéficier d’un droit propre obligeant l’auteur du dommage à réparer celui-ci intégralement.

Les arrêts de la cour du travail

Arrêt du 15 novembre 2010

Dans cet arrêt, la cour fait essentiellement état d’un problème de procédure, l’appel ayant été interjeté par l’auteur de l’agression contre la Communauté française uniquement. Or, la victime a conclu et la cour du travail rappelle que, dans la mesure où elle ne fait l’objet d’aucune demande dans le chef de l’appelant, elle ne pouvait se considérer comme intimée (la cour renvoyant à l’arrêt de Cassation du 1er juin 2001, R.W. 2001-2002, p. 379). La cour consacre encore quelques développements de droit judiciaire sur la notion d’appel incident et ordonne la réouverture des débats aux fins de régulariser la procédure.

Arrêt du 2 avril 2012

Cet arrêt ne statue pas sur la recevabilité et le fondement de la requête d’appel de la victime, mais uniquement sur la recevabilité et le fondement de la demande en intervention forcée et garantie de la Communauté française à l’encontre de l’auteur de l’agression. La cour va essentiellement s’attacher à la compétence ratione materiae pour connaître de l’action subrogatoire de la Communauté française et elle reprend de longs développements en droit sur la compétence matérielle des tribunaux. Elle rappelle l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle il faut se fonder sur l’objet factuel de la demande et non sur la conception juridique de cet objet (la cour renvoyant notamment à Cass., 23 octobre 2006, Rev. rég. dr., 2006, p. 229, note R. CAPART, « La Cour de cassation consacre la conception factuelle de l’objet de la demande en justice »), qui impose au juge d’examiner l’objet réel de la demande et non son habillage juridique. Elle constate que le recours de la Communauté française, présenté par celle-ci comme étant l’exercice d’un droit propre fondé sur les articles 1382 et suivants du Code civil, est distinct de l’action subrogatoire consacrée par l’article 14, § 3 de la loi du 3 juillet 1967, au profit de l’employeur public.

En l’espèce, la Communauté française sollicite la condamnation de l’auteur de l’agression sur pied de l’article 1382 du Code civil, ce qu’a admis le premier juge, considérant que l’article 1382 du Code civil autorise un recours direct contre l’auteur des faits. Pour la cour du travail, dans la mesure où la Communauté française ne s’est pas limitée à introduire une demande en intervention et garantie sous forme de déclaration de jugement commun, mais se fonde sur l’existence d’un droit propre, il y a un problème de compétence ratione materiae. La demande est en effet étrangère à la compétence exclusive reconnue aux juridictions du travail par l’article 579, 1° du Code judiciaire, qui vise les demandes relatives à la réparation des dommages résultant des accidents du travail.

La cour relève encore que le problème se serait également posé si la Communauté française s’était appuyée sur l’article 14, § 3 de la loi du 3 juillet 1967 relatif à la subrogation légale de l’employeur public dans les droits de la victime à l’encontre du tiers responsable. Pour la cour, une telle action ne relève pas davantage de la compétence des juridictions du travail.

Elle décide dès lors, après avoir constaté son incompétence matérielle, de renvoyer cet aspect de la cause à la Cour d’appel.

Intérêt de la décision

Cette affaire complexe, qui a déjà fait l’objet de deux arrêts de la cour, se poursuit en ce qui concerne l’appel de l’enseignante contre la Communauté française.

La cour a cependant déjà tranché la question du recours contre l’auteur de l’accident du travail. Dans la mesure où la Communauté française introduit un recours contre ce dernier, la cour juge dans cet arrêt que celui-ci n’est pas de sa compétence, que le recours soit fondé sur l’article 1382 du Code civil ou 14, § 3 de la loi du 3 juillet 1967. Sur ce second fondement, l’on peut cependant s’interroger, dans la mesure où l’action subrogatoire de l’employeur public dans les droits de la victime à l’encontre des tiers figure dans le texte même de la loi du 3 juillet 1967 et que ce recours fait partie du mécanisme général de réparation de l’accident du travail. La cour adopte ici une position restrictive de l’interprétation de l’article 579, 1° du code judiciaire.


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