Terralaboris asbl

Relation de travail présentant des liens de rattachement avec deux pays : détermination de la loi applicable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 mars 2012, R.G. 2010/AB/1.051

Mis en ligne le vendredi 29 juin 2012


Cour du travail de Bruxelles, 6 mars 2012, R.G. n° 2010/AB/1.051

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine, en l’absence de convention internationale spécifique, les principes contenus dans la Convention de Rome I sur la loi applicable à une relation de travail présentant des critères de rattachement avec deux pays.

Les faits

Une citoyenne bulgare entre au service d’une Agence de droit public belge en Bulgarie et est chargée d’y assurer la représentation économique et commerciale de celle-ci. Le contrat fait référence à la loi bulgare en ce qui concerne la rémunération, celle-ci étant fixée en USD. En cas de résiliation du contrat, c’est la loi belge qui est citée et les parties font encore référence, dans une disposition spécifique, au choix de la loi bulgare, à titre supplétif.

Suite à la rupture du contrat de travail, une indemnité est versée. L’intéressée saisit, cependant, le Tribunal du travail de Bruxelles en demandant une indemnité compensatoire de préavis de trois mois de rémunération, un pécule de sortie ainsi que le paiement d’autres avantages.

L’Agence introduit une demande reconventionnelle, eu égard à des manquements dans la gestion comptable.

Les jugements du tribunal du travail

Par deux jugements, des 8 février et 5 octobre 2010, le tribunal va conclure que sont dus un solde d’indemnité compensatoire de préavis, des arriérés de rémunération, une prime de fin d’année, un pécule de vacances ainsi que des arriérés de pécules de vacances. Il déboute l’Agence de sa demande reconventionnelle.

Décision de la cour du travail

La cour du travail va, en premier lieu, examiner le droit applicable à la relation de travail et, pour ce, reprend les principes en matière de conflit de lois, en l’occurrence, en l’absence de convention internationale entre les deux pays déterminant le droit applicable à une relation de travail qui contient des liens de rattachement avec les deux pays.

La Convention de Rome I (qui n’est applicable à la Bulgarie qu’à partir de son adhésion à l’Union européenne le 1er janvier 2007) s’impose cependant au juge belge. Elle détermine la loi applicable à un contrat de travail conclu après le 1er avril 1991 et avant le 17 décembre 2009, et ce en l’absence de convention internationale : l’article 2 de la Convention prévoit en effet qu’elle doit être appliquée par le juge belge et quel que soit l’autre pays avec lequel il y a des liens de rattachement, et ce même si la loi désignée par la Convention est celle d’un Etat non contractant.

Après avoir encore relevé que le Code de droit international privé belge n’est pas applicable en l’espèce (vu qu’il ne détermine le droit applicable qu’aux contrats conclus après son entrée en vigueur – ce qui n’est pas le cas en l’espèce), la cour rappelle la règle générale contenue dans la Convention, étant le choix de la loi applicable par les parties, sauf exceptions ou dérogations.

En ce qui concerne le choix exprimé par les parties, elle constate que c’est le droit belge qui a été retenu pour les règles en matière de rupture. La cour refuse dès lors d’examiner la question sous l’angle du droit bulgare. Deux dérogations sont cependant contenues dans la Convention de Rome I en ce qui concerne le choix de la loi applicable, étant d’une part que celui-ci ne peut aboutir à priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix (article 6.1) et que d’autre part les dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit peuvent trouver à s’appliquer si et dans la mesure où, selon le droit de celui-ci, ses dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. La cour va dès lors examiner la mesure dans laquelle ces deux dérogations peuvent être invoquées.

Sur la première, l’Agence fait valoir que le droit bulgare est plus protecteur, dans la mesure où il prévoit la possibilité de réintégration du travailleur. La cour relève que, par contre, les préavis et indemnités de rupture y sont bien inférieurs à ceux prévus par la loi belge. La détermination de la loi plus protectrice ne peut, pour la cour, être déterminée de manière abstraite mais concrète, en fonction des éléments de fait et de droit. Or, en l’espèce la réintégration – même si elle existe en principe – ne peut être obtenue qu’après l’annulation du licenciement pour cause d’irrégularité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Sur la seconde dérogation, la cour relève que le législateur bulgare n’a pas fait figurer dans son Code du travail des dispositions considérant que les règles en matière de licenciement seraient à ce point fondamentales qu’elles devraient être appliquées, peu importe la loi régissant le contrat mais qu’au contraire il est prévu qu’une autre loi que le Code du travail peut trouver application. Cette seconde dérogation ne doit dès lors pas être retenue.

La cour confirme dès lors la validité du choix exprimé par les parties quant à la loi applicable, étant la législation belge. Elle va, en conséquence, examiner les droits de l’intéressée an matière d’indemnité compensatoire de préavis selon les règles de l’article 82, §3 de la loi du 3 juillet 1978 eu égard aux critères habituels.

La question des arriérés de rémunération est plus technique, vu une clause d’indexation contenue dans le contrat renvoyant à l’évolution de l’indice des prix à la consommation en Bulgarie et la limitation des effets de cette indexation selon un système appliqué par l’Ambassade belge. La cour procède dès lors à un examen comparatif des deux systèmes et ordonne la réouverture des débats afin de procéder à un calcul correct.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes contenus dans la Convention de Rome I du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. L’arrêt précise tout particulièrement, sur l’article 6.1, qui contient une dérogation importante à la liberté de choix de la loi applicable, que la loi la plus protectrice doit être retenue sur la base d’éléments concrets, la disposition de la Convention impliquant d’avoir en vue le résultat effectif et non un objectif ou un effet théorique.


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