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Le refus pour un travailleur d’une modification de ses conditions de travail n’est pas un acte d’insubordination constitutif de motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 février 2012, R.G. 2011/AB/1.181

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 16 février 2012, R.G. n° 2011/AB/1.181

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 16 février 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il est de jurisprudence bien établie que ne constitue pas un motif grave de licenciement le refus pour un travailleur d’accepter une modification de ses conditions de travail.

Les faits

Un ouvrier nettoyeur au service d’une société de nettoyage est élu aux élections sociales de 2008 en tant qu’effectif au conseil d’entreprise.

Ayant été engagé pour un lieu d’occupation déterminé, il voit celui-ci modifié à diverses reprises, ainsi que son horaire de travail. Dans chaque nouvelle affectation, il bénéficie cependant des conditions d’horaire établies pour la durée de celui-ci.

En 2011, il est victime d’un accident du travail, qui l’écarte de ses fonctions pendant plus de trois mois.

A sa reprise du travail, il lui est notifié qu’il est muté vers une équipe de « grand nettoyage » avec un horaire qui lui sera communiqué de semaine en semaine.

Il conteste, au motif qu’il bénéficiait auparavant d’un poste fixe avec horaire fixe et qu’il se trouve muté dans une équipe « turbo » avec un planning irrégulier. Il confirme qu’il continuera à se présenter à son lieu de travail habituel.

Suite à l’intervention de son permanent syndical, le bureau de conciliation de la Commission paritaire compétente est pressenti afin de tenter de solutionner le cas.

Entre-temps, un avertissement écrit est envoyé à l’intéressé, considérant que son attitude est inacceptable et qu’il y a dans son chef volonté de rompre le contrat. Sommation lui est faite de reprendre le travail pour lequel il est momentanément désigné. L’employeur confirme dans un courrier ultérieur qu’il ne voit pas l’opportunité d’une conciliation en Commission paritaire. Dans un troisième courrier, la société informe de son intention de licencier pour motif grave, suivant la procédure prévue par la loi du 19 mars 1991.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 12 décembre 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles considère la demande non fondée.

Le travailleur ayant introduit une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts, le tribunal se déclare non compétent pour celle-ci.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les principes en matière de licenciement pour motif grave, soulignant que toute faute grave d’une partie au contrat ne constitue pas un tel motif. Pour avoir ce caractère, elle doit empêcher toute continuation - même temporaire - de la relation de travail, c’est-à-dire qu’elle ne doit plus permettre à l’une des parties au contrat d’avoir encore confiance dans les services de l’autre.

La cour rappelle qu’il n’y a aucun comportement (a priori et ce quel que ce soit le contexte) qui constitue nécessairement un motif grave (renvoyant à C. trav. Bruxelles, 13 mai 1998, J.T.T., 1998, p.380) et qu’il faut examiner le motif grave in concreto, c’est-à-dire en fonction des faits et du contexte réel dans lequel ils se sont déroulés.

S’agissant en l’espèce d’un grief d’insubordination, la cour reprend les obligations des parties telles qu’énoncées à l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978. Elle rappelle que l’obligation d’exécuter le travail sous lien de subordination est l’obligation essentielle du travailleur et que l’insubordination occupe dès lors la place la plus élevée dans la hiérarchie des fautes graves possibles, puisqu’elle nie et contrevient à l’élément essentiel du contrat de travail, qui est l’autorité de l’employeur. C’est l’enseignement de B. PATERNOSTRE, cité par la cour (PATERNOSTRE B., « Motif grave et insubordination », Ors., mars 2006, p.17).

Ceci suppose cependant que l’ordre soit légitime. N’a pas ce caractère une instruction soit donnée en contravention aux obligations contractuelles souscrites soit purement arbitraire et vexatoire (la cour renvoyant ici un arrêt inédit, C. trav. Bruxelles, 2 septembre 2008, R.G. n° 33.828).

Vu l’article 25 de la loi du 3 juillet 1978 selon lequel la clause par laquelle l’employeur se réserve de modifier unilatéralement les conditions de travail est nulle (règle concernant les clauses relatives à la modification des éléments essentiels du contrat, Cass., 14 octobre 1991, Pas., I, 120), l’article 1134 du Code civil et encore l’article 20, 1° de la loi du 3 juillet 1978, la cour rappelle que l’employeur ne peut modifier ou révoquer unilatéralement les conditions convenues. Il est à cet égard indifférent que la modification soit peu importante ou porte sur un élément accessoire du contrat. Le ius variandi de l’employeur est limité aux conditions accessoires qui n’ont pas été convenues contractuellement.

En conséquence, un travailleur n’est pas tenu d’accepter une modification de ses conditions de travail. Il ne s’agit pas d’un acte d’insubordination constitutif de motif grave (la cour rappelle ici ce qu’elle appelle une jurisprudence largement établie de plusieurs cours du travail dans des arrêts constants).

En l’espèce, elle constate que l’intéressé travaille depuis plus de dix ans selon un horaire fixe et que, s’il a connu des mutations, c’était chaque fois selon un tel horaire et dans un lieu bien précis. Il ne pouvait dès lors être muté dans l’équipe « grand nettoyage » selon un horaire variable avec imprévisibilité totale, et ce d’autant qu’aucune explication n’a été donnée à ce changement de lieu, d’horaire ainsi que de type de travail.

La cour examine encore des dispositions du règlement de travail autorisant la modification de tâches à titre temporaire ainsi que les changements d’horaire mais constate que la situation qui lui est soumise ne justifie pas le recours à ces dispositions.

En conséquence, la société ne pouvant modifier les conditions de travail convenues sans l’accord de l’intéressé, celui-ci n’a pas commis d’acte d’insubordination en s’y opposant.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence constante en la matière, étant que ne constitue pas un acte d’insubordination constitutif de motif grave le refus d’un ordre illégitime ou, plus particulièrement en l’espèce, le refus d’une modification des conditions de travail convenues.


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